« Les langues régionales sont une chance pour la France ». Derrière cette affirmation du Premier ministre, il y a la conviction que la diversité culturelle et le multilinguisme constituent un atout de premier ordre pour les sociétés ultramarines. « Promouvoir les langues ultramarines aux côtés de la langue française, c'est œuvrer pour la cohésion sociale », a de son côté insisté la ministre de la Culture, en assurant le 25 octobre que « c'est l'un des enjeux des États Généraux du multilinguisme dans les Outre-mer qui s'ouvrent aujourd'hui à La Réunion ».
Dix ans après leur première édition, les États généraux du multilinguisme dans les Outre-mer, organisés les ministères des Outre-mer, de la Culture et de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, vont explorer, jusqu’au 28 octobre, comment le multilinguisme peut contribuer à dynamiser le développement des territoires ultramarins. Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France au ministère de la Culture, revient sur les enjeux de la manifestation, dont on peut suivre les travaux et interventions en direct : https://www.languesoutremer.fr/
Il y a dix ans, la première édition des États généraux du multilinguisme dans les Outre-mer, qui se tenait en Guyane, faisait événement. Elle se soldait par une déclaration solennelle et par 99 recommandations, qui ont reçu un écho significatif. Où en est-on aujourd’hui ?
Tout d’abord, je voudrais rappeler qu’une bonne cinquantaine de langues sont pratiquées quotidiennement dans les territoires d’outre-mer. Ce sont des langues bien vivantes et transmises naturellement. Cette réalité linguistique doit absolument être prise en compte.
Si l’on dresse un bilan de ces dix dernières années, on constate des avancées significatives, notamment au plan législatif avec l’adoption de la loi du 21 mai 2021, dite loi Molac, relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion. Cette loi donne une dimension concrète à l’article 75-1 de la Constitution française : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». De son côté, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) a porté une attention particulière à ces langues à travers son avis du 25 juin 2019 « Valorisons les langues des Outre-mer pour une meilleure cohésion sociale ».
Au-delà de ces évolutions issues de la représentation parlementaire et des forces vives de la nation, il existe une véritable dynamique dans les territoires pour faire vivre ces langues. Le Premier ministre l’a lui-même déclaré : « Les langues régionales sont une chance pour la France ». Il revient à chacun de la saisir !
Je me réjouis ainsi que dans les médias audiovisuels, la place des langues ultramarines a progressé ces dix dernières années. De même, les langues sont de plus en plus présentes dans la création artistique, avec des initiatives intégrant les langues locales dans une grande variété de disciplines. On peut citer entre autres le festival pluridisciplinaire « Le Mois Kréyol », présent aussi bien en métropole que dans les Outre-mer, ou encore la récente pièce « Zantray » de la Compagnie du Grand Carbet, interprétée en créole guadeloupéen avec surtitrage en français. L’édition en langues régionales se développe également, accompagnée par un soutien constant du ministère de la Culture comme des collectivités territoriales – et je salue les efforts déployés en Martinique comme en Guyane pour accompagner le secteur du livre de jeunesse et la bande dessinée multilingues.
L’une des ambitions de ces États généraux est de promouvoir le multilinguisme dans plusieurs champs de la société, comme l’éducation, l’espace public et les différents domaines de la vie sociale et culturelle. En quoi le multilinguisme peut-il contribuer à réduire les inégalités en Outre-mer ?
On oublie trop souvent que de nombreux concitoyens ultramarins maîtrisent mal le français, voire ne le connaissent pas du tout. Cela découle de plusieurs facteurs, et notamment des situations d’échecs scolaires car pendant longtemps, les langues maternelles n’ont pas été prises en compte dans la scolarité des enfants. Un autre facteur important est qu’un individu n’a pas forcément besoin d’utiliser le français dans la vie quotidienne lorsque les personnes de son environnement proche ne s’expriment que dans une langue donnée.
Bien sûr, tous nos concitoyens ont le devoir de connaître le français. Pour autant, ce n’est pas aussi simple d’attendre de chacun qu’il maîtrise la langue de la République, surtout lorsqu’il s’agit de personnes âgées qui n’ont pas été ou peu scolarisées.
Se pose donc ici la question de l’accès aux services publics et aux soins de santé. Une certaine souplesse doit être permise de la part des administrations lorsque des circonstances particulières ou l’intérêt général le justifient afin de ne pas exclure une part importante de nos concitoyens qui ne maîtrisent pas le français.
Je rappelle ici que la loi Molac adoptée en mai dernier autorise l’emploi des langues régionales dans les services publics : la signalétique bilingue est désormais reconnue dans la loi et les services publics peuvent recourir à des traductions en langue régionale sur les bâtiments publics, les panneaux de signalisation, mais aussi dans la communication institutionnelle.
La lutte contre l’illettrisme, encore très présent dans certains territoires, est un autre enjeu des Etats généraux. Pourquoi le multilinguisme apparaît-il comme une solution originale dans ce combat ?
Afin de parvenir à un équilibre linguistique entre le français et la/les langue(s) locale(s), il est essentiel de reconnaître pleinement la réalité linguistique des différents territoires et de la valoriser. Cela passe par la prise en compte des langues maternelles des enfants lorsqu’ils sont scolarisés, afin de prévenir l’illettrisme encore trop présent dans certains territoires.
Ne pas tenir compte des langues maternelles des enfants peut poser des problèmes au moment de leur entrée à l’école maternelle et au-delà. Cela conduit souvent à une inégalité scolaire et à une inadaptation pédagogique qui ont pour conséquences le décrochage scolaire et l’illettrisme.
Bien sûr, tous les enfants doivent maîtriser le français à la fin de leur scolarité. Pour autant, il ne faut pas oublier que le français est loin d’être toujours leur langue maternelle. Les études prouvent les bienfaits du bilinguisme dans le développement des opérations cognitives chez l’enfant. L’inspection générale de l’Éducation nationale est pleinement mobilisée sur ce sujet.
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