“J’ai envie d’être architecte pour travailler sur la vie des gens, en lien avec eux”, résume Garance Paillasson. Diplômée en juillet 2020, la jeune femme pose un regard aiguisé sur la profession qu'elle a choisi d'exercer. “C’est un métier très politique, au sens où il faut prendre position tout le temps, que ce soit sur le choix d’un matériau ou d’un site. Il faut argumenter avec tous les acteurs : ceux qui vont habiter dans l’espace, ceux qui financent les constructions et ceux qui déploient les politiques publiques”. Cet engagement quotidien, Garance Paillasson entend le mettre au service d'une conception alternative de l'architecture.
A mi-chemin entre les sciences et les arts
C'est d'abord l'aspect créatif de l'architecture qui la pousse à intégrer, après son baccalauréat, l’École nationale supérieure d'architecture de Grenoble (ENSAG). “Je pratique la danse depuis l’enfance, et je m’intéresse à la photographie ainsi qu'à la vidéo. Il y a, dans chacune de ces formes d'art, un rapport à l’espace que l'on retrouve dans l'architecture”, observe-t-elle. Au carrefour de l’art, de la technique et de la littérature, cette discipline promet donc de satisfaire aussi bien son esprit scientifique que ses aspirations artistiques.
Après avoir obtenu sa licence, Garance Paillasson fait une pause d'une année, pendant laquelle elle réalise un stage en agence d'architecture et voyage six mois en Europe. Une pause nécessaire, selon elle, pour prendre du recul sur des études. Après ce temps de réflexion, qui la conforte dans sa volonté de devenir architecte, elle décide de mener, en parallèle de son master, un projet de recherche qui prend la forme d’un documentaire sur les pratiques émergentes de l’architecture. Celui-ci est structuré autour d'une question, devenue centrale dans l'approche de la jeune femme : “comment fait-on aujourd'hui, en tant qu'architecte, pour pratiquer tout en respectant ses convictions écologiques et sociales ?”.
Être architecte, ce n’est pas seulement concevoir du neuf, c’est aussi redonner un visage à ce qui existe déjà
Repenser l’existant
Dans le cadre de ce travail, Garance Paillasson rencontre des professionnels qui "font de l’architecture autrement”, en impliquant l’habitant dans la conception architecturale ou en adoptant une démarche de permanence architecturale - une pratique alternative dans laquelle l’architecte “construit en habitant et habite en construisant”. Parmi les personnes interrogées figure notamment Marie Blanckaert, qui travaille au sein de l’agence d’architecture et d’urbanisme BLAU, à Lille. “Elle a réussi à inclure les habitants dans la construction de logements sociaux. Ce contact, qui passe par des discussions avec les collectivités et une présence régulière sur les chantiers, permet de faire accepter et comprendre les projets architecturaux qui sont menés”, souligne Garance Paillasson, admirative.
Pour la jeune diplômée, repenser l'architecture implique également de questionner la nécessité de construire. "Être architecte, ce n’est pas seulement concevoir du neuf, c’est aussi redonner un visage à ce qui existe déjà. L'utilisation de l'existant s'inscrit dans une démarche écologique”. De même, un aller-retour entre pratique et théorie lui paraît essentiel pour prendre du recul sur sa pratique. “Il y a un cloisonnement entre le monde des chercheurs en architecture et celui des architectes praticiens. C'est dommage, car c'est précisément la recherche qui permet à l’architecture, telle qu’elle se construit aujourd’hui, d’évoluer”, analyse la jeune femme. “A titre personnel, je considère que l'architecture ce n'est pas seulement de la construction, mais aussi de l'écriture. Le fait de lire et d'écrire - en m'obligeant à résumer, à argumenter ce que je veux concevoir - me nourrit en tant qu'architecte", reprend-elle.
Changer les pratiques architecturales
Comme ses camarades de promotion Garance Paillasson a dû, avec la crise sanitaire, terminer sa deuxième année de master chez elle, sans voir ses enseignants. “C’est compliqué de discuter d'architecture sur ordinateur, sans avoir un bout de papier sur lequel on fait des croquis”, raconte-t-elle. Au delà des difficultés pratiques, la situation a affecté sa créativité. “Quand on est enfermés dans un lieu, il est difficile de projeter des espaces dans sa tête, d'avoir de nouvelles idées”, observe-t-elle. Le confinement dans un appartement sans balcon, a également été l'occasion pour elle de questionner la notion d'habitat. "Ne devraient plus exister des logements mal isolés, des logements sans espaces extérieurs, des logements avec très peu de fenêtres ou de lumière”, énumère-t-elle. "Tous ces éléments n'ont rien de superflu : ils sont nécessaires pour vivre".
Si la jeune femme n’est pas particulièrement inquiète pour son avenir - “les appels d’offre ne se sont pas arrêtés, il va y avoir du travail” - elle envisage cependant avec appréhension les conditions matérielles dans lesquelles elle devra exercer. Elle s'interroge également sur son futur mode de vie et de travail. Faut-il envisager de s’installer dans une grande ville, dans un lieu à taille humaine ou à la campagne ? Chercher à travailler en agence ou bien fonder un collectif, ou une association ? “J’ai l’impression qu’il y a peu de jeunes architectes qui montent leur propre structure, se donnant ainsi les moyens de changer rapidement les pratiques architecturales actuelles”, observe-t-elle. Pour l’instant, elle a cependant “encore beaucoup à apprendre" avant d’envisager de porter, avec d’autres, ce nouveau souffle qu'elle appelle de ses vœux.
Enseignement supérieur culture : l’École nationale supérieure d'architecture de Grenoble
Avec ses 99 établissements et ses 35 000 étudiants, l’enseignement supérieur culture est sans doute l'un des viviers de jeunes professionnels les plus denses et les plus variés au monde. Il constitue aussi l’un des réseaux culturels fortement décentralisés mais aussi les plus spécifiques.
Il existe 20 Écoles nationales supérieures d'architecture (ENSA) en France. Toutes proposent une formation professionnalisante en cinq ans minimum, au terme de laquelle est délivrée le Diplôme d'Etat d'architecte. Les enseignements y sont aussi bien théorique que pratiques, les étudiants étant amenés à concevoir des projets d’édifices, d’équipements publics, de logements sociaux, de l’échelle du logis à celle de la ville et des territoires. L'école de Grenoble, qui, outre ses 965 étudiants, comprend 3 équipes de chercheurs habilitées, est notamment reconnue pour la qualité et la diversité de la recherche qui y est conduite.
La semaine prochaine : le parcours de Victor Boulanger, étudiant à la Fémis.
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