C’est une célébration de la lecture unique en son genre. Pour sa 5e édition, la manifestation les Nuits de la lecture, organisée par le ministère de la Culture, s’apprête à faire, du jeudi 21 au dimanche 24 janvier toutes sortes de propositions qui sont autant d’invitations à découvrir le plaisir de lire. Il en est une qui revêt, en ces temps de crise sanitaire, une signification particulière : la rencontre avec des auteurs.
Des rencontres d'autant plus singulières que les auteurs fascinent autant qu’ils intriguent. Ils ont le pouvoir de nous entraîner dans leurs histoires, de nous étonner avec leurs imaginaires, de nous subjuguer avec leurs mots. Qui n’a rêvé, un jour, de les rencontrer ? De sonder leurs secrets de fabrication ? De les interroger sur un bonheur d’expression ? De leur faire partager notre lecture de leurs livres ? Les Nuits de la lecture sont une occasion unique de les rencontrer dans les bibliothèques et librairies qui sont en quelque sorte leur espace naturel.
En avant-première, nous avons interrogé deux d’entre eux – Claire Castillon et Miguel Bonnefoy – dont la programmation a été annulée en dernière minute pour cause de couvre-feu à 18h. Il n’empêche, « ce n’est que partie remise », comme le souligne Miguel Bonnefoy. Claire Castillon s’est fait connaître – et reconnaître – par son écriture au scalpel, qui n’hésite pas à forer là où cela fait mal. Depuis une vingtaine d’année, elle poursuit, depuis le Grenier (Anne Carrière, 2000) jusqu’à Marche blanche (Gallimard, 2020) une œuvre dense et troublante, qui n’a cessé de conquérir des lecteurs toujours plus nombreux. Plus récemment entré en littérature, le second, pensionnaire il y a deux ans à la Villa Médicis, a fait sensation lors de la dernière rentrée littéraire. Son roman, Héritage (Rivages), présent sur plusieurs listes de prix, est longtemps resté en lice pour le Goncourt.
Claire Castillon : « La rencontre avec le lecteur est toujours plus belle que ce qu’on imaginait »
Un « rendez-vous de travail » : c’est ainsi que Claire Castillon qualifie la rencontre avec son public initialement programmée dans le cadre des Nuits de la lecture, mais reportée en raison de la mise en place du couvre-feu à 18h. Entendez par là que ces rencontres entrent dans un long processus, qui se distingue à la fois du temps de l’écriture (« J’écris mes livres dans une solitude profonde ») et du temps de l’intimité (« Dans la vie, j’aime bien les tête-à-tête »). « Longtemps après leur sortie, la parution de mes livres comporte naturellement des moments de rencontre, reconnaît l’auteur d’Insecte (Fayard) et des Messieurs (L'Olivier). Mais de quel type de communication s’agit-il, dans cet échange auteur-lecteur ? Est-ce qu’on « se parle » vraiment ? Par le livre, oui, c’est certain. Mais s’agissant de mes propos, j’ai le sentiment d’être toujours un peu à côté, de ne pas trouver le mot juste, c’est sans doute d’ailleurs pour cela que j’écris ».
Une sévérité à son endroit qui n’a d’égale que la générosité avec laquelle elle parle de ce lecteur inconnu, qu’elle découvre : « La rencontre est toujours plus belle que ce qu’on imagine, les gens finissent par se raconter, c’est cela qui me plaît ». Une sévérité, par ailleurs, que ses lecteurs seraient à coup sûr les premiers à réfuter. « Après coup, il m’arrive souvent, dans les écoles surtout, de me sentir pleine de quelque chose. Non pas de ce que j’ai écrit, mais pleine parce qu’on m’a parlé comme si je savais alors qu’en réalité je ne sais rien. Il m’est arrivé par exemple de faire des rencontres dans plusieurs collèges à la suite. Les mêmes questions revenaient et je n’avais jamais la même réponse », confie-t-elle avant de lancer moitié pensive, moitié blagueuse : « en fait, je suis peut-être renforcée dans le fait de savoir quelque chose que je ne sais pas ».
La chose la plus énorme qui me soit arrivée, c’est quand j’ai écrit Insecte, un recueil de nouvelles. Quelqu’un m’a dit qu’insecte était l’anagramme d’inceste. Je ne l’avais pas remarqué alors même que la nouvelle qui donne son nom au livre s’appelle Insecte et qu’elle est l’histoire d’un inceste…
Plaisanterie à part, si les lecteurs sont à ce point convaincus qu’elle « sait », n’est-ce pas parce que son écriture résonne chez eux intimement ? « Oui, je suis d’ailleurs souvent d’accord avec eux, acquiesce-t-elle, mais quand j’écris, ce n’est jamais intentionnel. Je crois beaucoup aux choses inconscientes, à tout ce qui se fabrique à l’intérieur sans qu’on n’y puisse rien. La chose la plus énorme qui m’est arrivé, c’est quand j’ai écrit Insecte, un recueil de nouvelles. Quelqu’un m’a dit qu’insecte était l’anagramme d’inceste. Je ne l’avais pas remarqué alors même que la nouvelle qui donne son nom au livre s’appelle Insecte et qu’elle est l’histoire d’un inceste… ».
Autre occasion de dialogue, celle offerte par les ateliers d’écriture. Claire Castillon les affectionne et regrette que celui prévu à la médiathèque de Fontainebleau, en marge de la rencontre avec les lecteurs, ait dû être reporté du fait de la situation sanitaire : « Il y a des ateliers en Ehpad, en prison, à l’école, avec des gens psychotiques... Non seulement j’ai l’impression qu’ils sont utiles, mais en plus, à chaque fois, je me nourris. Il y a tellement de vérités chez les gens. Rien n’est à jeter. C’est brutal et doux à la fois ». L’exercice la laisse cependant toujours un peu sur sa faim. « Chacun lit son texte, beaucoup sont étonnés de ce qu’ils sont parvenus à faire, et ensuite tout le monde repart. C’est comme si vous commenciez une thérapie et qu’on vous disait allez au revoir. Il manque un petit point de couture. Alors, j’espère qu’ils gardent le fil » dit-elle joliment.
Miguel Bonnefoy : « Le visage du lecteur se matérialise »
Entre Miguel Bonnefoy et le Jura, c’est une longue histoire. Une histoire hautement symbolique puisque, si le Jura est le berceau des personnages d’Héritage (Rivages), son dernier roman, finaliste du prix Goncourt 2020, il est aussi celui de ses ancêtres. Mais la rencontre prévue dans le cadre des Nuits de la lecture, à la librairie polinoise, située, comme son nom l’indique à Poligny, petite bourgade franc-comtoise de 4000 habitants, vient d’être annulée pour cause de couvre-feu à 18h. « Ce n’est que partie remise, relativise Miguel Bonnefoy, la rencontre aura lieu tôt ou tard », même si l’auteur nous confie qu’il « aurait adoré rencontrer les lecteurs » et « lever un verre là où le livre a commencé ». Pas question en outre de se plaindre quand « le monde entier est dans une situation catastrophique ». « On n’a jamais autant parlé de littérature que cette année, se réjouit-il. Le moment est venu, me semble-t-il, pour les acteurs du secteur du livre, de se faire plus discrets dans cette période ».
Le jeune auteur est un habitué des Nuits de la lecture : « J’en garde un souvenir ébloui et fasciné. C’est un beau moment où l’on rencontre des personnes extraordinaires, où l’on peut partager ses influences, ses coups de cœur, ses inspirations, ses racines, et initier un mouvement rhizomique avec les autres participants », s’enthousiasme-t-il, nullement inquiet pour l’avenir de la manifestation. En raison de la crise sanitaire, « l’édition de cette année sera forcément différente, assure-t-il. Mais les solutions qui seront trouvées deviendront certainement pérennes, et feront venir, espérons-le, encore plus de monde : ceux qui pourront se déplacer, et ceux qui n’en auront pas la possibilité pas mais qui pourront, grâce au numérique, suivre tout ce qui se passe ».
Lors de ces rencontres, on redécouvre son propre livre sous les yeux innocents et frais d’une personne inconnue. On finit par parler à des cœurs qu’on ignorait, par faire écho dans des pensées, des rêves et des illusions de gens qu’on ne connaît pas
C’est avec le même enthousiasme qu’il parle de la rencontre avec les lecteurs : « Cela fait partie des moments que je préfère. J’ai découvert ces rencontres lorsque j’ai publié mon premier roman. J’en garde là encore un souvenir pétillant et époustouflant de beauté. Je me disais : voilà le visage des lecteurs ! Lorsqu’on est informé du nombre d’exemplaires que l’on a vendu, cela reste abstrait. Tout à coup, on voit des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux, on fait la connaissance de libraires. On se rend compte de leurs inquiétudes, de leur passion, de leurs secrets. On voit chez tous des moments d’étonnement et d’émerveillement ».
En outre, une chose est d’imaginer le livre – Miguel Bonnefoy écrit actuellement son prochain roman – une autre de le voir publié, et d’aller avec lui à la rencontre des lecteurs. « On redécouvre alors un autre livre sous les yeux innocents et frais d’une personne inconnue. C’est fabuleux. On a tout l’éventail ouvert d’un livre imaginé trois ans auparavant. On finit par parler à des cœurs qu’on ignorait, par faire écho dans des pensées, des rêves et des illusions de gens qu’on ne connaît pas. On observe des beautés qui s’entrechoquent et se font face. Souvent même, les lecteurs finissent par m’ouvrir les yeux sur des passages que j’avais ignorés. J’aurais adoré avoir cette idée mais c’est une coïncidence. C’est beau de prendre conscience de ces interprétations possibles. Elles nourrissent et alimentent le livre ».
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