On connaissait le Zola romancier, chef de file du naturalisme, ainsi que le Zola journaliste et son engagement dans l’affaire Dreyfus. On découvre aujourd'hui que le célèbre homme de lettres était également... un homme d’image. Comment expliquer que ce pan de son œuvre soit demeuré si longtemps dans l’ombre ?
L’intérêt de Zola pour la photographie reste, aujourd’hui encore, relativement méconnu du grand public, c’est indéniable. Mais ce n’est pas pour autant une découverte totale, comme en témoigne la parution, en 1979, du livre Zola photographe écrit par le petit-fils du romancier, François-Emile Zola, en collaboration avec Massin. Le fonds Emile Zola a en outre déjà été exposé au Jeu de Paume, sur le site du Château de Tours. Enfin plusieurs tirages du romancier sont entrés dans les collections publiques : le Musée d’Orsay, notamment, a fait en 1987 l'acquisition 45 photographies de Zola dont vingt-six portraits de la fille de l’écrivain, Denise.
En 2017, ce sont près de 2000 négatifs sur verre réalisés par l’écrivain qui ont rejoint les collections nationales. Quelle est l’histoire de ce fonds photographique ? Que contient-il ?
Zola n’avait pas d’enfants avec son épouse légitime mais il a rencontré à la fin de sa vie une lingère, Jeanne Rozerot, qui est devenue sa maîtresse. Elle lui a donné deux héritiers et c’est à son fils, Jacques, qu’est revenu l’ensemble de son patrimoine photographique : négatifs, tirages, albums, appareils photos…Ce fonds a été transmis de génération en génération avant d’être finalement mis aux enchères en décembre 2017. A cette occasion, il a été racheté par l’Etat au bénéfice de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (MAP).
Le contenu du fonds est très lié à l’histoire de Zola avec sa maîtresse et ses enfants. Zola découvre la photographie au moment où il rencontre Jeanne Rozerot. Il approche alors de la cinquantaine et leur histoire durera jusqu’à la mort de l’écrivain, à 62 ans. Sa pratique est assez étonnante quand on essaye d’imaginer a priori ce que pourrait être l’œuvre photographique d’Emile Zola. Au vu du réalisme de son œuvre littéraire et de l’important travail de documentation qu’elle nécessite, on pourrait s’attendre à découvrir une écriture photographique extrêmement rigoureuse, marquée par une approche documentaire. La réalité est tout autre puisqu’on a finalement un corpus qui s’assimile à celui d’un bon photographe amateur de la fin du 19e siècle, avec des sujets assez classiques tels que des autoportraits, des portraits de ses proches ou encore des photos de soirées organisées à Médan. Ces œuvres-là, très intimes, constituent la majeure partie du fonds. Viennent ensuite des petites séries dans le cadre desquelles Zola documente de manière assez informelle son exil de plusieurs mois en Angleterre suite à la parution de « J’accuse », son voyage en Italie ou encore sa visite de l’Exposition Universelle de 1900. Mais ces photographies, encore une fois, ne semblent pas vraiment intégrées dans son processus littéraire – ce n’est pas, du moins, l’impression qu’elles donnent au premier coup d’œil.
Que peut-on dire de la pratique photographique de Zola ?
Zola était véritablement féru de photographie, il possédait 10 appareils, trois laboratoires différents et faisait des photos très régulièrement. On sait qu’il faisait attention aux cadrages et qu’il pouvait faire jusqu’à six tirages différents pour un même négatif, en changeant à chaque fois de procédé de manière à faire varier le résultat final. Des études techniques seront menées prochainement afin de savoir si l’écrivain était un amateur de photographie typique ou atypique au regard de son époque et de son milieu. Le lien potentiel entre son œuvre littéraire et son œuvre photographique sera également exploré de manière approfondie, afin de mettre à jour d’éventuels liens cachés.
Vous supervisez, au sein de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, la conservation de ces négatifs. Pourriez-vous revenir avec nous sur les différentes étapes de leur traitement par le département de la photographie ?
Cet ensemble, daté de la fin du XIXe siècle, a suivi un processus classique à la MAP. Nous avons, dans un premier temps, sorti les négatifs de leurs boîtes en prenant soin de bien noter les inscriptions qui se trouvaient sur chacune des boîtes. Ensuite, nous avons entrepris de les numéroter, ce qui impliquait de manipuler les plaques de verre une par une. C’est là que nous nous sommes aperçus qu’environ un quart d’entre elles ne pouvaient pas, au vu de leur grande fragilité, être maniées sans risques. Nous avons les avons donc isolées tandis que les 1500 plaques restantes ont été dépoussiérées, numérotées puis soigneusement rangées par format avant de partir en numérisation. A leur retour, les originaux ont été mis en magasin et leurs fichiers numériques ont été positivés.
Le fonds ainsi numérisé a alors été décrit pièce par pièce : une dizaine de lignes indique, pour chaque image, son sujet, sa date, son support… Ces descriptions ont été placées avec les photographies qui leur correspondent, sur la base de données « Mémoire » du ministère de la Culture, accessible à tous.
Comment ce fonds pourrait-il être valorisé à l’avenir ? Quelles modalités de diffusion sont envisagées ?
Notre mission première est de rendre accessible ces images au plus grand nombre par le biais de notre base de données. Cette entreprise de valorisation immédiate constitue notre cœur de métier car nous sommes un centre d’archives, nous n’avons pas de salle d’exposition.
Il existe néanmoins d’autres manières de faire connaître le fonds, de renseigner son histoire. Ainsi, un colloque sera organisé à la fin de l’année avec le laboratoire de recherche du CNRS afin d’étudier la sérialité de l’œuvre photographique et littéraire de Zola. Si des partenariats sont mis en place, nous pourrons également envisager de réaliser des expositions ou des livres - à l’instar de ce qui a été fait pour le fonds Willy Ronis, par exemple. La MAP n’a cependant pas le monopole de ces initiatives, et c’est aussi notre vocation de permettre à d’autres personnes de s’emparer de ces images en venant nous proposer leurs propres projets de valorisation.
Soutenez la restauration du fonds Émile Zola !
Si la majeure partie des plaques de verre réalisées par Emile Zola a été numérisée et rendue accessible au grand public, plus de 500 négatifs doivent encore être remis en état. « Emile Zola utilisait des plaques de verre au gélatino-bromure d’argent, achetées dans le commerce. Malheureusement, celles-ci se dégradent facilement lorsqu’elles sont conservées dans de mauvaises conditions », explique Bruno Martin, chargé d’études documentaires à la MAP. Entreposées dans des greniers ou des caves, elles voient leur couche sensible se morceler en des lambeaux plus ou moins concentriques, formant ce que les spécialistes ont appelé, non sans poésie « une fragmentation en pétales de rose ». Lorsque ces dégradations sont très avancées, comme c’est le cas pour le fonds Émile Zola, cette couche sensible atteint un niveau de fragilité tel qu’elle est susceptible de s’émietter à la moindre manipulation.
« La restauration de ces plaques consistera à réajuster les morceaux séparés et à stabiliser la couche d’image grâce à du verre de doublage », précise Bruno Martin. Cette opération délicate nécessite l’expérience d’un restaurateur spécialisé dans la photographie ancienne et une campagne de financement participatif a été lancée afin de réunir la somme correspondant au devis de ce spécialiste. « Ces photos abîmées sont aussi des photos inédites : rendues intouchables par les dégradations, elles n’ont, pour la plupart d’entre elles, jamais été exploitées », rappelle Bruno Martin. « Cette restauration permettrait de compléter de manière tout à fait significative notre connaissance de Zola photographe et d’élargir cette connaissance au plus large public possible », ajoute-t-il en guise de conclusion.
La campagne de financement participatif pour la restauration de cet exceptionnel fonds photographique est ouverte jusque mi-novembre sur la plateforme Commeon.
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