À un an de l’ouverture de Paris 2024, l’Olympiade culturelle entend changer les regards sur le handicap à travers le prisme de quinze projets artistiques plus passionnants les uns que les autres. A l'occasion de la journée internationale des personnes handicapées, nous republions notre article du 26 juillet 2023.

C’est un programme qui se veut « inspirant », comme son nom l’indique. Souhaitant, dans le cadre de l’Olympiade culturelle, mettre en lumière des projets qui contribuent, selon Rima Abdul Malak, à une « société plus inclusive », le ministère de la Culture, en partenariat avec le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympique Paris 2024 (COJO), a sollicité le monde de la création pour des propositions artistiques inédites ayant pour objet – mais aussi comme sujet – le handicap.

Avec quinze propositions artistiques retenues sur l’ensemble du territoire (voir encadré), les résultats de l'appel à projets, qui ont été dévoilés le 18 avril, promettent, c’est peu de le dire, d’être à la hauteur des enjeux du programme. Les projets, plus passionnants les uns que les autres, rivalisent de créativité et d’inventivité pour faire du handicap ce qu’il est devenu : un enjeu majeur de la création d’aujourd’hui.

Parmi ces propositions, deux d’entre elles ont retenu notre attention : Loin de la mer, écrite et mise en scène par Lise Guez avec la Compagnie de l’Oiseau-Mouche et _p/\rc___, une chorégraphie signée Éric Minh Cuong Castaing avec la compagnie Shonen. « Le label Olympiade culturelle est une reconnaissance de la nature de notre projet, qui est, il faut bien le comprendre, un projet artistique. Il a simplement cette particularité qu’il rend visible une communauté qui demeure, la plupart du temps, proprement invisible », souligne Léonor Baudoin, directrice de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche, qui se réjouit de la « visibilité » que le label Olympiade culturelle va apporter sur « tout le territoire » au spectacle.

Même tonalité du côté de Shonen, la compagnie d’Éric Minh Cuong Castaing. « Ce label constitue une grande forme de reconnaissance pour le travail de la compagnie, pour le handicap et pour la danse, nous confie Claire Crova, directrice production & développement de Shonen. Il représente pour nous une formidable opportunité d'élargir la pratique de la danse spécifique, pour l'étendre au-delà de l’art, dans le domaine du sport, de la performance et de la culture. Il va permettre à _p/\rc___ de voyager et de créer une constellation, entre danse et handicap, sur le long terme ».

« Loin de la mer » : un parcours initiatique qui nous concerne tous

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Un collectif de vingt comédiens professionnels permanents qui forment un collectif d’artistes renouvelés depuis plus de quarante ans – la Compagnie de l’Oiseau-Mouche, installée à Roubaix –, voilà qui est bien dans l’air de notre temps, où la création théâtrale met en avant l’écriture de plateau et fait place, de mieux en mieux, à la créativité du comédien lui-même. Mais quand ces vingt personnes se trouvent être en situation de handicap psychique ou mental, on ne peut qu’imaginer les moments passionnants qu’ils peuvent réserver à leur public.« Il s’agit d’œuvrer à une véritable diversité du plateau, laquelle n’est pas seulement sociale ou culturelle, mais aussi celle des artistes en situation de handicap (qui sont du reste assez nombreux) », assure Léonor Baudoin, directrice de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche.

C’est aussi une expérience puissante pour les metteurs en scène qui viennent animer leurs recherches. Car ces artistes de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche se ménagent des rencontres fructueuses avec d’autres artistes. C’est ainsi que Lisa Guez (prix 2019 du festival Impatience pour Les Femmes de Barbe-bleue), déjà pourvue d’une solide expérience de travaux en hôpital psychiatrique, a rencontré la compagnie.

Convoquer chez chacun d'entre nous les plus douloureuses épreuves mais aussi les forces que nous avons pour les dépasser

« J’ai eu la chance, explique Lisa Guez, de pouvoir travailler avec les comédiens de l’Oiseau-Mouche en 2020 à l’occasion d’un atelier de cinq jours autour du conte La Petite Sirène d’Andersen. Ensemble nous avons cherché ce qui nous touchait dans ce texte : le désir d’être différent, le déracinement, la sensation de ne pas être compris par l’autre, les sacrifices qu’on fait par amour... Ensuite nous avons écrit des scènes en improvisation. La Petite Sirène est un conte plein de merveilles et de cruautés. Il permet de convoquer chez chacun d’entre nous les plus douloureuses épreuves mais aussi les forces que nous avons pour les dépasser ».

Nul doute que l’engagement des artistes en situation de handicap s’est révélé subtil, en discret décalage et propre à susciter l’émotion. « L’expérience douloureuse élève, précise Lisa Guez. Nous aussi nous avons été amenés à sublimer des choses qui auraient pu nous anéantir et avons su puiser dans les épreuves notre force. Notamment grâce au théâtre. Un conte permet par des symboles de raconter un parcours initiatique qui peut tous nous concerner. »

La pièce sera créée en juin 2023, tournera dans les Hauts-de-France notamment, passera au Havre et est attendue au Théâtre de la Ville, à Paris, en mai 2024.

« _p/\rc___ » : la fragilité fait apparaître une autre forme de virtuosité

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 « Ce _p/\rc___, c’est une sorte de vision esthétique où tous les corps peuvent se mêler, s’exposer et exister dans des formes de relations qu’on croit impossibles alors qu’elles ne le sont pas », résume Eric Minh Cuong Castaing, chorégraphe et directeur de la compagnie Shonen, basée à Marseille. Et en effet, dans ce spectacle étonnant, et, pour tout dire, encore unique en son genre, tous les corps se trouvent autorisés à danser, y compris les robots qui les prolongent, et même les téléprésentent ! Une dizaine de machines sont là, sur la scène. Elles sont pilotées à distance par des adolescents, comme autant d’extensions de leurs corps empêchés, dont certains ne peuvent mouvoir que les doigts.

Ces avatars leur permettent d’apporter une présence physique de substitution auprès d’une dizaine d’enfants qui, s’ils sont quant à eux sur la scène, ne marchent pas, pour la plupart. Les soignants de ces derniers, et leurs parents, sont aussi sur le plateau. Objets et accessoires pour faciliter la mobilité des corps et des robots complètent cet agencement. Quant au public, il est là, lui aussi, au plus près, et on l’invite à déambuler sur les planches même.

Une fois ce dispositif installé, la magie opère. « La recherche du contact physique entre les interprètes et les enfants empêchés entraîne des situations concrètes dans lesquelles les uns peuvent devenir prothèses pour les autres tout en étant en retour questionné, influencé, déplacé. À partir de là, nous imaginons des jeux et des portés comme par exemple devenir un toboggan vivant », explique Eric Minh Cuong Castaing, dans le Magazine du Châtelet, en soulignant que « l'un des enjeux de la pièce est de déqualifier le mouvement, pour qu'il n'apparaisse plus a priori comme handicapé, profane ou virtuose ».

Notre ambition ? Augmenter le geste d'un enfant

Le spectacle crée un espace de « relations dansées », avec tout ce qui peut advenir de lourdeurs et de fragilités. « Les enfants avec lesquels nous travaillons semblent insoumis à la représentation, poursuit-il. Même lorsqu’ils jouent et performent, leurs corps s’échappent. Je défends l’idée que la fragilité fait apparaître une autre forme de virtuosité, que la relation est une virtuosité en elle-même. À charge alors au groupe d’accueillir le mouvement incontrôlé.

Reste à s’assurer que l’enfant soit « nourri par ses propres enjeux, dont celui du plaisir ». « Augmenter le geste d’un enfant, c’est créer une relation complexe avec lui : rester à l’écoute du mouvement quel qu’il soit, sans tomber en quelque servitude d’aucune sorte, ni chez lui, ni chez nous. » L’essentiel est que les corps s’approprient de plus en plus l’espace et que les mouvements inédits des corps prennent formes de danses.

Le calendrier du _p/\rc___ est « encore en construction », selon Claire Crova. Le spectacle, qui a été créé à Paris en septembre 2022, va être repris l'an prochain à Paris, en partenariat avec des scène labellisées en Île-de-France, à Marseille et en Bretagne. « D’autres villes et partenaires culturels se positionnent pour accueillir et co-constuire un tel projet », ajoute-t-elle.

Les 15 lauréats « Inspiration, création et handicap » visent à changer le regard sur le handicap

-    Bâtisseurs de rêves ATHOMiques – Compagnie Lézards Bleus et l’association ATHOM (Antoine Le Menestrel) (Apt)
-    Dedalus – Centre national pour la Création Adaptée (Madeleine Louarn, Frédéric Vossier) (Morlaix)
-    Dis_contact – Théâtre de la Ville (Saša Asentić) (Paris)
-    Duos improbables – Compagnie Traction (Claire Durand-Drouin) (Vicq-sur-Breuilh)
-    Guyan'expo inclusive – Association des Parents et Amis des Déficients Auditifs de Guyane (Tristan Vassaux) (Cayenne)
-    Histoire(s) du Paralympisme - Le Panthéon (Paris)
-    Le Cameraman – Lardux Films (Marion Lary, Etienne Eyraud) (Montreuil)
-    Le Village des Sourds – Compagnie Productions du Sillon (Léonore Confino, Catherine Schaub) (Paris)
-    Loin dans la mer - Compagnie de l'Oiseau-Mouche (Léonor Baudouin, Lisa Guez) (Marcq-en-Barœul)
-    Mr Patate – Compagnie BaNCALE (Karim Randé) (Frouzins)
-    _ p/\rc___ – Compagnie Shonen (Eric Minh Cuong Castaing) (Marseille)
-    Péplum médiéval  - Tsen Productions (Olivier Martin Salvan) (Rennes)
-    Sur mes deux jambes – Lumento (Olivier Lambert) (Le Pré Saint-Gervais)
-    TactiJO 2024 – Créanog (Laurent Nogues, Gaëlle Dupré, Hoëlle Corvest, Christian Bessigneul) (Paris)
-    Triptyque. Archéologie, photographie et parasport explorent le handicap – Institut national de recherches archéologiques et Musée Départemental Arles Antique (Marguerite Bornhauser) (Arles)