Face aux risques auxquels sont exposées les structures culturelles, la préservation des trésors patrimoniaux nécessite une réponse rapide et coordonnée. C’est dans ce cadre qu’intervient le Groupe d’Aide en Cas de Sinistre Patrimonial (GASP), un dispositif porté par La Fabrique des patrimoines en Normandie et destiné à soutenir les structures culturelles en cas de situation de crise. Entretien avec Guillaume Debout, Chef du LABO de La Fabrique des patrimoines en Normandie.
Pouvez-vous présenter la Fabrique des patrimoines en Normandie ?
La Fabrique de patrimoines en Normandie est un Établissement Public de Coopération Culturelle au service du territoire régional, de ses habitants et de leurs institutions. L’établissement, crée en 2015, est organisé autour de trois pôles dont les maîtres mots sont « connaître, conserver, transmettre et partager » : un Ethnopôle, le Réseau des musées de Normandie et le Labo (pôle conservation, restauration & imagerie scientifique) au sein duquel se développe l'initiative du GASP.
Le GASP est un outil de surveillance et de protection du patrimoine, pouvez-vous le présenter ?
En cas de sinistre, les personnes chargées des collections patrimoniales se retrouvent souvent démunies et isolées, en manque d’aide technique, matérielle, humaine et organisationnelle. Le Groupe d’Aide en cas de Sinistre Patrimonial vise à organiser et apporter cette aide à toute institution patrimoniale qui serait solidaire de cette initiative. Cette initiative, co-créée en 2017 par La Fabrique de patrimoines en Normandie et Normandie Livre & Lecture, s'appuie sur l'existence de deux réseaux :
- le Réseau des musées de Normandie (coordonné par la Fabrique de patrimoines en Normandie)
- le réseau des bibliothèques et centres d'archives patrimoniales (animé par Normandie Livre & Lecture)
Cette initiative qui rassemble les musées, les bibliothèques et les services d'archives permet de réunir les gestionnaires des collections autour d'un objectif commun de sauvegarde du patrimoine en cas de sinistre (inondation, incendie, séisme, glissement de terrain...).
Les sinistres ne sont pas rares dans les lieux de culture. Sont-ils recensés ? Combien y en a-t-il en Normandie ? Quels ont été les plus notables (récents) ?
Un des axes de travail du GASP est de documenter la mémoire des sinistres. Ce travail permet de documenter la nature des évènements, la gravité de leurs impacts sur le patrimoine culturel, les moyens déployés et les modalités des réponses apportées lors de l'avènement de la catastrophe.
À l'échelle de notre -grande- région, plus de 130 évènements ont été d'ores et déjà recensés : tempêtes et vents violents, inondations et dégâts des eaux, crues, vol et vandalisme, incendies, effondrement, infestations, explosions, risques industriels et technologiques. Bien évidemment, les plus courants sont les incendies et les inondations, sachant qu'un incendie est bien souvent accompagné d'un dégât des eaux lié à l'extinction des feux par les services de secours.
Des dégâts des eaux importants ont eu lieu cet été : à l'Université et au Musée des Beaux-Arts de Caen (14) ; un incendie s'est produit au château de Saint-Hilaire-sur-Risle (61).
Toutes ces informations peuvent être retrouvées sur notre site et sur cette carte qui documente la mémoire des sinistres : http://u.osmfr.org/m/298052/
Les dispositifs de sécurisation existent (exercices pompiers réguliers) mais y a-t-il des protections particulières pour le patrimoine ?
Pour le patrimoine, les PSBC (Plans de Sauvegarde des Biens Culturels) sont recommandés : le PSBC est un document opérationnel et efficace, à disposition des gestionnaires des collections patrimoniales et des services de secours, pour faire face, avec diligence et efficacité, aux situations de sinistres pour les biens d’intérêt patrimonial. Les PSBC répondent à l’objectif de protection du patrimoine culturel rappelé dans le plan ORSEC départemental (article R 741-8 du Code de la sécurité intérieure) et permettent de réagir collectivement à une situation de crise. Ils ne sont pour l'instant pas encore normalisés et c'est un des objectifs du GASP, en concertation avec les SDIS des cinq départements normands : arriver à un document-modèle commun à toutes les institutions, clair et efficace, répondant aux besoins opérationnels des services de secours et aux exigences de conservation des biens patrimoniaux.
S’agissant d’un outil de sauvegarde du patrimoine, comment le GASP se décline-t-il (formation, recensement, exercices…), pouvez-vous l’illustrer ?
Avant le sinistre, le GASP forme les gestionnaires des collections à la création et à l'actualisation des PSBC de leurs institutions. Nous proposons une formation annuelle, créée et transmise par le C2RMF, déclinée en 5 séances sur une année qui vise à produire un PSBC finalisé pour l'institution, créer des liens avec les services de secours locaux et organiser un exercice grandeur nature de test du PSBC. Nous formons également les pompiers aux bonnes manipulations des collections patrimoniales et à la compréhension des PSBC. Nous proposons également des ressources documentaires pour se préparer en amont à la survenue d'un sinistre et au traitement des collections touchées. Nous aidons à l'organisation d'exercices de tests des PSBC.
Pendant le sinistre, le GASP mobilise le réseau des ressources humaines et matérielles à mettre à disposition de l'institution touchée : apport de matériel d'urgence, sollicitation de cerveaux et de bras, de ressources, de compétences professionnelles (régie, restauration, manipulation, convoiement...). Le GASP dispose également d'un stock de matériel de conservation qu'il peut mobiliser et amener sur les lieux du sinistre. Nous venons également en appui aux services de secours pour mettre en place un PSBC s'il n'en existe pas, ou en appui aux gestionnaires de collection pour organiser la réponse en coopération avec les pompiers.
Après le sinistre, nous documentons les évènements dans le cadre de la mémoire des sinistres. Nous organisons également des journées de rencontre pour échanger sur les évènements passés, les méthodes, les retours d'expériences.
Combien de structures en Normandie sont associées au projet ? Pour quelles avancées ?
Notre action repose sur l'existence de 2 réseaux : le Réseau des musées de Normandie, animé par notre établissement ; et le réseau des archives et bibliothèques patrimoniales, animé par Normandie Livre & Lecture. En France, 17% des musées de France ont un PSBC et 22% des bibliothèques classées ont un PSBC (pas forcément terminé/validé à 100%). Les chiffres à retenir (2021-2024) :
- 4 années de formation ;
- 66 institutions patrimoniale formées (2021 : 26 - 2022 : 25 - 2023 : 15)
- 22 institutions de Seine Maritime,
- 22 institutions dans le Calvados,
- 8 institutions dans l’Eure,
- 7 institutions dans l’Orne,
- 7 institutions de la Manche,
- 5 SDIS représentés ;
- 26 observateurs extérieurs (pompiers, C2RMF, MH, DRAC) ;
- 46 Musées ;
- 9 Archives dont 2 départementales ;
- 10 Bibliothèques patrimoniales ;
- >130 professionnels formés ;
- 3 cycles de formation vers les pompiers des SDIS des 5 départements.
D’autres structures (châteaux, églises, cathédrales…) peuvent-ils également profiter de cette assistance et de cet outil de prévention des risques ? (aide lors des exercices incendie dans les cathédrales de Normandie)
Nous accompagnons la DRAC dans la création des PSBC pour les cathédrales, l'organisation d'exercices avec les pompiers et participons aux retours d'expériences. Nous proposons également des formations et des accompagnements à destination des propriétaires de collections patrimoniales privées, et de toute institution détenant des collections et souhaitant progresser sur ces questions.
Quels projets pour le GASP dans les années à venir ?
Tout d'abord le recrutement du successeur d'Anthony Zurawski, qui a été notre premier chargé de mission sur le sujet, et qui a contribué à donner cette envergure au GASP. Ensuite, nous comptons travailler sur l'harmonisation des modèles de PSBC, en coopération avec les SDIS des cinq départements normands, et en parallèle travailler à l'établissement de leur doctrine sur le sujet. Nous comptons poursuivre les formations à la création des PSBC auprès des institutions patrimoniales publiques et à leur mise à jour dynamique. Nous les incitons également à mettre en place des exercices grandeur nature avec les pompiers, seul moyen de tester l'efficacité des procédures. Nous comptons également mettre en place des journées de rencontre entre tous les acteurs du patrimoine, publics et privés, concernés par cette thématique de la sauvegarde des collections en cas de sinistre. Et nous développons le conseil et l'accompagnement vers les acteurs privés du secteur.
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