Artiste ou chercheuse ! Manifestement les deux au regard de l'œuvre de Kapwani Kiwanga. Ainsi pourrait-on parler d'une double vocation chez l'artiste Franco-canadienne. Son travail s'attache aux récits qui révélent un déséquilibre probant du pouvoir. Mais pas seulement. La mise en lumière de témoins souvent insoupçonnés de ces histoires fait partie intégrante de sa production. Son étude plastique cherche quant à elle à offrir une forme à des archives parfois dormantes ou peu connues.
Kapwani Kiwanga, The Marias, 2020 Peinture, papier, fil d’acier,80×40 cm (chacune). Vues d’exposition,Kapwani Kiwanga, new work, KunstinstituutMelly (formerly known as Witte de With Center for Contemporary Art), Rotterdam(NL), 2020 © Photo Kristien Daem Courtesy de l’artiste et Galerie Poggi, Paris © Adagp, Paris, 2021
Cima Cima fait référence aux "cimarrones" ou "marrons". Ces termes d’origine arawak sont passés dans la langue espagnole afin de désigner les personnes en condition d’esclavage, devenues fugitives dans les Amériques. Une fois émancipés, ces femmes et ces hommes devaient mettre en place des stratégies pour préserver leur liberté. Cela passait par l’établissement de villages précaires prêts à être abandonnés pour reprendre la route, par une agriculture exceptionnelle permettant leur survivance, et par l’apprivoisement de plantes ramenées de leurs terres natives pour être adaptées à un nouvel environnement.
la culture des plantes et leur place témoins de l’histoire humaine
Cima Cima interroge sur ces gestes volontairement dissimulés qui permettent la survie et aborde l’histoire d’une résistance silencieuse. Le thème de l'exposition souligne en même temps la pratique d’une indocilité créatrice comme mode de vie, garante de liberté.
La culture des plantes et leur place en tant que témoins de l’histoire humaine intéresse ici l’artiste et leur fonction parfois ambivalente : la plante qui nourrit, la plante qui soigne, mais aussi la plante qui tue soit indirectement par son exploitation, soit par son utilisation en tant que poison.
Kapwani Kiwanga, The Marias, 2020 Peinture, papier, fil d’acier,80×40 cm (chacune). Vues d’exposition,Kapwani Kiwanga, new work, KunstinstituutMelly (formerly known as Witte de With Center for Contemporary Art), Rotterdam(NL), 2020 © Photo Kristien Daem Courtesy de l’artiste et Galerie Poggi, Paris © Adagp, Paris, 2021
La découverte de Matières premières (2020) est proposée en première intention par Kapwani Kiwanga pour la grande salle du Crédac . On y découvre une forêt de papier brut à base de fibre de canne à sucre, allant du plafond au sol. Les lés de papier empêchent l’appréhension de l’espace d’un seul regard et invitent le public à emprunter une déambulation marquée par la contrainte. Des fragments de lames de machettes retravaillées et redécoupées viennent parfois se greffer sur le papier, qui, couplés à la circulation entravée, rappellent les espaces de domination sur le corps des personnes en condition d’esclavage, caractéristiques de la culture de la canne à sucre.
A l’invitation de Kiwanga, Noémie Sauve, artiste et soutien du Fonds d’Art Contemporain Agricole de Clinamen (association accompagnant les pratiques paysannes par la diffusion d’œuvres d’art), présente trois dessins de la série motif vivant (2018 - 2020 - 2020) au crayon et contenant des graines paysannes de tomates dans la deuxième salle. Partiellement dissimulée, faisant face à la baie vitrée, une rizière de riz de la variété Oryza glaberrima est installée dans cet espace. Selon les récits oraux, le riz africain a fait le voyage aux Amériques camouflé dans les cheveux des femmes de l’Afrique de l’Ouest contraintes à l’émigration pour être réduites à l’état d’esclavage. Cultivé dans le nord de l’Amérique du Sud grâce aux soins et au savoir-faire de ces femmes, l’histoire du Oryza glaberrima a survécu de manière orale.
© Le Crédac
Léonard Nguyen Van Thé, paysagiste et jardinier, assiste Kapwani Kiwanga tout au long de l’exposition afin de suivre la culture du riz au Crédac. Dans cette même salle, est présentée une production récente de l’artiste pour la Renaissance Society à Chicago: une tapisserie où des répliques en verre de grains de riz Oryza glaberrima sont tissés, rappelant le récit des voyages transocéaniques de cette variété.
Potomitan, une œuvre produite pour l’exposition au Crédac
La troisième salle présente la série Lazarus, quatre sérigraphies blanches sur papier. Ces œuvres de Kiwanga reprennent des illustrations des XIXe et XXe siècles montrant des "taxons Lazare" : des espèces animales déclarées comme éteintes qui refont leur apparition dans la nature après de nombreuses décennies.
Inspirée de l’expression créole, dont elle porte le titre, Potomitan se réfère au poteau central dans un temple vaudou, mais l’expression peut aussi désigner le soutien familial ou la mère "courage", pilier de la société antillaise. Cette nouvelle œuvre s’inspire en outre des witch’s ladder. Une "échelle de sorcière" est une pratique dans la magie populaire ou la sorcellerie européenne consistant à nouer ou à tresser des cheveux ou des cordes avec des charmes (des feuilles ou des plumes par exemple), ayant en tête une intention magique spécifique. Ici, les charmes sont des parties de plantes potentiellement dangereuses ou mortelles pour l’être humain, ayant été utilisées historiquement dans la quête pour la liberté.
Kapwani Kiwanga
Née en 1978 à Hamilton au Canada, l'artiste Franco-canadienne vit et travaille à Paris.
Expositions personnelles récentes : Flowers for Africa au Centre Pompidou à Paris ; New Work au Kunstinstituut Melly (Formerly Known as Witte de With) à Rotterdam ; et Plot à la Haus der Kunst à Munich jusqu’au 25.04.2021.
En 2020, Kapwani Kiwanga est lauréate du Prix Marcel Duchamp.
Centre d'art contemporain d'intérêt national, membre des réseaux TRAM et d.c.a, le Crédac reçoit le soutien de la Ville d’Ivry-sur-Seine, du ministère de la Culture - Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France, du Conseil Départemental du Val-de-Marne et du Conseil Régional d’Île-de-France. |
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