Ce sont des sujets particulièrement actuels. À la carabine, de Pauline Peyrade (Les Solitaires Intempestifs), qui a remporté le 18 octobre l’un des deux Grands prix de littérature dramatique créés par le ministère de la Culture et décernés par ArtCena, raconte l’histoire d’une enfant abusée qui, devenue jeune femme, décide de se faire justice elle-même. Dans la catégorie littérature jeunesse, c’est un texte sur « une fratrie d’enfants cabossés par la vie » qui a remporté les suffrages du jury : Manger un phoque de Sophie Merceron (École des loisirs).
Dans les deux cas, ce sont des « textes contemporains [qui] parlent d’aujourd’hui et ceux-là vont droit au cœur », a assuré Stanislas Nordey, président de jury de cette édition, en insistant sur la « force » et la « beauté » des textes finalistes, à savoir, outre les deux lauréats, Neuf mouvements pour une cavale de Guillaume Cayet (Éditions Théâtrales), Gratte-ciel de Sonia Chiambretto (L’Arche éditeur), Le lench d’Eva Doumbia (Actes Sud-Papiers) et Normalito de Pauline Sales (Les Solitaires Intempestifs). A noter : À la carabine fait l’objet d’une commande du théâtre de la Colline, du Théâtre National de Strasbourg et de la Comédie de Reims pour le programme « Éducation et proximité ». Nous avons rencontré Pauline Peyrade juste après la remise du prix.
D’où vient l’envie d’écrire À la carabine ?
À l’origine, il y a l’histoire de cette jeune fille qui a été agressée sexuellement quand elle avait onze ans et qui a été reconnue consentante à son viol par un tribunal pour enfant, son agresseur ayant été jugé pour détournement de mineur et non pour agression sexuelle. Cela m’a mise en colère. Je l’ai ressenti comme une violence redoublée, comme un entérinement de la violence qui a été faite à cette jeune femme. À la carabine est un texte qui parle de ce que l’on fait de cette violence. Il exprime aussi une lassitude par rapport aux pressions que l’on fait peser sur les victimes à travers par exemple le mot de résilience. La violence n’est pas autre chose que de la violence et si elle n’est pas prise en charge, elle détruit.
L’enjeu est de se servir de la langue, de la représentation, comme d’une arme
La justice en tant qu’institution semble être hors champ…
Mon personnage en parle à la fin du texte. Elle nomme le fait qu’elle a été trahie, abandonnée, pointée du doigt. Elle n’a pas une réaction raisonnable, elle ne va pas voir le juge, elle prend les armes. C’est un texte qui parle d’un corps désarmé qui n’a pas le droit à la violence et qui en se défendant devient indéfendable. La philosophe Elsa Dorlin en parle très bien. C’est une violence aussi furieuse et aveugle que celle qu’elle a reçue.
Se pose la question de l’intensité de la réponse face à l’intensité de la violence initiale.
Il ne faut pas oublier que c’est un texte de théâtre. L’idée est de se ré-emparer de la violence et de la transformer. Le théâtre peut se permettre une violence extrême en réponse à la violence qui a été subie. Ce n’est pas une matière à prendre à l’endroit du réalisme ou de la sociologie, c’est comment composer avec la violence à l’endroit du théâtre et de l’écriture. Le titre, À la carabine, vient directement des peintures Niki de Saint-Phalle qui peignait avec une carabine. L’enjeu est de se servir de la langue, de la représentation, comme d’une arme. Ce personnage prend les armes dans le texte mais elle prend avant tout la parole. Mon personnage n’a pas intégré cette honte qu’on voudrait qu’elle porte, elle est consciente du fait que cela ne lui appartient pas, elle rejette tout en bloc, elle se sauve. L’enjeu était de rendre sensible par le théâtre l’intensité de la violence qu’elle a portée en elle une première fois par l’agression physique et une seconde fois par le fait qu’elle a été reconnue consentante à la violence qui lui a été faite.
Comment percevez-vous le prix qui vous a été remis aujourd’hui ?
Il sert non seulement à faire connaître le texte mais aussi le travail des éditeurs et des éditrices. Il est très important de le valoriser. Il faut avoir la foi pour se lancer dans un projet comme celui de À la carabine. Tous mes textes ont été publiés aux Solitaires intempestifs, c’est précieux d’appartenir à une maison d'édition qui suit votre travail depuis le début. J’aime aussi beaucoup cette maison pour les autres auteurs et autrices qui y sont publiés, cela donne le sentiment d’appartenir à une constellation inspirante.
Pauline Peyrade, une écriture de l’urgence et du féminin
À la carabine s’inscrit dans le droit fil des précédents textes de la jeune auteure : Ctrl-X, publié en 2016, interroge l’amour et l’impossibilité du deuil. Poings, paru en 2017, raconte cinq moments d'une histoire d'amour toxique racontés selon le point de vue d'une femme en état de choc, et Portrait d’une sirène, publié en 2019, met en scène trois figures féminines entrant en résistance face à certaines identités imposées aux femmes aujourd’hui. Une écriture ancrée dans le contemporain que redoublent les ateliers d’écriture auxquels Pauline Peyrade participe régulièrement. Pour preuve celui proposé en tandem avec le metteur en scène Rémy Barché, « Tenter Alien » lors de la dernière « Traversée de l’été », la programmation estivale du Théâtre National de Strasbourg,
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