Après de multiples péripéties, la barque est revenue à quai depuis fin août 2023 devant la cave viticole de Ventenac-en-Minervois (Aude), son port d’attache. Si la coque et le pont sont aujourd’hui à peu près consolidés, les charpentiers de marine et bénévoles de l’association Aventure Pluriel vont poursuivre encore plusieurs mois leur travail de remise en état des bois et du moteur, pour espérer que la barque puisse ensuite naviguer sur le canal à partir de 2024. Retour sur cette opération de sauvetage et deux années riches en rebondissements
Du transport de marchandises à l’œnotourisme : les multiples vies de La Marie-Thérèse
La Marie-Thérèse avait déjà connu plusieurs vies avant sa protection au titre des monuments historiques en décembre 2020.
Destinée au transport de marchandises sur le Canal du Midi, la barque de patron ou barque de charge a été construite à Toulouse en 1855 en reproduisant les dimensions des embarcations conçues au 18e siècle du temps de Pierre-Paul Riquet pour naviguer sur le canal royal. Elle a été utilisée pour le commerce et le transport fluvial jusqu’en 1960. Mesurant 26 m de long sur 5,6 m de large, elle servait principalement pour le fret du vin en demi-muids (fûts en chêne d’une contenance de 625 litres), mais aussi les sacs de chaux et de ciment, le maïs ou la farine.
Connue sous différents noms (Maria au début du 20e siècle, Marie-Thérèse entre 1920 et 1940, Arromanches après-guerre), elle a appartenu à divers mariniers : Louis Marrot en 1909, Jacques puis Eugène Denty dans les années 1940, Jean Jardel qui l’équipe sans doute en 1957 d’un moteur Baudouin 72 cv qui permettait alors de propulser un tonnage maximum de 174 t.
Plusieurs fois reconvertie à partir des années 1960, y compris en boîte de nuit, elle a été abandonnée en 1990, avant d’être acquise par le Conservatoire Maritime et Fluvial des Pays Narbonnais. Coulée en 1992, elle est ensuite renflouée et restaurée à partir de 1998 dans le cadre d’un chantier d’insertion et de formation professionnelle sur le site de Mandirac (Narbonne), dirigé par Yann Pajot, charpentier de marine. Remise à l’eau en 2003 et exploitée comme centre d’interprétation itinérant, elle devient en 2016 propriété de la Cave coopérative du Château de Ventenac-en-Minervois dans le cadre d’un projet oenotouristique, et labellisée B.I.P (Bateau d’Intérêt Patrimonial) en 2016 par la Fondation du Patrimoine Maritime et Fluvial.
L’association Aventure Pluriel, une histoire de passionnés
Le bateau est depuis 2020 propriété d’Aventure Pluriel, association regroupant des passionnés, qui possède une flottille de bateaux anciens sur la Méditerranée mais dont c’est la première et seule embarcation fluviale. Forte de savoirs-faires spécifiques dans le domaine de la charpente de marine, l’association ambitionne de faire naviguer la barque sur l’ensemble du Canal du Midi et d’y développer des projets culturels de découverte et mise en valeur du patrimoine fluvial
Malgré sa restauration minutieuse réalisée entre 1999 et 2001, la barque avait souffert au cours des dernières années du fait de son usage restreint au quai de Ventenac. Ce type de construction navale entièrement en bois nécessite un entretien constant, que seule la présence humaine et la navigation régulière permettent de garantir. Les éléments de charpente avaient commencé à se dégrader et pour certains à pourrir sous l’effet des intempéries et des entrées d’eau.
Un sauvetage périlleux à rebondissements
Le projet de restauration envisagé en 2021 par l’association consistait d’abord à consolider la coque et refaire le pont. Cela ne s’est toutefois pas passé comme prévu, car la barque n’a pas pu remonter le canal jusqu’à Castelnaudary où il était prévu qu’elle soit restaurée dans une cale sèche. Trop large, elle n’a pu franchir en avril 2021 l’écluse de l’Aiguille, et a failli rester coincée sous le pont. Il a fallu faire demi-tour et changer de stratégie, pour organiser un chantier non pas au sec mais sur l’eau, ce qui a posé des questions logistiques et d‘organisation, heureusement solutionnées grâce à la forte mobilisation de la municipalité et au soutien constant des habitants de Ventenac : installation d’une base de vie pour accueillir les équipes venant régulièrement travailler à raison de sessions de 15 jours d’affilée, été comme hiver ; réalisation d’un coque de protection pour mettre le pont à l’abri ; fabrication d’une étuve sur place pour tordre et cintrer les bois.
La livraison des longues pièces de bois a eu lieu en octobre 2021 : du chêne Douglas pour les plats-bords et l’épine, du mélèze d’altitude pour les lames de pont, qu’il faut au préalable laisser sécher près de deux ans. L’équipe de charpentiers dirigée par Thierry et Paul a ensuite démonté progressivement les barreaux et plats-bords pour les vérifier, les remettre en jeu ou les remplacer à l’identique. En parallèle, c’est à des travaux ingrats d’entretien régulier que les bénévoles se sont attaqués : nettoyage, grattage et peinture au bitume dans la cale. Ce travail a pris près d’un an et demi, et a donné lieu à quelques sueurs froides comme en février 2023 quand, à cause d’un coup de vent, l’eau s’est engouffrée dans la coque et a précipité la barque par le fond du canal : pompage en urgence et renflouage, le bateau a été remis à flot et la cale colmatée pour poursuivre le chantier.
Le moteur Baudoin de 1957, qui présente lui-même un intérêt historique en raison de sa technologie, a été remis en état grâce aux doigts de fées de Robert, un ancien mécanicien de Ventenac qui en est devenu le spécialiste. La barque peut dès lors se déplacer en autonomie sur le canal.
Dernière péripétie en date au cours de l’été 2023 avec la session de carénage dans la cale de Gailhousty à Sallèles-d'Aude. Il était prévu alors de terminer le travail engagé par le changement des bordées, longues pièces extérieures de la coque et tout le temps immergées dans l’eau. Une fois à sec, le bateau s’est révélé déformé au niveau des cachardes, pièces qui remplacent la quille au fond de la coque, et bien trop fragile pour réaliser sereinement ce travail dans le délai imparti de deux semaines. Au démontage, le nombre de membrures pourries et en trop mauvais état pour être conservées s’est révélé bien plus important que prévu. Ces interventions n’ont donc pas pu être faites en intégralité et il faudra prévoir une nouvelle session de carénage pendant plusieurs mois en 2024 ou 2025.
A défaut, l’équipe s’est concentrée en août et septembre 2023 sur la pose des lames de pont, en reproduisant très exactement le dessin des rainures qui existaient dans la barque d’origine, réaliser les joints de calfa tressé et préparer l’étanchéité de la surface.
La restauration de la barque est loin d’être achevée mais la première étape de sauvetage est enfin proche. Après la consolidation de la coque et du pont, il faudra envisager la mise en peinture de l’ensemble et l’aménagement du logement intérieur qui prenait place à l’avant du bateau. A la proue, les mariniers et patrons de barque disposaient en effet d’une véritable petite maison, avec une pièce de vie ornée d’une cheminée et d’un beau parquet, de couchettes pour dormir et d’un bureau pour travailler.
Les soutiens techniques et financiers
Le chantier de restauration de La Marie-Thérèse représente un budget de 210 000 € TTC pour la première phase actuelle de travaux, réalisés sous la maîtrise d’ouvrage de l’association Aventure Pluriel qui bénéficie des co-financements de l’État par le biais de la DRAC Occitanie (54 000 € sur les crédits « monuments historiques ») et de la Préfecture de Région (30 000 € sur les crédits « aménagement du territoire »), ainsi que de la Région Occitanie (20 695 €), du Département de l’Aude (10 000 €), de la Communauté d’Agglomération du Grand Narbonne (12 000 €) et de Voies Navigables de France (10 000 €, en plus de la gratuité des droits et utilisation de la cale de Gailhousty).
L’opération est aussi soutenue par la commune de Ventenac-en-Minervois et la Fondation du Patrimoine par le biais d’une opération de mécénat populaire.
Le projet est encadré par un comité de pilotage et d’éthique, et s’appuie sur les conseils techniques de Yann Pajot et Martin-Luc Bonnardot, experts pour le patrimoine maritime et fluvial du ministère de la Culture.
Pour en savoir plus, consultez l’Info-barque, journal de bord édité tous les mois par l’association Aventure Pluriel pour suivre au plus près le chantier :
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