À la frontière entre œuvre cinématographique et pièce d’archive, le documentaire de danse est un objet mystérieux, à la fois singulier et atypique, qui ne cesse de fasciner. C’est précisément pour en sonder toutes les formes – et elles sont nombreuses – que le ministère de la Culture, en lien avec le Centre national de la danse, a lancé « Des regards sur la danse », une série de dix-huit événements qui permet au public de découvrir, jusqu’en janvier prochain, toute la richesse du genre à travers des projections de films et des rencontres avec des réalisateurs, chorégraphes et compagnies. Ces événements auront lieu dans plusieurs villes de France, en métropole comme en Outre-mer, dans le cadre de l’Année du documentaire 2023 pilotée par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).
Parmi ces événements, trois temps forts. Un premier déjà organisé les 16 et 17 septembre dernier au Théâtre national de la danse, à Chaillot et confié à Mehdi Kerkouche dans le cadre du premier Chaillot Expérience. Le second du 3 au 5 octobre à Pantin, pour mieux mesurer l’étendue et la variété du documentaire de danse, mais aussi d’en vérifier la portée et la pertinence artistique. Enfin, le dernier en ligne, du 6 au 13 décembre, avec un film mis en ligne tous les soirs sur la plateforme Numeridanse, où on pourra le visionner gratuitement pendant 24 heures.
Au-delà des projections, « Des regards sur la danse » est l’occasion de mettre en lumière une riche collection de 84 films de danse aidés depuis 2017 par la direction générale de la création artistique du ministère de la Culture à travers un dispositif de soutien à l’écriture et la production. Explications avec Laurent Vinauger, délégué à la danse au sein de la direction générale de la création artistique du ministère de la Culture.
Quel est l'objectif de ces différents événements qui s'inscrivent dans le cadre de l'Année du documentaire 2023 ?
Laurent Vinauger : Notre objectif était à la fois de proposer une manifestation originale dans le cadre de l'Année du documentaire et de valoriser le documentaire de danse dans lequel il y a une production assez régulière, peu connue et qui, selon nous, propose des regards assez différents sur la danse. Ces œuvres permettent de montrer la grande diversité du paysage chorégraphique français et européen et d’ouvrir des fenêtres sur les différentes pratiques avec des formats et des sujets très différents.
« Des regards sur la danse » permet également d'attirer et d'intéresser le public le plus large possible et de donner aux partenaires avec lequel on travaille sur le territoire la possibilité d'imaginer une programmation la plus diversifiée possible et des interactions avec les publics avec des opérations spécifiques en direction des scolaires par exemple.
Enfin le dernier objectif était d’assurer une visibilité du dispositif de soutien aux films de danse mis en place depuis 2017 à la direction générale de la création artistique du ministère de la Culture, en faisant découvrir un certain nombre d’œuvres soutenues depuis la création de ce dispositif.
Dix-huit événements ont lieu partout en France. Comment ont-ils été choisis ?
L.V. : La programmation s’inscrit dans le cadre d'événements préexistants dans lesquels on vient s’insérer ou à l’occasion de temps forts spécifiquement créés : des festivals, des événements spécifiques sur un week-end, des temps d'exposition et de projection… Nous avons repéré au préalable des événements ou des structures avec lesquels nous avions l'habitude de travailler et dont nous connaissions l’intérêt pour le champ chorégraphique et les films de danse comme le festival « Le temps d'aimer » à Biarritz qui a ouvert la série de rendez-vous début septembre. Nous avons essayé de de travailler à une projection sur l’ensemble du territoire national et avons sollicité ainsi de nombreux partenaires possibles comme par exemple le Festival Constellations à Toulon, les CCN de Rennes et de Bretagne, du Havre, le CCN Ballet National de Marseille, l’Espace 1789 de Saint-Ouen ou la scène nationale de Valence, Le LUX.
Une programmation en Outre-mer était importante pour nous car nous n’avons, comme seul point d'appui régulier dans ces territoires, que le centre de développement national chorégraphique de Guyane. Nous avons tissé des liens forts avec Lalanbik à La Réunion, une structure en préfiguration avec laquelle nous travaillons à l’obtention du label de centre de développement chorégraphique national prévue l'année prochaine. C'est l'un des partenaires qui programme le plus de films donc il y a eu un réel intérêt de leur part à déployer son projet sur l'ensemble du territoire.
Un premier temps fort a eu lieu en septembre à Chaillot. Deux autres ponctueront cette programmation. Quels sont-ils ?
L.V. : Nous voulions donner un coup de projecteur particulier sur l'extraordinaire travail que fait la médiathèque et la cinémathèque du Centre national de la danse (CND) à Pantin, établissement public ressource pour la danse. Le CND a sélectionné des films issus de leur collection pour les mettre en relation avec des films de notre collection. Des rencontres vont être organisées du 3 au 5 octobre pour les mettre en valeur.
Nous allons valoriser deux projets artistiques très riches se développant à Marseille. Celui de Christophe Haleb, un des premiers chorégraphes français qui a vraiment investi le champ de l'image. Plusieurs épisodes de notre collection de sa série Éternelle Jeunesse seront montrés au CND et dans de nombreuses villes de France. Ensuite, (LA)HORDE, qui assure la direction du CCN Ballet national de Marseille, rayonne dans le monde entier et développe son travail de création depuis son origine à partir de l’image en particulier à travers des films souvent primés. Nous avons choisi de montrer deux documentaires autour de leur travail, avec tout d’abord To da bone, un film autour du jumpstyle, puis, en avant-première mondiale, Marry Me in Bassiani autour de la création réalisée et chorégraphiée avec des danseurs de danse traditionnelle de Géorgie qui sera présentée la semaine suivante au théâtre de la Ville. Il y avait donc cette double actualité qui permettait ce coup de projecteur et on trouvait intéressant de leur proposer une discussion entre eux.
L'autre temps fort est en ligne, sur la plateforme Numeridanse créée par la Maison de la danse de Lyon, cofinancée par le Centre national de la danse et le ministère de la Culture. Nous leur avons demandé de concevoir une programmation du 6 au 13 décembre avec une mise en ligne tous les jours d'un film documentaire différent, accessible pendant une journée. Ils ont là aussi mixé nos propres collections avec celles du CND. C’est, pour nous, une manière de reconnaître l'extraordinaire qualité du travail mené par l'équipe de Numeridanse depuis sa création et de témoigner de la réflexion dans laquelle nous sommes engagés pour en faire, dans le futur, une plateforme de référence pour la diffusion des films de danse au niveau national et européen.
Cet événement est aussi l'occasion de mettre en lumière la politique de soutien à la documentation de la danse avec, depuis 2017, 84 films soutenus par le ministère…
L.V. : En discutant avec des artistes, des réalisateurs ou des producteurs, nous nous sommes aperçus en 2016 qu’il y avait une sorte d'angle mort entre les dispositifs qui existent pour accompagner les créations des compagnies chorégraphiques en DRAC ou les dispositifs du CNC par exemple. Nous étions sollicités pour toute une série de projets qui avaient du mal à trouver des financements d'impulsion qui permettent de mettre le projet sur l’établi, de consolider l'écriture ou les débuts du développement du projet. Des chorégraphes, plasticiens, réalisateurs avaient donc cet intérêt pour l'image de danse mais ne trouvaient pas la manière de rendre visible leur travail.
C'est pour ces raisons que nous avons lancé, en 2017, ce programme de soutien. Il porte sur tous les types de films de danse, hors captation de spectacles : créations comme documentaires voire même parfois docu-fictions. Nous accompagnons les films à différents niveaux : l'écriture, le développement ou la production du projet – voire même sur les trois niveaux pendant plusieurs années. Nous avons soutenu depuis le début 84 projets, avec une forte progression d’une année sur l’autre : en 2017, suite au premier appel à projets, nous avions dû recevoir une petite vingtaine de demandes contre plus de 110 cette année…
Le deuxième volet du programme est plutôt un soutien à la diffusion des films de danse. Chaque année, nous débloquons des petites enveloppes pour un certain nombre de projets sur l'ensemble du territoire national qui cherchent des financements pour des programmations de films. Ce sont soit des lieux qui s'investissent pour la première fois dans ce genre de démarche, soit des lieux qui ont une redondance de programmation de ce type-là. Cela concerne trois à cinq programmes par an, y compris en ligne. Le budget annuel pour ce programme avoisine les 200 000 euros.
Quel est, selon vous, l'intérêt de diffuser au plus grand nombre le film documentaire de danse ?
L.V. : L'intérêt est de rendre visible la grande diversité de la pratique chorégraphique professionnelle et amateur qui inclue des films parlant de projets menés avec des personnes en situation de handicap, d'hospitalisation, des personnes âgées, des enfants… Il est donc important de conserver un témoignage de tous ces projets qui vont permettre à différents types de publics de découvrir et pratiquer la danse.
L’une des spécificités du film documentaire de danse, c’est qu’il est souvent réalisé par l'artiste engagé dans le projet chorégraphique. On est donc à la frontière – assez ténue, à vrai dire – entre le documentaire et l'acte de création. Ces films sont intéressants dans le sens où ils permettent de montrer un engagement dans un projet, de comprendre les différentes étapes qui conduisent à une œuvre chorégraphique aboutie. C’est donc une manière d'ouvrir les coulisses, aller derrière le plateau, dans les loges ou dans le studio.
C’est une approche qui passionne le public, on s’en rend compte lors de rencontres avec les artistes. L'intérêt de ces échanges est à la fois de rendre visible la richesse de la production chorégraphique française et de faire un travail de développement de la culture chorégraphique qui est au cœur de la mission de la délégation à la danse.
Trois jours dédiés à la création cinématographique en danse à Pantin
Les 3, 4 et 5 octobre, le Centre national de la danse consacre trois jours à des projections et des rencontres autour des films soutenus par le dispositif du ministère de la Culture. Une sélection de films issus des importantes collections du Centre national de la danse seront également diffusés en continu.
Quatre documentaires seront proposés au public, à commencer, dès le 3 octobre, par un épisode d’Éternelle jeunesse de Christophe Haleb. Avec sa compagnie La Zouze, le chorégraphe est parti à la rencontre d’une dizaine de jeunes dans la région de Valence, entre août 2029 et juin 2020. Les deux films Marry Me in Bassiani et To Da Bone invitent à plonger dans le processus de création des pièces éponymes de la compagnie(LA)HORDE. Le 4 octobre, le voyage chorégraphique se poursuit de Mayotte au Cap-Vert autour des danses du bassin avec Sous la jupe des filles d’Elena Bertuzzi. Enfin, le 5 octobre, Sisyphe comme moi de Florence Vax explorera les origines, la forme et le déroulement du projet Les Sisyphe de la chorégraphe Julie Nioche.
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