Pour les personnes en situation de handicap, les ressources en ligne représentent une possibilité particulièrement précieuse d'accéder à la culture. C'est pourquoi la plateforme #culturecheznous a accordé une place de choix à cette offre spécifique, qui a vocation à devenir pérenne.

T. Jopeck

Depuis le début du confinement, la plateforme #culturecheznous est devenue une référence incontournable pour se repérer dans l’exceptionnel foisonnement de ressources culturelles en ligne du ministère de la Culture et de ses opérateurs. Parmi ces ressources, celles s’adressant aux personnes en situation de handicap occupent une place de choix. Une offre qui a vocation à devenir pérenne après le confinement. Thierry Jopeck, haut fonctionnaire au handicap et à l’inclusion au ministère de la Culture, revient sur les enseignements – et les perspectives – de cette période inédite.

Quel est l’état des lieux des ressources culturelles en ligne pour les personnes en situation de handicap ?

En lançant dès les premiers jours du confinement la plateforme #culturecheznous qui rassemble les ressources en ligne de ses différents établissements, et parmi elles, les ressources s’adressant plus particulièrement aux personnes en situation de handicap, le ministère de la Culture s’est remarquablement mobilisé. Qui plus est, depuis le 24 avril, la nouvelle version de la plateforme a sensiblement amélioré l’accessibilité pour les personnes handicapées en mettant en évidence toutes les propositions de parcours en audiodescription, en sous-titrage, en télétexte ou en langue des signes française.

Pour ne prendre que quelques exemples, on peut citer le musée d’Orsay avec ses parcours en audiodescription, la Cité des sciences et de l’industrie dont les vidéos pédagogiques ont été mises en ligne avec des outils du sous-titrage, mais aussi de grossissement de texte et en langue des signes française, ou encore la Philharmonie de Paris qui propose une initiation à la langue des signes française, une initiative intéressante en ce qu’elle permet d’effacer des barrières entre personnes en situation de handicap et  personnes valides.

Autre élément important, la plateforme est dorénavant ouverte aux propositions venant des collectivités territoriales et des associations, un apport qui amplifie considérablement tout le champ de l’accessibilité aux œuvres en ligne. J’ai à l’esprit le projet Archéa lancé par la communauté de communes de Roissy - Pays de France, le travail remarquable accompli par le musée des Beaux-Arts d’Arras, ou encore le Frac de Normandie qui a proposé des audiodescriptions d’œuvres contemporaines.

La plateforme #culturechezvous met en lumière toutes les propositions de parcours en audiodescription, en sous-titrage, en télétexte ou en langue des signes française

Une réflexion particulière a été conduite sur l'ergonomie du site. Qu'en pensez-vous ?

L'ergonomie répond parfaitement aux besoins des personnes en situation de handicap. Pour l’améliorer, nous avons déjà identifié un certain nombre de points sur lesquels nous allons faire des propositions précises aux concepteurs du site : les questions d’interface – passer de la plateforme au site, et de celui-ci à la proposition pour les personnes en situation de handicap peut encore parfois être un peu complexe ; un dispositif de pictogrammes qui permettrait une visualisation très simple dans le respect du principe d’éditorialisation choisi pour la plateforme ; ou encore une présence plus forte de nos établissements d’enseignement supérieurs artistiques qui abritent des ressources importantes.

La prochaine étape est celle d’un déconfinement progressif. Quels enseignements tirez-vous de la situation actuelle ?  

Cette ambition de progrès s’ancre dans la volonté que la plateforme devienne pérenne. Début mai, il est d’ailleurs déjà prévu d’en proposer une version augmentée. Des formes de handicap comme l’autisme ou comme celles dont sont atteintes les personnes DYS – dyslexie, dyspraxie, dyscalculie… – devront être mieux prises en compte, des sujets sur lesquels les collectivités territoriales et les associations ont par ailleurs beaucoup à apporter.  

Il nous faudra aussi poursuivre notre réflexion sur la prise en compte de tous les handicaps : le sous-titrage devrait vite avancer car il est déjà très présent, la langue des signes française doit quant à elle être davantage utilisée sur nos sites culturels et l’audiodescription est très importante pour tous les malvoyants. Autant de terrains sur lesquels nous sommes certains qu’il existe des initiatives qu’il convient de mieux repérer pour en indiquer l’existence à nos publics en situation de handicap. Il restera ensuite à susciter de nouvelles initiatives.

Disposez-vous déjà de remontées d’informations sur l’utilisation de ces ressources ?

Une étude et une enquête statistique après le confinement seront nécessaires, mais ce que l’on peut d’ores et déjà signaler, c’est que le site du ministère de la Culture qui abrite la plateforme #culturecheznous a vu son nombre de connexions exploser pendant les premières semaines de confinement. Les connexions ont été de quatre à cinq fois supérieures à ce qu’elles sont en temps normal. Il est donc probable que la proportion de personnes en situation de handicap à la consulter ait, elle aussi, sensiblement progressé.

Autre initiative remarquable : la plateforme solidaires-handicaps.fr. Qu'a-t-elle apporté au monde du handicap ?

Cette plateforme est née au tout début du confinement. C’est une initiative qui est conduite à la fois par le Secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, le Comité interministériel du handicap et le Conseil national consultatif des personnes handicapées, une instance qui réunit des dizaines d’associations à travers un grand nombre de commissions dont des commissions culture.

Cette plateforme, fruit d’un immense travail, reçoit un très bon accueil, et a également vocation à perdurer. Elle abrite une proposition culturelle qui rejoint les nôtres. Nous allons nous rapprocher afin de travailler ensemble et faire en sorte que nos publics en situation de handicap puissent facilement bénéficier de l’une à l’autre.

Emmanuelle Laborit : « La langue des signes appartient à tout le monde »

Emmanuelle Laborit en 2017

Nous avions rencontré Emmanuelle Laborit, l’emblématique directrice de l’International Visual Theatre (IVT) avec Jennifer Lesage-David, en mars dernier, alors qu’elle était la marraine d’une manifestation conçue par le ministère de la Culture, la Semaine de la langue française et de la Francophonie. Son propos, qui insistait sur la « complémentarité », essentielle à ses yeux, entre le français et la langue française des signes (LSF), résonne pendant le confinement avec une acuité particulière. « Je suis convaincue que cette langue en trois dimensions a quelque chose à apporter à la langue française », explique la comédienne et metteur en scène, dont l’ambition est de décloisonner la LSF. « On parle de la langue des signes comme d’une langue du handicap, ajoute-t-elle. Il serait plus juste de dire que c’est une langue différente, qui rend possible une autre forme d’expression, non par la voix mais par le corps ».

L’ambition artistique est incontestablement l’une des dimensions qui permet de décloisonner la LSF. « Je vois tous les jours, à l’IVT, des entendants et des sourds qui utilisent ensemble la langue des signes. Nous avons en tant qu’artistes une même langue de communication », affirme Emmanuelle Laborit. Pour autant, la LSF souffre encore d’un manque de visibilité, notamment dans les médias. « J’aimerais que les chaînes publiques ne soient pas réservées à une catégorie de personnes, que ce ne soit pas un privilège d’avoir accès à l’information à travers les médias. C’est fondamental de montrer la langue des signes à la télévision », insiste-t-elle, tout en saluant « les avancées du projet de loi audiovisuel » en faveur des personnes en situation de handicap. Pour la directrice de l’IVT, il faut aller plus loin. « Essayons de voir comment on peut ensemble montrer cette diversité. Cette langue témoigne de l’apport du savoir, de la culture, de l’esprit critique, de la construction d’une identité. Nous avons une place à part entière dans la société française », plaide Emmanuelle Laborit, en affirmant que « la langue des signes appartient à tout le monde ».