2.Les mécènes, collectionneures et galeristes
Madame de Pompadour et Madame du Barry
Les deux maîtresses de Louis XV, Madame de Pompadour (1721-1764) et Madame du Barry (1743-1793) vont jouer un rôle important dans la vie artistique.
Issue d’une famille de la bourgeoisie financière, fille d’un fermier général, Jeanne-Antoinette Poisson bénéficie d’une éducation artistique soignée, puisqu’elle est formée à la musique et à la danse auprès du chanteur Pierre de Jélyotte (1713-1797) et au théâtre auprès de Prosper Jolyot Crébillon (1674-1762). Épouse de Charles-Guillaume Le Normant d’Étiolles (1717-1799), seigneur d’Etiolles, sous-fermier général et chevalier d’honneur au présidium de Blois, elle fréquente les salons cultivés et mondains de Paris, où elle rencontre les écrivains Marivaux ou Diderot.
D’après les vers de Voltaire, Louis XV (1710-1774) séduit la jeune femme lors du bal donné en l’honneur du mariage du dauphin Louis-Ferdinand, à la suite duquel il décide de l’installer au château de Versailles, dans un appartement situé au-dessus du sien. Désanoblie après un mariage qu’elle vient de rompre, Jeanne-Antoinette se doit de recevoir un nouveau titre, celui de marquise de Pompadour, pour devenir maîtresse du roi. Si l’élue apparait comme une usurpatrice aux yeux de la Cour, puisque sa place de favorite était jusqu’alors réservée aux seules femmes de la noblesse, la marquise de Pompadour parvient toutefois à régner sur Versailles. Alors qu’elle fait nommer, en 1751, son frère, le marquis de Marigny, au poste de surintendant des bâtiments du Roi, elle obtient, bien vite, la mainmise sur la production artistique du royaume. Son influence touche tous les arts, aussi bien l’architecture, les arts décoratifs, la peinture et la sculpture, tout autant que le domaine de la guerre, de la marine...
Grâce à une rente annuelle, elle fait l’acquisition de plusieurs demeures, tels le château de Crécy, de La Celle-Saint-Cloud, de Ménars, de Bellevue et de l’hôtel d’Évreux, l’actuel palais de l’Élysée, qu’elle fait aménager par des artisans de renom. Elle offre notamment son soutien attentif à la Manufacture de Sèvres qui réalise plusieurs garnitures et autres objets d’art pour ses habitations. Comme elle se veut l’instigatrice d’un nouveau style en matière d’arts décoratifs, elle fait aussi appel à des ébénistes, comme Jeann-François Oeben (1721-1763), qui privilégient un retour aux formes droites et rectilignes, débarrassées des ornements du "style rocaille". Sensible aux évolutions et aux modes de son temps, elle participe à la naissance du "style à la grecque".
Utilisant son image à des fins de propagande politique, elle commande à plusieurs peintres son portrait. Ainsi, en 1748, Jean-Marc Nattier (1685-1766) la représente sous les traits de Diane, selon la mode du portrait mythologique (Saint-Omer, musée de l'hôtel Sandelin). En 1750, François Boucher la figure entourée d’objets qui évoquent son rôle de protectrice des arts, sciences et lettres (Paris, musée du Louvre). Alors qu’en 1751, la favorite devient amie et confidente du roi et entend, à ce titre, se positionner comme sa conseillère, elle commande à Maurice-Quentin de Latour (1704-1788) son portrait au pastel, qui se veut un véritable programme politique (Paris, musée du Louvre) : assise dans un cabinet décoré de boiseries, vêtue d’une robe à la française, le modèle pose au milieu des ouvrages tels que l'Encyclopédie, De l'esprit des lois de Montesquieu (1689-1755), la Henriade de Voltaire ou le Traité des pierres gravées de Pierre-Jean Mariette (1694-1774).
Également amatrice de sculpture, elle s’entoure de Jean-Baptiste II Lemoyne (1704-1778), sculpteur favori du Roi. Celui-ci représente la marquise dans un groupe sculpté intitulé Vestumne et Pomone (1760, Paris, musée du Louvre), qui souligne la passion de la jeune femme pour la comédie, tout en faisant référence au rôle de Pomone joué par la marquise, dans une pièce de théâtre, devant le roi. Autre sculpteur, Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785) répond également à plusieurs commandes, notamment à Madame Pompadour en Amitié (Paris, musée du Louvre), œuvre empreinte de douceur.
Ainsi, la marquise de Pompadour se veut la véritable cheville ouvrière d’un renouveau artistique au sein du royaume de France.
Le rôle de Madame du Barry est sans doute moindre – car plus bref - que celui de Madame de Pompadour. Madame du Barry ne sera pas moins liée à Elisabeth-Louise Vigée-Lebrun.
Sous le règne de Louis XVI, Marie-Antoinette et ses belles-sœurs montrent leur intérêt pour les arts. Elles choisissent, au sein de l’Académie, des artistes, qui sont des femmes et qui vont entrer à leur service : Elisabeth-Louise Vigée-Lebrun porte le titre de peintre de la Reine, Anne Valayer-Coster de professeur de dessin de la Reine, Adélaïde Labille-Guiard de peintre de Mesdames (c’est-à-dire les sœurs de Louis XVI). Ces titres induisent une rente, versée de manière plus ou moins régulière.
La duchesse de Berry et la duchesse d'Angoulême
A la Restauration, deux femmes vont jouer un rôle important à la cour : la duchesse d’Angoulême (1778-1851), que Napoléon Ier surnommait « le seul homme de la famille », et la duchesse de Berry (1798-1870). Cette dernière s’intéresse aux arts, et commande des œuvres à différents artistes. Mais son rôle reste surtout associé à l’insurrection de Vendée, en 1832, à laquelle participa également la sculptrice Félicie de Fauveau.
Les créatrices de musées
C’est dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle qu’apparaissent un certain nombre de personnalités féminines, qui vont imprimer une marque durable à la vie artistique. La plupart appartiennent à la bourgeoisie.
La première à entrer en scène a un statut particulier. Joséphine-Benoîte Coffin-Chevalier (1825–1874), actrice du Théâtre des variétés, épouse, à Paris, en 1852, John Bowes (1811-1885), fils non légitimé du comte de Strathmore et Kinghorne. Le couple s’installe d’abord dans le pavillon de Madame du Barry, à Louveciennes, où il commence à réunir une collection. Entre 1862 et 1874, les Bowes n’achètent pas moins de 15.000 objets et œuvres d’art ancien et contemporain. En 1869, ils décident de faire construire dans le nord-est de l’Angleterre un château, pour y présenter leur collection. Pour la partie moderne, cette collection se caractérise moins par des peintures exceptionnelles que par sa cohérence. Le paysage y occupe une place importante, avec des œuvres de Gustave Courbet (1819-1877), de Camille Corot (1796-1875) et des peintres de l’école de Barbizon. Joséphine pratique aussi la peinture de paysage avec un réel talent. La mort de Joséphine, puis de son mari, n’interrompra pas le projet et le musée ouvrira ses portes eu public en 1892.
Si les moyens financiers dont disposait Joséphine Bowes lui permettaient de pratiquer la peinture en amateure, il n’en va pas de même avec Nélie Jacquemart (née en 1841, comme Berthe Morisot) qui va d’abord faire une carrière très officielle de peintre, avant de collectionner.
Issue d’un milieu modeste, Nélie Jacquemart, encouragée par madame de Vatry, se forme dans l’atelier de Léon Cogniet (1794-1820), qui dessine notamment la jeune femme à la palette à la main, devant un chevalet (Paris, musée du Louvre). A l’âge de vingt-deux, elle fait son entrée sur la scène artistique officielle, en présentant deux toiles au Salon de 1863. Bien vite reconnue pour son talent, elle enseigne le dessin dans une école de Paris, reçoit des commandes publiques pour décorer des églises de la capitale (un Saint-Eugène pour l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, une Naissance de la Vierge et une Présentation au Temple pour l’église Notre-Dame-de-Clignancourt). Mais, ce sont ses portraits qui lui apportent sa renommée : elle remporte trois années de suite, de 1868 à 1870, la médaille du Salon. Sa clientèle se diversifie, passant de la bourgeoisie orléaniste du commerce à l’aristocratie royaliste et bonapartiste. En 1870, le Portrait du maréchal de Canrobert (Compiègne, musée national du château de Compiègne) contribue à accroitre sa célébrité.
Après avoir réalisé le portrait d’Édouard André (Paris, musée Jacquemart-André), président de l’Union centrale des arts décoratifs et du propriétaire de la Gazette des arts, Nélie Jacquemart accepte la proposition de la famille du riche banquier et épouse le vieil homme en 1881. Alors même que son mari fait aménager un atelier dans l’une des pièces centrales de leur résidence, elle arrête définitivement de peindre et s’adonne à des pratiques mondaines, organisant réceptions et concerts dans leur hôtel particulier du boulevard Haussmann. Restés sans enfants, les époux se consacrent à leur passion commune : la collection d’œuvres d’art. Le couple se lance dans les achats d’œuvres, à l’étranger, au gré de leurs voyages des Pays-Bas au Portugal. Recourant à l’expertise d’historiens de l’art ou de conservateurs de musées, ils acquièrent sculptures (marbres, bronzes, terres cuites), meubles, tissus, peintures (notamment italiennes) et même des fresques (fresque peinte par Giambattista Tiepolo pour la villa Contarini en Vénétie). Lors de leurs absences, ils font exécuter dans leur demeure parisienne des travaux d'aménagement et d'embellissement, afin de l’adapter aux nouvelles acquisitions.
A la mort d’Édouard André en 1894, Nélie Jacquemart hérite d’une grande fortune. Mais, le testament est contesté par sa belle-famille. Défendue l’avocat Waldeck-Rousseau, la veuve finit par gagner procès et obtient propriété et autonomie. Reprenant la collection du couple, elle l’étend à de nouveaux domaines artistiques mais aussi à des aires géographiques inconnues, puisqu’elle entreprend, seule, un voyage en Asie. Mais, elle interrompt son périple lorsqu’elle reçoit un télégramme lui annonçant la mise en vente du domaine de Chaalis, qu’elle décide d’acheter. Châtelaine de Chaalis à partir de 1903, elle aménage un second lieu pour ses œuvres d’art.
« Ces collections, leur arrangement, ont été le but de mes études, mes travaux y ont mis aussi leur empreinte… J’espère qu’elles serviront aux études de ceux qui se dévouent à l’art et à son histoire. » : le testament de Nélie Jacquemart, décédée en 1912, prend en compte la postérité de la collection, assurée par le legs fait à l’Institut de France de l’hôtel particulier parisien et du domaine de Chaalis. Les deux musées sont ouverts au public, l’année suivant, selon le souhait du légataire.
Autre créatrice de musée, Marie Labadié (1852-1944) donne à la ville de Marseille, en 1920, l’hôtel particulier et la collection qu’il renferme. Cette collection a été constituée par son père, Alexandre Labadié (1814-1892), puis enrichie par elle-même et ses deux maris, Bruno Vaysson (1840-1896) et Louis Grobet (1851-1917). Elle surveillera, et financera, les aménagements liés à l’ouverture au public et continuera à s’intéresser au devenir de l’institution. A sa mort, le musée qu’elle avait créé, bénéficiera d’un legs complémentaire.
Jeanne Magnin (1855-1937), et son frère Maurice (1861-1939), constituent, de 1881 à 1935, une collection, riche, notamment de peintures et de dessins des écoles du nord, italienne et française du seizième au début du vingtième siècles. Jeanne Magnin pratique la peinture, l'estampe mais aussi la technique du verre émaillé. Maurice lèguera leur collection à l'Etat, collection qui sera présentée dans un musée national, situé dans un hôtel particulier du dix-septième siècle, à Dijon, et portant le seul nom de Marcel Magnin.
Pour réunir sa collection d’art italien, Nélie Jacquemart s’appuie sur les compétences de Bernard Berenson (1865-1959), diplômé de Harvard. Ce dernier conseille dans le même temps Isabella Stewart-Gardner (1840-1924). Née à New York, Isabella Stewart épouse, en 1860, Jack Gardner (1839-1898), descendant de richissimes armateurs de Salem. Le comportement excentrique d’Isabella (la presse locale la surnomme « millionaire Bohemienne ») choque la société très conservatrice de Boston, où le couple s’installe. Isabella et Jack voyagent beaucoup. En 1891, Isabella hérite de son père près de deux millions de dollars. Le couple commence alors à collectionner : d’abord un tableau de Vermeer, bientôt un de Rembrandt, puis de Titien. Après la mort de son mari, Isabella travaille au projet de création d’un musée, à Boston, lequel ouvrira au public en 1903. Ses collections ne sont pas sans rappeler celles du musée Jacquemart-André. Au cours des vingt années qui vont suivre, Isabella encourage la création contemporaine et organise des concerts au musée. A sa mort, elle laisse le musée « for the education and enjoyment of the public forever ». En revanche, elle exige qu’aucun objet ne soit déplacé, ni vendu et qu’aucune œuvre supplémentaire ne soit acquise.
Bertha Palmer, à Chicago, et Louisine Havemeyer, à New York, font partie de ces femmes richissimes qui vont contribuer à donner aux musées de leurs villes une importance internationale. L’une et l’autre vont bénéficier des conseils de Sarah Tyson Hallowell (1846-1924). Née dans une famille Quaker à Philadelphie, Sarah Tyson Hallowell s’installe à l’âge de vingt ans à Chicago. Familière de l’Europe elle devient agent de Bertha Palmer, et contribue à faire découvrir l’impressionnisme à Chicago. Elle prend une part importante dans l’organisation de la World's Columbian Exposition, de 1893, à Chicago. C’est elle, notamment, qui est chargée de trouver les artistes susceptibles de décorer le Pavillon de la Femme. C’est sans doute grâce à Sarah Tyson Hallowell que, après le refus d’Elizabeth Gardner Bouguereau, le choix de B. Palmer se portera sur Mary Cassatt. En 1894, Sarah Tyson Hallowell s’installe en France (à Paris et à Moret-sur-Loing), avec sa mère, et sa nièce, le peintre Harriet Hallowell (1873-1943). Cette dernière a fait ses études à Boston, où elle est née. Son frère, George Hawley Hallowell (1871-1926), est peintre également. Harriet Hallowell expose au Salon de la Société nationale des beaux-arts en 1898, 1899, 1902 et 1903, principalement des portraits, en miniatures sur ivoire. Toutefois, elle présente, en 1901, à la Pennsylvania Academy of Fine Arts de Philadelphie une œuvre intitulée Near Fontainebleau, sans doute un paysage. Elle expose également à l’American Women's Club de Paris.
Pendant la première guerre mondiale, les dames Hallowell s’engagent comme volontaires à l’hôpital de campagne de Moret-sur-Loing. Elles poursuivront leurs œuvres de charité après la guerre, ce qui vaudra à Harriet Hallowell d’être décorée de la Légion d’Honneur en 1930.
Sarah Tyson Hallowell meurt à Moret, où elle est inhumée, près de sa mère. Sa nièce hérite de sa collection, composée notamment d’œuvres de Zorn, et de deux sculptures que Rodin lui avait offertes. A la fin de sa vie, Harriet Hallowell vit dans un relatif dénuement. Elle meurt à Moret, où elle est également enterrée.
D’une famille d’origine française, Bertha Mathilde Honoré (1849–1918), naît dans le Kentucky et arrive à Chicago à l’âge de six ans. En 1870, elle épouse un riche commerçant Quaker, Potter Palmer, de 23 ans son aîné. Après le grand incendie de Chicago, en 1871, la ville va connaître un développement considérable, auquel les Palmer contribuent et dont témoigne leur somptueux hôtel particulier, surnommé "The Castle". Bertha Palmer, connue comme la "reine" de la haute société locale, organise de nombreux événements et s’investit dans diverses associations charitables, ainsi que dans le Chicago Woman’s Club. Elle est également l’une des fondatrices de la Chicago Society of Decorative Arts, qui, en 1889, devient the Antiquarian Society of the Art Institute. Son mari est membre du conseil d’administration de la Chicago Academy of Design. Grâce à son extraordinaire développement, Chicago est élue pour accueillir, en 1893, l’exposition universelle célébrant le cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique : la World’s Columbian Exposition. Bertha Palmer est nommée présidente du conseil d’administration des Lady Managers et, à ce titre, organise des levées de fonds pour la création d’un Pavillon de la Femme, dont elle supervise la réalisation. Elle se dira alors « the nation’s hostess and the nation’s head woman servant ».
Afin de préparer l’exposition, Bertha Palmer voyage en Europe en 1891-1892. Elle est conseillée par Sarah Tyson Hallowell, qui l’a mise en relation avec Paul Durand-Ruel (1831-1922) dès 1889. Cette même année, elle avait acquis Sur la scène de Degas (1834-1917), pour 500$. Bertha Palmer possèdera pas moins de quatre-vingt-dix peintures de Claude Monet (1840-1927) au cours de sa vie, revendant régulièrement des œuvres pour en acquérir d’autres qu’elle estime de qualité supérieure. En 1893, la galerie du "Castle" est partagée en trois parties : un tiers consacré au romantisme, un tiers à l’école de Barbizon, un tiers à l’impressionnisme, avec, notamment, six peintures de la série des Meules de Monet, acquises en 1891. L’œuvre préférée de B. Palmer est Acrobates au Cirque Fernando, de Pierre-Auguste Renoir (1841-1917), tableau qui ornait sa chambre à coucher et sans lequel elle ne se déplaçait jamais, même lors de ses voyages en Europe. Elle fera sculpter son portrait par Auguste Rodin (1840-1917) et peindre son portrait par Anders Zorn (1860-1920). Elle est également célèbre pour la richesse de ses bijoux. Grâce aux conseils de Sarah Tyson Hallowell, elle porte son choix, pour décorer les deux tympans monumentaux du Pavillon de la Femme de la World’s Columbian Exposition, à Mary MacMonnies et à Elizabeth Gardner Bouguereau. Celle-ci déclinant la proposition, Bertha Palmer se tourne vers Mary Cassatt. Si Mary Cassatt ne se rend pas à Chicago, malgré les invitations pressentes de Bertha Palmer, les deux femmes resteront en contact. En 1896, Mary Cassatt félicite Bertha Palmer pour l’acquisition de Courses à Longchamp d’Edouard Manet (1832-1883).
Potter Palmer meurt en 1902. A partir de cette date, Bertha Palmer oriente sa collection vers la sculpture et les objets d’art, partageant son temps entre Londres, Paris, Chicago, et Sarasota (Floride). Elle est l’une des premières personnalités à avoir lancé la mode, parmi les gens fortunés de la côte Est et du Midwest, de passer la saison d’hiver dans cet État, où elle favorise le développement de l’élevage et de l’agriculture. Elle passe pour avoir doublé la fortune familiale pendant les seize années qui suivent la mort de son mari.
Elle fait d’importants dons d’argent pour permettre à l’Art Institute de Chicago d’acquérir des œuvres d’art. En 1922, ses deux fils donneront à cette institution trente-deux peintures et pastels provenant de la collection de leur mère, œuvres de Monet, Renoir, Camille Pissarro (1830-1903) et Degas, qui demeurent, encore aujourd’hui, les chefs-d’œuvres du musée. Cette donation génèrera d’autres actes de générosité de la part de collectionneurs. Car l’influence de Bertha Palmer a été assez importante pour que les collections se soient développées dans cette ville. A tel point que, des années plus tard, le président de l’Art Institute pourra dire : « A Chicago, on n’achète pas de Renoir. On les hérite de nos grands-mères ».
La famille de Louisine Elder (1855-1929) gère une raffinerie de sucre, à New York. En 1863, la raffinerie Elder s'associe à une autre raffinerie, celle des Havemeyer. Pour renforcer cette association, Henry Osborne, dit Harry, Havemeyer (1847-1907) épouse en 1870 Mary Louise Elder (1847-1897), une tante de Louisine. Mais le couple divorcera quelques années plus tard. Après la mort de son père, Louisine se rend à Paris, avec sa mère et ses sœurs, en 1874. A cette occasion, elle fait la connaissance de Mary Cassatt dont la personnalité l’impressionne. Pendant une dizaine d’années, Louisine fait de fréquents séjours à Paris et Londres. Sur les conseils de Mary Cassatt, elle acquiert des œuvres de Degas (1832-1917), Claude Monet (1840-1917) et Camille Pissarro (1830-1903). Jean-Jacques Henner (1829-1905) peint son portrait et, à Londres, elle acquiert des pastels de James Abbott Mac McNeil Whistler (1834-1903). De son côté, Harry acquiert des textiles japonais et des peintures de l’école de Barbizon. En 1883, Louisine épouse Harry Havemeyer. La naissance de trois enfants, la construction, à New York, d’une demeure décorée par Tiffany et Colman, vont interrompre les séjours en Europe jusqu’en 1891. Conseillés par Mary Cassatt, les Havemeyer acquièrent auprès de la galerie Durand-Ruel et d’Ambroise Vollard (1866-1939) un nombre impressionnant d’œuvres de peintres impressionnistes, mais aussi de Camille Corot (1796-1875), Gustave Courbet (1819-1877) et Édouard Manet (1832-1883). Les conseils de Mary Cassatt sont souvent suivis par les Havemeyer, masi pas toujours. Ainsi, ils refusent d’acheter le Bain turc de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) et Harry Havemeyer revend Le Déjeuner de Manet, tableau qu’il n’apprécie pas vraiment. Si les conseils de Mary Cassatt sont particulièrement avisés, en terme de peinture contemporaine, ils s’avèrent contestables pour ce qui concerne la peinture ancienne, à l’exception des œuvres du Greco.
Surnommé « Sugar King », Harry Havemeyer voit sa santé ébranlée suite à la mise en place de la loi anti trusts. Il meurt brutalement en 1907. Pendant la première guerre mondiale, les efforts déployés par Louisine Havemeyer pour améliorer l’ordinaire des soldats, lui vaudront le surnom de « Queen Jam ».
L’amitié de Louisine Havemeyer et de Mary Cassatt se renforce au début du vingtième siècle, lorsque Louisine s’engage résolument dans le combat pour le droit de vote des femmes, organisant des expositions d’œuvres de ses collections, dont les bénéfices sont reversés au National Women’s Party (elle en est l'une des cofondatrices). Elle crée la "Torche de la liberté", symbole des suffragettes américaines. Après avoir tenté de brûler une effigie du président Woodrow Wilson (1856-1924) devant la Maison blanche, elle est emprisonnée. A la suite de quoi elle crée un train, le "Prison Special", avec lequel elle sillonne les Etats-Unis, organisant des meetings en faveur du droit de vote des femmes. A la fin de sa vie, Mary Cassatt se brouillera avec Louisine Havemeyer, comme avec la plus grande partie de ses amis et de sa famille. Ceci n’empêchera pas Louisine Havemeyer de continuer à promouvoir l’œuvre de Mary Cassatt et, après la mort de cette dernière, de venir fleurir sa tombe à chacune de ses venues en France.
En 1922, elle Louisine Haavemeyer nommée chevalier de la Légion d’honneur et, en 1928, officier. En 1927, elle offre à l’Etat français le portrait de Georges Clemenceau à la tribune par Manet. Dès 1888, Harry Havemeyer avait fait le don d’une peinture (un portrait de George Washington) au Metropolitan Museum de New York. Il avait également fait des donations d’argent pour permettre l’ouverture de ce musée le samedi. En 1929, Louisine Havemeyer lègue, sous le nom de son défunt mari, 142 œuvres au Metropolitan Museum. Ses enfants complètent ce legs qui englobe finalement 1.967 objets. Le fils des Havemeyer, Horace, sera élu Bienfaiteur, puis Trustee du Metropolitan Museum. Electra, la plus jeune des enfants Havemeyer, créera un musée, consacré aux arts populaires, dans la ville de Shelburne (Vermont). Elle adjoindra à cette collection un certain nombre d’œuvres impressionnistes et de Manet, en mémoire de son père.
En 1961, les mémoires de Louisine Havemeyer seront publiées sous le titre Sixteen to Sixty: Memoirs of a collector. En 1993, le Metropolitan Musuem consacrera une publication à cette prestigieuse donation : Splendid Legacy: The Havemeyer Collection. En 1997-1998, le musée d’Orsay a organisé une exposition d’œuvres provenant de la collection Havemeyer.
Les galeristes et marchandes
La galeriste Berthe Weill joue un rôle majeur dans la première moitié du vingtième siècle, accompagnant les avant-gardes historiques, fauves et cubistes, puis l’École de Paris. Elle est moins connue que ses contemporains, Ambroise Vollard (1866-1939), Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979) ou Paul Rosenberg (1881-1959). Pourtant, est la première à vendre les œuvres de Pablo Picasso (1881-1973) et d'Henri Matisse (1869-1954), et elle organisa la seule exposition personnelle d'Amedeo Modigliani du vivant de ce dernier.
Dans sa galerie, fondée en 1901, elle lance des artistes majeurs : Raoul Dufy (1877-1953), André Derain (1880-1954), Maurice de Vlaminck (1876-1958), Diego Rivera (1886-1957), Georges Braque(1882-1963), Kees van Dongen (1877-1968), Maurice Utrillo (1883-1955), Léon Lehmann (1873-1953), Georges Capon (1890-1980) ou Henri Vergé-Sarrat (1880-1966). En 1905, elle est la première marchande des peintres fauves.
Berthe Weill a grandement contribué à la reconnaissance du talent des femmes peintres qu'elle expose à égalité avec leurs homologues masculins ; parmi elles, Suzanne Valadon (1865-1938), Jeanne Rosoy, Émilie Charmy (1878-1974), Marie Laurencin (1883-1956) et Jacqueline Marval (1866-1932).
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la Galerie Berthe Weill connaît un renouveau important, notamment en présentant les recherches du groupe Cercle et carré, pionniers de l'abstraction en France, à partir de 1939. Mais devant des difficultés financières insurmontables et la dangereuse montée du nazisme, Berthe Weill décide de fermer définitivement sa galerie en 1940. Après la Deuxième Guerre Mondiale, de nombreux artistes donneront des oeuvres, permettant ainsi d'organiser une vente publique destinée à subvenir aux besoins de l'ancienne galeriste, laquelle vit alors dans le plus profond dénuement.
Depuis 2009, la reconstitution des Archives Berthe Weill vise à rassembler toute la documentation inhérente à la galeriste et son activité. La documentation des œuvres dans les musées de France permet notamment d’identifier plusieurs œuvres vendues par sa galerie : Suzanne Valadon, Les Baigneuses, 1923 (Nantes, musée des Arts), Suzanne Valadon, L'Etable en Beaujolais, 1921 (Villefranche-sur-Saône, musée Paul Dini).
L’ouverture de la Galerie Jeanne Bucher s’inscrit dans le contexte de l’entre-deux-guerres en France, période marquée par l’internationalisation du marché de l’art et la vitalité des avant-gardes. Bien que moins nombreuses que les hommes, le rôle des femmes galeristes n’en demeure pas moins important dans la construction du marché de l’art parisien et la défense de l’art moderne.
Alsacienne d’origine, Jeanne Bucher (1872-1946) arrive en 1922 à Paris depuis la Suisse où elle s’était réfugiée durant la Première Guerre mondiale. Trilingue, elle tient en 1924 une bibliothèque de livres étrangers au 3 rue du Cherche-Midi, au-dessus de la boutique de Pierre Chareau (1883-1950). Rapidement cette bibliothèque devient un lieu de rencontres. En 1925, dans la boutique de Pierre Chareau, elle organise une première exposition de gravures, dessins et aquarelles de Jean Lurçat (1892-1966), Marcel Gromaire (1892-1971), Jules Pascin (1885-1930), Chaïm Lipchitz (1891-1973), Louis Marcoussis (1878-1941), mais aussi Pablo Picasso (1881-1973) et Valentine Prax (1897-1981).
Jean Lurçat l’incite à ouvrir sa propre galerie, ce qu’elle fait en 1929 au 5 rue du Cherche-Midi. Sans moyen financier particulier, elle est contrainte de fermer la galerie et pourra rouvrir un espace en 1935 grâce à l’appui de Marie Cuttoli (1879-1973) (collectionneuse et éditrice de tapisseries). Dans cette galerie située sur deux niveaux dans un pavillon du boulevard du Montparnasse, Jeanne Bucher défend Raoul Dufy (1877-1953), Fernand Léger (1881-1955), Man Ray (1890-1976), Lucio Fontana (1899-1966), Yves Tanguy (1900-1955), Otto Freundlich (1878-1943), Willi Baumeister (1889-1955), Jean Arp (1886-1966), Sophie Taeuber Arp (1889-1943), Etienne Hajdu (1907-1997), Arpad Szenes (1897-1995) et Vassily Kandinsky.
Pendant la guerre, Jeanne Bucher fait figure d’exception en continuant d’exposer (sans publicité) dans sa galerie Max Ernst (1891-1976), Otto Freundlich, Vassily Kandisky, Nicolas de Staël (1813-1955), Paul Klee (1879-1940) et bien d’autres, tous considérés comme « dégénérés » par les nazis. Elle fait également preuve de fidélité en protégeant des artistes en péril en leur prêtant des lieux pour qu’ils se cachent, et en leur procurant des faux-papiers.
Laurent Manoeuvre, Pascale Samuel & Franny Tachon
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