C’est l’une des mutations les plus ambitieuses de ces dernières années. Les bibliothèques et médiathèques publiques, qui constituent le premier service culturel de proximité sur l’ensemble du territoire, connaissent aujourd’hui une transformation sans précédent de leur activité. Cette transformation, accompagnée par le « plan bibliothèques » lancé en 2018 par le ministère de la Culture, fait naître de nouvelles manières de travailler avec les publics, alliant continuité et forte transformation des pratiques.
Après « ouvrir plus », qui concrétisait l’extension de leurs horaires d’ouverture, et « offrir plus », qui consacrait l’élargissement de leurs missions dans les champs éducatif, social et numérique, le troisième volet du plan, qui a été l’objet des deuxièmes rencontres nationales qui se sont tenues le 15 novembre à la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou, à Paris, portait sur un angle inédit de cette transformation : « mieux former » aux métiers des bibliothèques.
Pour illustrer ce volet, nous nous sommes penchés, à l’occasion de la publication de « Bibliothèques territoriales, dispositifs d’accompagnement de l’État et témoignages d’élus », une brochure conçue par la Fédération nationale des collectivités pour la culture (FNCC) en partenariat avec le ministère de la Culture, sur le parcours de cinq professionnels des bibliothèques, qui témoignent de l'évolution de leurs compétences et du renouveau de la lecture publique, conditions indispensables à une véritable « démocratie culturelle ».
Des bibliothèques pour les petits et tout petits
A Rennes comme partout, on aime faire lire les enfants, et on aime aussi les faire lire en famille. Comment s’y prendre ? D’abord inscrire la petite enfance dans le projet élaboré en commun par les bibliothécaires de la ville, les élus et le conseiller livre et lecture de la direction régionales des affaires culturelles (DRAC). Ce projet, solidement inscrit dans un Contrat territoire lecture (CTL ou bien un CDL, contrat départemental), l'un des dispositifs d'accompagnement du ministère de la Culture, permet de soutenir un ensemble d’actions de médiation, et notamment celles qui bénéficient à la petite enfance.
Pour Malik Diallo, directeur de la bibliothèque « Les Champs libres », à Rennes, rien ne remplace « un dialogue suivi entre les élus, les bibliothécaires et les conseillers DRAC, qui renforce la dimension proprement politique des bibliothèques. » C’est qu’en effet l’engagement est de taille et doit être vitalisé, réfléchi, amélioré, réinventé en permanence.
Ainsi, groupes et professionnels petite enfance se retrouvent régulièrement à Rennes, pour des séances de lectures animées (« Quinzaines de la petite enfance », « Semaine du doudou »…). Les familles elles aussi sont accueillies, comme pendant « L’été à Rennes », dans des rencontres familiales qui se tiennent en soirée, dans l’espace commun social, pour favoriser l’intergénérationnel.
Toutes ces initiatives peuvent se soutenir du programme « Premières Pages » qui accompagne financièrement les collectivités pour sensibiliser les enfants au livre dès le plus jeune âge, et qui permet aux bibliothèques départementales de travailler avec les services « petite enfance » des départements, en particulier les centres de protection maternelle et infantile (PMI), ou encore du dispositif « Des livres à soi », conçu par le ministère de la Culture, qui forment les parents pendant 8 à 10 mois à la littérature jeunesse et à la lecture partagée.
Des bibliothèques pour les jeunes
Les initiatives remarquables ne manquent pas à Nancy, comme l’explique Juliette Lenoir, conservatrice générale des bibliothèques de la ville. Cerise sur le gâteau, cette « résidence inversée » (il fallait y penser !) qui a vu une classe de CM2 d’un quartier périphérique s’installer pour une semaine, pour ses cours ordinaires, dans une salle magnifique de la bibliothèque patrimoniale, pourvue de boiseries du XVIIIe siècle. Les élèves déjeunaient au restaurant universitaire voisin et prenaient leurs récréations dans les jardins de la bibliothèque. Un comédien, une plasticienne, une bibliothécaire sont venus animer une présentation des collections anciennes autour du thème du voyage. Les enfants ont été l’objet d’un véritable témoignage d’hospitalité qui les marquera sensiblement, à n’en pas douter.
Car les enfants et les parents n’ont pas tous la chance de fréquenter les livres. L’Éducation artistique et culturelle (EAC) a cet avantage de pouvoir toucher les enfants et les jeunes dont les parents se sont éloignés de la lecture, dans les classes, à l’école, au collège et au lycée. C’est ainsi qu’on a monté à l’adresse des CP, toujours à Nancy, l’opération annuelle « Plongée dans la lecture », qui touche presque tous les enfants de cette classe d’âge : chacun reçoit une planche à compléter avec des autocollants disponibles qu’il va aller chercher dans toutes les bibliothèques et les librairies de la ville.
Là encore, l’appui de la DRAC, le cadre du CTL ou du CDL, et les dispositifs comme « Premières Pages » se révèlent précieux. S’y ajoutent d’autres dispositifs de l’État pour encourager les partenariats, notamment avec les établissements scolaires. Le Centre national du livre (CNL) aide les bibliothèques à acheter des ouvrages appropriés et soutient leurs actions de médiation. Le pass Culture, quant à lui, n’est pas en reste, puisque sa « part collective » permet aux bibliothécaires d’offrir à la réservation des enseignants leur offre culturelle pour ainsi dire clefs en main (rencontres avec des auteurs, ateliers, concerts…). Les bibliothèques y inscrivent aussi leurs offres individuelles à destination des 15-20 ans. Autre dispositif, « Jeunes en librairie » qui permet d’organiser une série de temps forts et passionnants avec tous les partenaires (auteurs, éditeurs, salons du livre, bibliothèques…).
Des bibliothèques pour tous
Les bibliothécaires ne restent pas cachés dans leurs bouquins, loin de là ! Ils développent depuis maintenant des années des relations fortes avec les acteurs du champ social dans les territoires. L’enjeu est bien sûr de ménager l’accès aux livres et à la lecture non seulement aux jeunes et aux familles mais encore aux publics placés sous main de justice, en établissements de santé ou médico-social, ou en situation de handicap. Ils inscrivent cette politique concertée dans un CTL ou un CDL et peuvent aussi faire appel au Centre national du livre (CNL) qui finance auprès d’eux des projets spécifiques, médiations et acquisitions d’ouvrages adaptés à ces publics.
A la municipalité de Vannes, par exemple, une ville où l’on trouve une maison d’arrêt de 200 places à laquelle s’ajoutera prochainement un centre pénitencier de 700 places, l’adjoint à la culture, Fabien le Guernevé, et les bibliothèques, travaillent étroitement avec le Service pénitentiaire d’insertion probatoire (SPIP) du Morbihan, et avec la Ligue de l’enseignement, l’association bien connue d’éducation populaire. Comme l’explique Françoise Le Viavant, directrice des médiathèques de Vannes, « nos médiathèques proposent des présentations d’ouvrages aux détenus ainsi que des sélections de documents liées aux projets culturels mis en place par la Ligue de l’enseignement. Certaines actions menées dans les bibliothèques sont aussi proposées aux détenus. Je pense par exemple à cette rencontre musicale sur le Blues, sous forme d’ateliers. Ou bien aux rencontres avec des auteurs et des illustrateurs, dans la Maison d’arrêt, à l’occasion du festival Livr’à Vannes. »
Vis-à-vis des publics empêchés, les quatre médiathèques de Vannes s’organisent principalement autour du dispositif « Facile à lire ». Ce label signale des espaces ouverts à tous les publics et notamment aux personnes qui n’ont jamais vraiment maîtrisé l’apprentissage de la lecture ou qui ont désappris à lire. Acquisitions et médiations sont alors réfléchies et financées en lien avec l’agence régionale Livre et lecture en Bretagne, et grâce à une subvention du CNL complétée par un effort financier de la Ville. « Nous avons aussi expérimenté une Bibliothèque humaine, ajoute Fabien le Guernevé. Une médiathèque invite certaines personnes à raconter leur histoire personnelle. L’une des thématiques a été celle des discriminations, avec des récits très forts : personnes âgées, jeunes… Le récit d’un de nos agents, porteur d’un handicap cognitif, était passionnant ! »
Des bibliothèques numérisées numérisantes
« Le numérique aujourd’hui est un outil puissant d’aide à l’insertion sociale, la reconversion professionnelle, l’apprentissage des langues, l’aide administrative… D’où l’intérêt du label « Bibliothèque numérique de référence » (BNR), attribué par le ministère de la Culture, explique Yoann Bourion, directeur des bibliothèques de la Ville de Bordeaux : l’accompagnement d’un projet politique de lecture publique et non pas seulement d’aménagement ou d’équipement. A Bordeaux, notre approche se fonde ainsi sur l’accessibilité et l’inclusion au numérique au quotidien. Ce qui ne nous empêche pas de valoriser nos collections patrimoniales (la numérisation des fonds Montaigne, Montesquieu, Mauriac, archives du port de Bordeaux…) qui font de Bordeaux aujourd’hui la candidate de la France au label Unesco « Mémoire du Monde » ! »
Grâce au label BNR, qu’elle espère renouveler en 2023, et qui couvre souvent plus de 50% des frais d’un projet, la Ville de Bordeaux « développe une véritable convergence numérique entre les bibliothèques de la Métropole, explique Dimitri Boutleux, adjoint à la culture du maire de Bordeaux. Elle permet un partage des données qui accroît l’effet réseau et un sentiment plus fort d’appartenance territoriale. Ainsi pouvons-nous mettre le numérique au cœur de nos stratégies de politique des publics. Par exemple, notre cycle de conférences sur l’esprit critique, la « Fabrique du citoyen », s’appuie sur des captations vidéo pour des podcasts, sur la création d’une chaîne Youtube, le téléchargements d’e-books, les ressources numérisées à destination des chercheurs, des enseignants… Par là nous essayons aussi de lutter contre la fracture numérique et l’illectronisme. »
Une bonne politique des publics s’appuie, d’évidence, sur de bons outils, propres à soutenir une offre de services adaptée aux demandes des usagers. Ceux-ci s’attendent à trouver désormais, dans une médiathèque, un équipement de qualité (ordinateurs, tablettes, consoles de jeux, imprimante 3D…), mais aussi des ressources en ligne et des ouvrages numérisés, pour s’instruire, s’informer, se former, communiquer, et aussi se divertir… Ils sont intéressés à l’initiation, par exemple, à la création numérique (livres en réalité augmentée, création sonore et visuelle…). En ce sens la transformation des bibliothèques a été puissamment engagée. Elle commande des investissements d’équipements et de formation propres à renforcer les compétences des professionnels (logiciels métiers, wifi, RFID…). Autant d’opérations coûteuses et complexes où l’Etat accompagne les investissements des collectivités, grâce au concours particulier « Bibliothèques » de la Dotation générale de décentralisation (DGD), un des dispositifs du ministère de la Culture pour accompagner les bibliothèques.
Des bibliothèques sans murs
Si tu ne vas pas à la bibliothèque, pourquoi la bibliothèque n’irait pas jusqu’à toi ? Quand tu es à la plage, par exemple, ou ailleurs, ou même chez toi, mais loin de la ville ? Une formule peu réaliste ? Pas du tout. Les bibliothèques, sachons-le, se promènent « hors les murs ». Leur manière à elles d’inventer de nouveaux moyens d’aller au contact des citoyens : services de portage des documents à domicile, pour les personnes vulnérables, notamment, qui ne se déplacent pas ou rarement, et une grande diversité d’actions et d’animations qui vont de l’expo itinérante à l’animation en plein air, en passant par la médiation en prison ou en EHPAD…
Pour Cécile Helle, maire d’Avignon, dynamiser la politique culturelle à l’échelle de la Ville passe par les bibliothèques, qui sont « les seuls équipements publics culturels présents dans l’ensemble des quartiers. » Mais loin de s’arrêter là, l’équipe municipale, avec le soutien de la DRAC et la DGD, s’est piquée au jeu de développer une bibliothèque hors les murs. « Pendant les périodes de confinement de la crise sanitaire, nous avons développé le « click & collect » et les lectures-audio, puis la lecture en plein-air, dans les parcs. Puis, pour inscrire cette action dans la durée, nous avons fait appel à la société qui a créé, pour l’ONG Bibliothèque sans frontières, une bibliothèque mobile : Ideas Box. Il s’agit de plusieurs modules (jeunes publics, adultes, magazine-presse, ludothèque, tablettes tactiles pourvues de livres numériques) rangés dans des caissons à roulettes.
« Dès le printemps, nous déployons ces Ideas Box avec un grand succès dans les parcs de la ville. Une ambiance de pique-nique culturel sur une centaine de mètres carrés ! Avec deux médiateurs de plus dans notre équipe, nous tâchons d’aller jusqu’au bout de notre proposition : non pas en rester au consumérisme culturel ou à "l’occupationnel", mais bien amener les gens à découvrir, grâce à des temps de lectures ou d’ateliers, le réel apport de culture d’une bibliothèque et à retrouver le plaisir de lire. Ce doit être, à mon sens, pensé comme un sas vers le réseau plus classique des bibliothèques de la ville. »
A noter : le nouveau référentiel des compétences et les chiffres clés des bibliothèques sont des ressources proposées par le ministère de la Culture.
Retrouvez toutes les informations utiles sur le site de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, et notamment son guide "Bibliothèques" consultable en ligne.
Compétences, innovation, numérique… 10 objectifs pour mieux former les professionnels
1. La poursuite de la concertation avec tous les acteurs.
2. La publication de statistiques concernant les professionnels des bibliothèques et leur accès à la formation.
3. Un référentiel national de compétences, partagé et évolutif.
4. Une meilleure coordination de l’offre de formation à l’échelle régionale, pour la rendre plus lisible et plus accessible.
5. Des modalités d’accès aux concours mieux adaptées aux futures compétences professionnelles et une prise en compte de la réforme de plusieurs diplômes universitaires.
6. Des formations post-recrutement améliorées et prolongées pour que les employeurs disposent de cadres mieux formés à leurs nouvelles responsabilités.
7. Une réflexion sur l’élaboration d’une formation de base librement accessible en ligne.
8. Des modalités de formation innovantes et adaptées en Outre-mer.
9. L’incitation à développer l’apprentissage en bibliothèque.
10. Un rendez-vous annuel, permettant à la profession d'échanger autour de ces enjeux de formation et de suivre l’avancement des différents chantiers engagés.
A noter : ces objectifs, identifiés dans le cadre d'une large concertation associant le Centre National de la Fonction Publique Territoriale et l’ensemble des partenaires (professionnels, élus et acteurs de la formation), ont été présentés lors de ces Assises et sont en cours de mise en œuvre.
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