Ce passé n’est pas si loin, celui du confinement lié à la crise sanitaire, en 2020 et 2021. Alors privés de publics et de scènes, les artistes du spectacle vivant expérimentaient mille façons de mobiliser le web et les réseaux sociaux. Il s’agissait d’entretenir à distance leurs liens avec les publics.
Au même moment, il était décidé la création d’un fonds exceptionnel (« Captations et diffusions alternatives ») annoncé par la Ministre de la Culture en février 2021, de soutien à la production et à la diffusion de captations et de contenus numériques culturels, afin de permettre aux lieux de maintenir les liens avec leurs publics durant la période de confinement (et de les redynamiser durant la période de réouverture progressive).
En 2022, ce bond en avant du côté du numérique, joint au désir de faire revenir les gens dans les salles, conduisit l’Office national de diffusion artistique (ONDA), à prolonger le dispositif dans son « secteur » (théâtre, danse, cirque, marionnette, espace public). « Écran vivant », sous la forme de trois appels à projets successifs (février, juin et décembre 2022), a permis de soutenir la création et la diffusion de 154 objets numériques expérimentaux.
De leur côté, le Centre national de la musique (CNM) prenait en charge le même fonds de soutien pour son secteur, et, pour celui des arts visuels, les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) faisaient de même.
Marie-Pia Bureau, directrice de l’Office national de diffusion artistique, nous explique ici le grand intérêt expérimental d’Écran vivant, qui recueille et prolonge un mouvement de fond.
Quel était le sens d’« Écran vivant » ?
Le constat initial était largement partagé : nous sommes, avec la révolution numérique, à une époque comparable à celle de l’invention de l’imprimerie ! Le nouveau support entraîne une évolution des formes éditoriales.
Dès notre premier appel à projet, le jury et les artistes ont donc bien compris que le but de ce programme n’était pas de favoriser en soi les captations. Une captation intégrale a en elle-même toujours beaucoup d’intérêt, mais elle n’est pas vraiment adaptée aux avantages qu’on peut tirer des usages numériques.
Ainsi, certains artistes n’ont pas craint de déployer toutes les potentialités qu’ils percevaient dans le support numérique, conduisant le jury lui-même à s’ouvrir à de nouveaux horizons. La succession des trois appels à projets (février, juin et décembre 2022) a dopé l’évolution des esprits, et c’était passionnant !
En quoi ont consisté ces nouveautés ?
Les projets les plus valables ont conçu un support numérique capable « d’augmenter » la visibilité de l’œuvre à partir d’une plateforme. Nous avons ainsi soutenu des projets de vidéos expérimentales, de web-séries, de podcasts et même de jeux vidéo…
Par exemple, pour un spectacle d’une heure trente, il est intéressant de penser quatre capsules vidéo de cinq minutes chacune, où l’on donne à voir des extraits du spectacle, en faisant jouer les interprètes pour la caméra (non plus tout à fait pour la scène). Autre exemple : en parallèle d’un spectacle musical, réaliser un mini-documentaire, sous forme de vignettes qui font le portrait des musiciens.
Autant d’expérimentations très précieuses, qui visent à améliorer le partage du spectacle vivant en lui donnant de plus grands échos.
Ces expérimentations sont-elles propres à produire des transformations profondes du côté de la création artistique ?
Nous avons, du moins, déjà constaté que ces projets ne sont plus conçus après la création du spectacle, mais en même temps et dans un lien étroit. Produire un objet numérique en même temps qu’on produit le spectacle, afin que ce dernier existe aussi autrement et ailleurs, c’est là vraiment l’idée d’une diffusion alternative.
On passe alors à une nouvelle création, ou une création seconde, à partir d’une même matière. Il ne s’agit plus de communication ni de promotion, mais plutôt d’extensions. C’est l’idée d’augmenter. D’offrir de nouvelles possibilités. Dans ce sens-là, on pourrait presque parler de réception augmentée des œuvres du spectacle vivant.
Je pense à cet autre exemple : une « balade sentimentale », que la metteuse en scène Judith Depaule a conçue et réalisée pour la Maison des Métallos, à Paris. Judith Depaule a collecté des récits dans le quartier de Belleville, et elle a élargi leur mise en espace aux dimensions de promenades, le casque sur les oreilles. L’idée était de faire du numérique l’outil d’une passerelle relationnelle, sous la forme d’une sorte de documentaire, vivifié par cette promenade et l’écoute de ces témoignages. En l’occurrence, c’est une toute autre disposition de la création et de la réception théâtrale qu’elle a expérimentée… et « augmentée » !
Quel avenir voyez-vous, dans le cadre de l’Office national de diffusion artistique, à ce type de projets ?
Toutes les possibilités sont loin d’avoir encore été exploitées. A présent que ce programme exceptionnel de soutien est clos, l’Office national de diffusion artistique reste ouvert à des initiatives du même type, qui font preuve d’une imagination et d’une invention capables de montrer comment travailler autrement, avec le numérique, la matière d’un spectacle vivant.
J’ai été, moi-même, nommée en septembre dernier à la direction de l’Office national de diffusion artistique pour repositionner les aides que nous proposons. Nous expliquerons toute la logique de notre nouveau programme, fruit d’une grande consultation de l’ensemble de nos partenaires, le 12 juillet 2023, lors de notre rendez-vous avec la profession au festival d’Avignon.
Des centaines de projets alternatifs dans tous les domaines de la création artistique contemporaine
Les projets soutenus par Ecran vivant sont répertoriés sur le site d’Artcena (Centre national du cirque, de la rue et du théâtre), dans sa bibliothèque.
Pour exemple, on pourra s’intéresser au « Laboratoire des narrations augmentées » intitulé Le nouveau Décaméron par la compagnie dramatique La Spirale, qui croise écritures théâtrales et numériques, pour proposer des récits à la fois participatifs, immersifs et en présentiel. Ou bien vagabonder aux confins du théâtre et de la réalité virtuelle avec Le Whiteout, par la compagnie Le Clair Obscur qui se définit elle-même comme un laboratoire artistique permanent dédié aux nouveaux imaginaires. Et une curiosité à signaler : le jeu vidéo concu par la compagnie par Terre / Anne Nguyen, autour de son spectacle de hip hop : Skillz.
Le Centre national de la musique, un domaine où les artistes étaient déjà familiers des captations de concert, a, quant à lui, concentré ses soutiens sur l’année 2021. 765 projets (productions numériques, captations, projets construits spécifiquement pour des formes alternatives de diffusion (hors les murs, plein air etc.), dans les domaines du classique et du contemporain ont ainsi vu le jour.
Deux exemples emblématiques et très différents l’un de l’autre : Les Flâneries (excursions musicales), produit par Bleu Citron, projet de diffusion hors les murs en physique, visant à produire des visites commentées de lieux de patrimoines remarquables et/ou secrets de Toulouse, comportant des interludes musicales de concert en direct. Et d’autre part la captation de la création mondiale de l’opéra Le Soulier de Satin, de Marc-André Dalbavie au Palais Garnier (Opéra de Paris), mis en scène par Stanislas Nordey. La captation a été réalisée en coproduction avec Radio France et en partenariat avec Medici.tv, en présence d’une jauge réduite de 30%, puis elle a été rediffusée en streaming sur la plateforme de l'Opéra à compter du 13/06/2021, en accès libre et gratuit, sur Medici.tv (48 h en accès libre, puis réservée à ses abonnés) puis sur la plateforme et la chaîne you tube de Radio France, en accès libre et gratuit, à compter du 01/09/2021.
Quant aux arts visuels, 69 projets ont été distingués et soutenus par les DRAC. Parmi eux, il convient de souligner le travail remarquable des associations du réseau Documents d’artistes, pour la réalisations de portraits filmés d’artistes contemporains. Notons aussi, par exemple, la création d’une chaîne Youtube pour le Centre d’art de Mana, en Guyane, des projets de création numérique pour l’espace immersif du FRAC-artothèque de Nouvelle Aquitaine à Limoges, et la captation de performances, comme celle de Sara Favriau avec Zebra 3. A signaler également le « film curatorial » (« ou comment les expositions se racontent autrement »), par la Biennale Chroniques.
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