Rappel du contexte historique
L’architecture religieuse constitue, en France comme dans l’ensemble des pays européens, un champ extrêmement important. A l’époque moderne, elle est aussi un domaine sur lequel s’investit la théorie architecturale et représente un terrain d’expérience aussi bien stylistique que constructif, plus favorable que les domaines de l’architecture civile, du fait des dimensions importantes d’un édifice cultuel, et des problèmes techniques complexes que posent les structures d’un tel édifice.
Il faut aussi rappeler que, dès le XVIIIe siècle, s’est posée la question des formes et du style à donner à un édifice de culte, et en France, cette question recouvrait aussi celle des positions prises à l’égard de la Papauté et du gallicanisme d’une partie de l’Eglise de France. La tendance dominante parmi les architectes était à l’imitation du temple à l’Antique, comme en témoignent des églises comme Saint-Philippe-du-Roule, par Chalgrin (1769 – 1772), et au plan centré, particulièrement favorable au culte catholique post-tridentin, plus axé sur la célébration et la manifestation que sur le rite processionnel et dévotionnel typique des époques médiévales, comme s’y sont essayé, au moins sur le papier, des théoriciens comme Boullée avec son projet de Métropole ou Ledoux avec son projet pour l’église de Chaux à Arc-et-Senans, mais aussi en vrai comme Bertrand avec Saint-Pierre de Besançon (1782) dont le plan anticipe certaines églises néo-gothiques.
Or, dès cette époque, les théoriciens ont manifesté un intérêt pour l’architecture gothique, particulièrement en raison de ses qualités structurelles et constructives ; on sait comment Soufflot a cherché à démontrer, pour Sainte Geneviève, que sa structure, à travers des formes classiques, renouait avec les principes dynamiques de l’architecture gothique, comment Rondelet a cité dans son traité sur l’art de bâtir l’exemple du voûtement de l’église de Toussaints d’Angers, et ce débat s’est prolongé jusqu’au début du XIXe siècle avec le théoricien Quatremère de Quincy. Mais ces recherches en direction du gothique ont pris un tour nouveau dans les années 1820, avec la spécialisation plus grande des études archéologiques dont Arcisse de Caumont fut l’un des précurseurs en 1824 avec son Essai sur l’architecture religieuse du Moyen Age poursuivi en 1837 par un mémoire de Prosper Mérimée sur le même thème. Cette fois, c’est non seulement en vertu des qualités techniques de l’architecture gothique que cet engouement s’est développé, mais aussi, à la suite des romantiques, parce que l’art gothique était considéré comme le plus propre à signifier l’église catholique, celle du temps de Saint Louis. C’est la position développée par le comte de Montalembert et Adolphe Didron à travers les Annales archéologiques publiées à partir de 1844, position bientôt appuyée par Lammenais et Lacordaire. Ainsi, dans les années 1830, sont apparus les premiers essais d’architecture néo-gothique avec notamment l’église Saint Nicolas de Nantes dont le premier projet de Louis-Alexandre Piel date de 1836, après qu’ait été rejeté un projet néo-classique dû à l’architecte-voyer Ogée, et qui fut mis en œuvre et modifié par Jean-Baptiste Lassus après 1841.
Cette nouvelle tendance en faveur de l’architecture médiévale n’est pas uniforme ; le style néo-classique s’est poursuivi dans certaines régions, en Vendée notamment, jusqu’au milieu du XIXe siècle ; dans d’autres régions, comme dans le Maine-et-Loire, le style néo-gothique s’est propagé facilement dans la mesure où il s’appuyait sur un art gothique original, le « gothique Plantagenêt », regardé comme une marque d’identité locale. Enfin, les expériences néo-médiévales ont connu une certaine évolution dans le temps. Durant les années 1850 – 1870 (en gros sous le Second Empire), les architectes, sous l’influence de Viollet-le-Duc, se sont conformés aux modèles médiévaux dans un esprit à la fois fonctionnaliste et archéologiste. A la fin du XIXe siècle, on assiste au contraire à une émancipation des modèles médiévaux et une inventivité qui a poussé certains architectes jusqu’aux limites du goût permis par cet éclectisme. Cette tendance des années 1890 – 1900 est justement la marque d’une époque où la théorie architecturale s’épuisait et où les grands intellectuels des années 30 – 40 ne dominaient plus l’enseignement et la pensée architecturale. Il s’en est suivi un individualisme créatif qui a permis aux meilleurs architectes d’expérimenter de nouvelles formules, notamment au niveau des plans, d’autant mieux que le champ de l’architecture cultuelle n’était guère encadré par des prescriptions d’ordre liturgiques très précises de la part de l’Eglise. Et à cet égard, on peut distinguer deux courants principaux chez les architectes : ceux qui sont restés fidèles à l’option basilicale traditionnelle, qui privilégie la sacralisation du sanctuaire et la séparation de l’espace de célébration de celui de l’assistance, d’une part ; ceux qui se sont ouverts à l’option du plan centré, plus moderne, plus proche des conceptions théâtrales post-tridentines mettant l’accent sur la visibilité et la proximité des fidèles du sanctuaire d’autre part ; ce sont d’ailleurs ces solutions-là qui, de nos jours, se sont le mieux accommodées des transformations subséquentes à la réforme liturgique post-conciliaire.
Le champ de l’architecture religieuse a donc été au XIXe siècle celui de l’aboutissement d’un débat architectural vieux de deux cents ans ; un domaine où la représentation des signes religieux a croisé la modernisation des villes et des bourgs de campagne ; en même temps que l’église, il est fréquent qu’on construise la mairie et l’école. Il a été pour les architectes un terrain d’expérience essentiel. C’est en effet au XIXe siècle que l’image type de l’église catholique a fini par se fixer, précisément à une époque où l’anticléricalisme adoptait une structuration idéologique et politique affermie.
Méthodologie adoptée
L’architecture religieuse du XIXème siècle dans les Pays de Loire représente un champ patrimonial numériquement très important (plus de 600 églises entièrement construites au XIXème siècle, sans compter celles qui ont été partiellement reconstruites ou agrandies).
Jusqu’à ce jour, 17 édifices de ce champ ont été classés ou inscrits, représentant très majoritairement le culte catholique, et quelques uns le culte réformé.
Il importe, dans l’éventualité où des demandes de protection au titre des Monuments Historiques se présentent dans ce domaine, de pouvoir appréhender globalement cette question afin de dégager des critères de sélectivité qui éviteront d’avoir à traiter ces demandes au cas par cas, sans éclairage suffisant.
La Conservation Régionale des Monuments Historiques a donc procédé à une étude globale de ce champ patrimonial sur les cinq départements, d’où il est ressorti un corpus très abondant. Afin de dégager des critères de mise en œuvre d’une politique de protection raisonnée, il a été adopté l’option de ne retenir de ce corpus que les édifices entièrement construits dans le XIXème siècle, et de dégager dans ce corpus les édifices les plus remarquables ou les plus représentatifs des styles et des pratiques religieuses de cette époque.
Les critères de sélection sont basés, d’une part, sur l’homogénéité chronologique et stylistique de la construction ; d’autre part, sur la présence de décors intérieurs et de mobilier liturgique de même époque et de qualité. La personnalité de l’architecte a pu être prise en compte de manière subsidiaire.
La tranche chronologique retenue est comprise entre le concordat de 1801 et la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905.
Dans cette tranche chronologique, on a distingué trois période stylistiques :
- la période « néo-classique » (1801-1850)
- la période « néo-gothique » qu’on qualifiera « d’archéologiste » (1840-1870)
- la période « néo-médiévale » qu’on qualifiera « d’éclectique » (1860-1905)
Sur le plan architectural, on a privilégié les édifices remarquables par leur plan et leur élévation mais aussi par la qualité de leur décor (vitraux, décors peints, mobilier) parfois supérieure à celle du bâti (notamment dans la Sarthe), mais aussi l’homogénéité, notamment pour des églises de qualité secondaire, mais représentatives de l’architecture courante.
La typologie retenue, dans un premier temps, ne prend en compte que les églises paroissiales. Les monuments appartenant aux congrégations (religieuses, d’enseignement, hospitalières etc…) ou ressortissant au champ thématique de la dévotion (lieux de pèlerinage, commémoratifs, funéraires…) seront traités séparément.
Enfin, les critères de l’état sanitaire n’entre dans cette sélection que de manière subsidiaire.
Bibliographie
HAMON (Françoise) : Les églises parisiennes du XVIIIe siècle – théorie et pratique de l’architecture cultuelle, in Revue de l’Art, n° 32, 1976.
MIDDLETON (R.) et WATKIN (D.) : Architecture moderne. Du néo-classicisme au néo-gothique Paris, 1983.
CHOAY (Françoise) : L’allégorie du Patrimoine, Paris, Seuil, 1992.
POMIAN (Krysztof) : Pourquoi protégeons-nous les monuments ?, dans Patrimoines, Institut National du Patrimoine, n° 1, 2005.
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