Premier du genre en France, le prix AWARE est une étape supplémentaire dans la reconnaissance des artistes femmes. Décerné par Audrey Azoulay le 31 janvier, il récompense deux artistes talentueuses, Judit Reigl, prix d’honneur, et Laëtitia Badaut Haussmann pour la catégorie artiste émergente.

« Dans Une chambre à soi, son livre manifeste, Virginia Woolf exprimait sa conviction que les artistes femmes étaient aussi nombreuses que les artistes hommes, qu’elles étaient portées par la même incandescence »,  rappelle Camille Morineau, co-fondatrice de l’association AWARE – Archives of Women Artists, Research and Exhibitions, qui a remis le 31 janvier le seul prix entièrement dédié aux artistes femmes. La référence fait écho aux propos de deux artistes femmes rapportés par Audrey Azoulay : « J’ai eu trois vies, disait Sonia Delaunay, une pour Robert, une pour mon fils et mon petit-fils et une plus courte pour moi-même ». « Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu un homme traitant une femme d’égal à égal et tout ce que j’aurai demandé, c’est cela », affirmait de son côté Berthe Morisot.

Prix Aware 2017 Judit Reigl

Vers la reconnaissance des artistes femmes

Ces témoignages, de la part de certaines des plus grandes artistes de leur temps, n’ont pas perdu de leur actualité. Ils sont un condensé du sens de l’action menée par AWARE depuis sa création en 2014. « Les musées achètent moins d’œuvres d’artistes femmes que d’artistes hommes, les livres d’art parlent moins d’elles. Les outils n’étaient pas là, il fallait faire quelque chose », explique Camille Morineau qui ne fait pas mystère du déclic qu’a été l’exposition « Elles » dont elle était commissaire. « Nous ne pouvions pas en rester là, l’urgence, après ce succès, était de reconstituer une mémoire qui avait disparu». Le travail mené par l’association peut aujourd’hui s’appuyer sur un cadre législatif qui, de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes à la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, en passant par la loi relative à l’égalité et la citoyenneté, « favorise l’égalité femmes-hommes dans tous les domaines de la création », comme l’a rappelé Audrey Azoulay.

Prix Aware 2017 (205) Laëtitia Badaut Haussmann

Un prix dédié à la création féminine

Cette année, une nouvelle étape dans la reconnaissance des artistes femmes dans l’art contemporain a été franchie avec la remise, le 31 janvier, du premier prix AWARE dont les lauréates vont recevoir une dotation de 10 000 euros grâce au soutien du Ministère de la Culture et de la Communication. Quatre rapporteurs, issus du monde de l’art, ont chacun pré-selectionné un duo d’artistes – une artiste émergente et une artiste expérimentée – et défendu leurs protégées devant un jury de huit professionnels, présidé par Alfred Pacquement. « Ce prix est une assurance supplémentaire d’être entendu dans une histoire faite de trop de silence », insiste Camille Morineau.

Une création au féminin plus que jamais forte et puissante

Les œuvres sélectionnées – témoignages d’une création éclectique interrogeant l’humain autant que foncièrement ancrée dans son époque – sont présentées en duo dans les vitrines du Palais-Royal jusqu’au 31 mars. Le dialogue entre elles est évident, qu’il s’agisse des œuvres en terre de Simone Fattal et des formes sculpturales en céramique de Laëtitia Badaut Haussmann qui en sont comme l’écrin, du rapport au vivant interrogé de concert par Cécile Beau et Gloria Friedmann, du corps en apesanteur et du non espace mondialisé présentés dans les peintures de Judit Reigl et Eva Nielsen, ou encore, de la sensibilité à la question de la surface et de la peau abordée par Dominique De Beir et Laurence Cathala.
Les lauréates de cette première édition du prix Aware sont Laëtitia Badaut Haussmann et Judit Reigl, dont la première exposition, faut-il le rappeler, a été organisée par André Breton, et dont l’œuvre, constituée de séries successives, est inscrite dans chaque grand moment de l’histoire de l’art contemporain. Un beau symbole pour une création au féminin plus que jamais « forte et puissante », selon Eva Nielsen.

Laëtitia Badaut Haussmann interroge la place du spectateur

Prix Aware 2017

Prix AWARE pour l’artiste émergente 2017, Laëtitia Badaut Haussmann (1980 – France) est diplômée de l’École nationale supérieure d’Art de Paris-Cergy. En 2010, elle participe au 55e Salon de Montrouge et à l'exposition Dynasty. Elle intègre ensuite le programme du Pavillon au Palais de Tokyo en 2011 et a été lauréate de la résidence de la Villa Kujoyama en 2016. Son travail fait l’objet de plusieurs expositions dont récemment au Hepworth Wakefield en Grande-Bretagne et au MRAC de Sérignan. Ses œuvres sont présentes dans la collection du Centre National des Arts Plastiques et du FRAC Champagne-Ardenne. Elle nous a réservé sa réaction à chaud après l’obtention du prix.

« C’est un honneur d’avoir été nominée et d’obtenir à ce prix. C’en est un autre, tout aussi grand, d’avoir travaillé avec Simone Fattal, dont j’admire l’œuvre. Je remercie Sébastien Faucon d’avoir choisi de montrer mon travail dans le cadre de ce prix et Camille Morineau d’avoir engagé ce combat féministe encore essentiel aujourd’hui en 2016. Je pense à l’importance de ce prix pour pouvoir continuer à travailler, il faut une économie propre pour être en mesure de poursuivre son activité et sa création. Ce prix AWARE est très précieux, mais sa création ne doit pas dispenser les prix qui existent déjà de récompenser des artistes femmes. Quand j’étais une jeune artiste et que je n’avais pas encore un travail pouvant faire autorité et parler pour moi, j’ai parfois perçu un questionnement sur la légitimité de ce que j’entreprenais. Aujourd’hui, c’est différent bien sûr : toutes les personnes avec lesquelles je suis en contact sont spontanément bienveillantes vis-à-vis de ma démarche artistique. Mais sur un plan plus global, les choses restent compliquées, il n’y a qu’à voir le très faible nombre de monographies consacrées à des artistes femmes.    

« Dans mon travail, je développe systématiquement des propositions ou des réponses en fonction de la nature de l’invitation, du lieu, voire de l’histoire du lieu, je suis toujours sur des projets sur-mesure ; s’agissant des plateformes et des formes en céramique, c’est un projet que j’ai entamé il y a un an et demi et qui fonctionne comme réceptacle pour le corps du spectateur ou pour d’autres œuvres. C’est lié à des temps, à des questions d’espace, mais aussi à un mode de vie actuel, à un mode de consommation, à la rapidité du regard ; pour moi la proposition d’une assise devient essentielle ; quand on est en face d’une photo, d’une sculpture ou d’un tableau, il y a des choses qui surgissent du fait de leur proximité qui ne surgissent pas après, je souhaitais redéfinir ce moment-là.

« C’est lié aussi à une évolution dans mon travail, à des projets qui ont été mis en place, notamment une recherche que j’ai faite sur la muséographie du Palais de Tokyo avec des banquettes de Charlotte Perriand. Ces banquettes, commandes publiques de l’Etat en 1962, dont beaucoup ont disparu, m’ont questionnée. Elles sont sur le marché du mobilier vintage signé. Le Mobilier national en possède une. En revanche, un chewing-gum est collé sous celle du Louvre. On est déjà dans cette ambiguïté d’un mobilier moderniste qui entre dans les collections ou qui est utilisé. Du coup, cette sacralisation d’une production fonctionnelle m’a intéressée et permis d’avoir une autre approche. Enfin, c’était aussi lié à un très beau texte de Gertrude Stein. Quand elle allait dans les musées, il lui arrivait de s’endormir sur les bancs après avoir regardé les peintures. Quand on lit cela, c’est magnifique ».