Je remercie sincèrement le président Michel Boyon, non seulement de
m’avoir invité à clore cette journée de débats, mais également de l’avoir
initié, afin de pouvoir débattre collectivement des enjeux et des questions,
réelles et fantasmées, que posent les télévisions connectées à internet.
Le développement de nouveaux services disponibles sur les équipements
connectés, dont vous avez abondamment parlé aujourd'hui, illustre en
France une des nouvelles tendances offerte par le numérique, déjà
constatée depuis une dizaine d'années : celle de la montée en puissance
de réseaux moins régulés par rapport au monde de la diffusion hertzienne,
bien que celle-ci reste largement majoritaire dans les usages quotidiens
des Français.
Les téléviseurs connectés matérialiseraient ainsi, au coeur même des
foyers, la rencontre entre d’une part les services de médias audiovisuels
classiques, soumis à une régulation conséquente (protection de l’enfance,
encadrement de la publicité, respect de la dignité de la personne humaine,
obligation de production et d’exposition des oeuvres européennes et
françaises.) et d’autre part l'accès aux services moins régulés de vidéos
disponibles en ligne, vidéos notamment générées par les utilisateurs,
comme par exemple sur les sites YouTube ou Dailymotion, pour citer un
acteur national d'envergure mondial.
L’un des exemples les plus concrets qui vient spontanément à l’esprit
concerne le jeune public : il est en effet très délicat, sur le téléviseur du
salon, d'assurer aujourd’hui une protection des mineurs aussi efficace sur
des contenus nettement moins régulés que sur l'audiovisuel
« traditionnel ».
Nous touchons là une question sociétale d’envergure : l’équilibre entre
l’absolue liberté de la création et la responsabilité de tous, à commencer
par les pouvoirs publics, pour définir le cadre dans lequel cette liberté
s’épanouit, au bénéfice de l’intérêt général. Si le média télévision est
devenu au fil du temps si chers aux Français, et si sa place est confortée
avec le virage numérique – comme le montre les dernières études relatives
à la consommation horaire de télévision – c’est bien que cette formidable
invention a su établir un lien de confiance avec chacun d’entre nous. Cette
confiance, ce lien intime, constitue à mes yeux la meilleure garantie pour
que puissent se développer la liberté éditoriale de nos chaînes de
télévision, se déployer l’inventivité de nos créateurs, et que la télévision
puisse ainsi nous rassembler et être un vecteur puissant de lien social.
Un autre exemple concret des bouleversements induits par les téléviseurs
connectés concerne l’accès aux contenus audiovisuels. L’offre de
programme des chaînes de télévision traditionnelles ne risque-t-elle pas
d’être perdue, noyée dans l’océan des vidéos qui circulent aujourd’hui sur
internet ? Et ce faisant, le rôle de médiation que jouent les éditeurs de
chaînes de télévision ne doit-il pas être redéfini, voire conforté ?
Ce sont là des problématiques que l'on retrouve déjà avec la vidéo à la
demande. Ce sont là des questions que pointent très justement
Dominique Richard dans le rapport qu’il m’a remis récemment sur les
perspectives de l’audiovisuel en 2015, et qui est aujourd’hui public. Dans
le cadre des constats et préconisations plus larges que dressent
Dominique Richard, et qui seront prochainement soumis à la consultation
des professionnels sous l’égide des services de mon ministère, mon
attention a été particulièrement retenue par ses réflexions concernant les
télévisions connectées.
Il s’agit d’un sujet passionnant car nous sommes ici au coeur de plusieurs
formes de réglementation, allant de l’autorégulation des acteurs entre eux,
à la corégulation, et jusqu’à l’édiction de règles normatives de nature
législative.
Faut-il être inquiété par ces bouleversements technologiques ? Faut-il au
contraire y voir, pour reprendre les termes employés par Michel Boyon,
une « cure de jouvence » pour les acteurs de l’audiovisuel, invités à se
projeter vers l’avenir et à étoffer leur offre de service, à enrichir leur
relation avec les téléspectateurs ?
Tout est question de proportion, d'équilibre, du rôle que continueront à
jouer les acteurs régulés, notamment les éditeurs. Pour ma part, je ne
doute pas que nous saurons concilier l'exigence qualitative qui a toujours
été la nôtre avec l'évolution des techniques, comme nous avons su le faire
par le passé.
Pour certains, la sélection des chaînes par le Conseil supérieur de
l'audiovisuel pourrait à terme apparaître comme une procédure toute
relative dans un monde de profusion, s'il est aussi aisé, par exemple,
d'accéder de manière tout aussi transparente à une chaîne de télévision
via une télévision connectée ou une box que si celle-ci était disponible sur
la TNT.
Ainsi encore les enjeux liés à la numérotation des chaînes de la TNT
seraient-ils à relativiser avec l'apparition de l'interface de services comme
la Google TV, qui pourraient donner au téléspectateur une certaine
latitude dans l'organisation de l'offre de services.
Ces tendances doivent toutefois être appréciées avec circonspection,
dans la mesure où elles demanderont à être confirmées et ne devraient
produire leurs effets que sur le long terme. En effet, même si je suis
conscient que les nouvelles technologies s'insèrent dans notre quotidien
toujours plus vite qu'on ne croit, je sais que nos concitoyens restent
profondément attachés à une télévision de « rendez-vous », partagés
ensemble au même moment.
Deux risques clairs pour les éditeurs de services audiovisuels sont
toutefois aujourd'hui identifiés :
un nouveau palier dans la fragmentation des audiences, compte tenu de
la richesse accrue et de la diversité des offres d'accès aux contenus
audiovisuels ;
la dés-in-ter-médiation possible entre l'éditeur et le téléspectateur, qui
verrait soit des fabricants de tv connectées, soit des détenteurs de droits
(par exemple des studios américains) proposer directement des contenus
aux téléspectateurs, de manière exclusive . Compte tenu du rôle central
joué par les éditeurs de services dans production audiovisuelle, ces
éléments appellent une réflexion sur l'évolution des modalités de
régulation et de contribution au financement de la création des contenus
audiovisuels, notamment disponibles sur Internet.
Concernant la fragmentation des audiences, je souhaiterais faire un bref
rappel historique de l'évolution du paysage audiovisuel en rappelant que
la diffusion par voie hertzienne terrestre a constitué pendant très
longtemps l’unique mode de distribution des services de télévision.
Initiée dans les années 80 et 90 par le déploiement des réseaux câblés
puis par le lancement de satellites dédiés à l'audiovisuel, les vecteurs de
diffusion de le télévision se sont profondément diversifiés ces dix
dernières années: d’une part avec la forte croissance des accès à la
télévision par ADSL; d’autre part par le lancement de services de
télévision en mobilité qui, jusqu’ici, demeurent limités à des offres sur les
réseaux de téléphonie mobile, faute d'un modèle économique à ce stade
crédible pour la mise en oeuvre d'une véritable télévision mobile
personnelle.
Le numérique a clairement changé la donne, et ce, sur tous les vecteurs
de la diffusion y compris le hertzien terrestre bien entendu, en permettant
d'offrir un très large choix de chaînes. Ceci a mécaniquement entraîné
une fragmentation des audiences au niveau des chaînes, qui se doivent
aujourd’hui de proposer des marques puissantes, très éditorialisées, pour
se distinguer.
Le numérique offre aussi une formidable opportunité d'enrichissement de
l'offre de programme sur sa composante qualifiée souvent de non-linéaire,
que sont principalement la télévision de rattrapage et la vidéo à la
demande. Si l'Internet constitue un des vecteurs d'accès à ces services, il
ne faut pas oublier que ce n'est pas le seul. Les services de télévision par
ADSL, par câble mais aussi prochainement par la TNT sont également
des vecteurs plus qu'intéressants pour ce type de programmes.
Je compte bien entendu sur les éditeurs du paysage audiovisuel pour
montrer naturellement la voie de ces nouveaux services, en se montrant
imaginatifs, innovants et ouverts. Je sais qu'ils le sont déjà et que leurs
programmes en télévision de rattrapage sont déjà largement prisés de
leurs « télé »spectateurs. Je salue ainsi la démarche entreprise par les
éditeurs de la télévision numérique terrestre (TNT) dans l’élaboration
d’une charte commune avec les fabricants, sur les modalités d'affichage
des contenus et services en ligne sur les téléviseurs et autres matériels
vidéo connectés.
Je suis comme eux attaché à ce qu'ils puissent conserver la maîtrise de
leurs programmes et l'intégrité de leur contenu, et à ce que puisse être
garanti un accès non discriminatoire à tous les éditeurs et fournisseurs de
contenus Et je suis également favorable à la mise en place d'une
technologie ouverte et interopérable qui permette l'association la plus
large des services linéaires et des services en ligne, au service de tous.
Concernant la dés-inter-médiation possible entre l'éditeur et le
téléspectateur, elle représente effectivement un risque possible, comme
cela a été évoqué aujourd'hui, même si celle-ci pourrait peut-être se limiter
aux services minoritairement consommés, mais relevant de l'effet de
longue-traîne.
Compte tenu du rôle central joué par les éditeurs de services dans la
production audiovisuelle et cinématographique, l'adaptation de nos
dispositifs de soutien à la création est l'un des enjeux majeurs qui doit
nous occuper dès maintenant, si nous voulons que perdure la diversité
culturelle que nous avons toujours défendue et qui nous a si bien réussi.
Cette diversité est un enjeu majeur pour mon ministère. Sa défense et sa
promotion à l’ère numérique constituent des défis importants, que nous
commençons à relever : j’en veux pour preuve la réglementation adoptée
en matière de services de médias audiovisuels à la demande, qui, comme
vous le savez, a inclus ces nouveaux services dans le cercle vertueux du
financement de la création.
Afin d'anticiper ces évolutions, d'identifier les enjeux de régulation et de
compétitivité liés à son développement et d'en prévenir les effets sur les
équilibres de la production et de la diffusion audiovisuelle, je souhaite
donc lancer, conjointement avec Eric Besson, ministre en charge de
l'économie numérique, une mission sur ce sujet. Cette mission, nous
avons décidé de la confier à cinq personnalités qualifiées, aux profils,
aux expériences et aux activités suffisamment diverses pour embrasser la
richesse des problématiques soulevées par la télévision connectée : MM.
Marc Tessier, Philippe Levrier, Martin Rogard, Takis Candilis, et Jérémie
Manigne.
Je souhaite qu’ils puissent associer à leurs réflexions un groupe resserré
d’experts issus de l’ensemble des parties prenantes sur le sujet, allant de
l'écriture et la production du contenu jusqu’à sa mise à disposition auprès
de tous, consommateurs et jeune public, en passant bien entendu par
l’édition de services de télévision Ils disposeront bien sur de l’appui de
mes services ainsi que de ceux du ministère de l’économie numérique.
Leur mission consistera à faire un bilan des opportunités et des risques
liés au développement des tv connectées, appuyé sur l’évaluation des
enjeux industriels, économiques et réglementaires pour les différents
secteurs concernés en France, les conséquences sur la concurrence et, in
fine, sa portée pour les téléspectateurs.
Les recommandations dont nous souhaitons disposer d’ici la rentrée
prochaine, viseront à faire de l’arrivée des téléviseurs connectés une
occasion de renforcer la compétitivité de notre économie, de pérenniser le
financement des contenus et de la création audiovisuelle, en tenant
compte des enjeux de protection des téléspectateurs.
Ces recommandations seront utiles non seulement au plan national mais
également au plan communautaire.
Je les remercie d’avoir accepté cette responsabilité et de s’atteler à ce
travail rapidement, et vous remercie pour votre attention.
Discours
Discours de Frédéric Mitterrand prononcé à l'occasion de la clôture du Colloque sur les TV Connectées
Monsieur le président du Conseil Supérieure de l’Audiovisuel, cher MichelBoyon,Monsieur le président du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée,Cher Eric Garandeau,Mesdames et messieurs, chers amis,
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