Le musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) invite à une plongée unique dans l’univers du "dibbouk", figure surnaturelle issue de la tradition juive. L’exposition rassemble plus de 200 œuvres et documents qui, des peintures oniriques de Marc Chagall aux performances saisissantes de Sigalit Landau, des films yiddish de Michał Waszyński aux œuvres de Sidney Lumet et des frères Coen, témoignent de l’impact profond de cette créature sur l’imaginaire collectif. Symbole d’un passé traumatique et hantise d’une disparition toujours redoutée, le dibbouk incarne un mythe complexe, aujourd’hui intégré à un imaginaire universel.
Légende ancienne et pourtant étonnamment moderne, le "dibbouk" – esprit d’un mort errant venu posséder les vivants – apparaît pour la première fois dans les récits populaires juifs au XIIIe siècle. Mais c’est en 1918 que le mythe prend une dimension universelle avec la pièce "Le Dibbouk", écrite par Sh. An-ski. Inspirée des traditions hassidiques recueillies lors de ses expéditions ethnographiques en Volhynie et en Podolie, l’œuvre raconte les amours tragiques de Hanan et Léa, dont la passion est brisée par la mort prématurée de Hanan.
Refusant de voir Léa épouser un autre, il revient la hanter, habitant son corps sous forme de "dibbouk". Cette tragédie, où le surnaturel s’immisce dans la vie quotidienne, atteint son paroxysme avec une cérémonie d’exorcisme qui échoue à libérer la jeune femme. Dans un ultime élan, Léa choisit de rejoindre son bien-aimé "entre deux mondes".
Créée en yiddish à Varsovie en 1920 par la Vilner Trupe, la pièce connaît un succès immédiat grâce à son sujet bouleversant et à sa mise en scène expressionniste. Adaptée en hébreu par le poète Haïm Nahman Bialik, "Le Dibbouk" sera jouée durant plusieurs décennies à travers l’Europe, les États-Unis et la Palestine mandataire, notamment par la troupe Habima de Moscou. Traduit dans une dizaine de langues, ce texte mythique a fait l’objet de plus de cent adaptations au cinéma, au théâtre, à l’opéra et dans les arts plastiques. L’adaptation la plus emblématique reste celle de Michał Waszyński, dont le film réalisé en 1937 est l’un des derniers longs métrages yiddish tournés en Pologne avant la Shoah. Ce chef-d’œuvre, aujourd’hui culte, est devenu le symbole d’une culture florissante, brutalement anéantie.
À partir des années 1960, le "dibbouk" se fait métaphore des traumatismes enfouis. Le nom même de la créature est utilisé par les services secrets israéliens pour désigner Adolf Eichmann lors de sa traque en Argentine. La figure inspire aussi Romain Gary, qui publie en 1967 "La Danse de Gengis Cohn", où un ancien SS est hanté par le "dibbouk" d'une de ses victimes.
Aux États-Unis, Sidney Lumet et Leonard Bernstein revisitent le thème au cinéma et à l’opéra, tandis qu'en Pologne, après la chute du rideau de fer, le "dibbouk" refait surface dans le théâtre d’Andrzej Wajda, Krzysztof Warlikowski et Maja Kleczewska. Cette figure devient le symbole d’un monde perdu, un fantôme errant dans un pays amputé d’une part essentielle de son âme.
Aujourd’hui, la fascination pour le "dibbouk" se manifeste dans une multitude de créations contemporaines, qu’il s’agisse de films, de séries ou de livres. Ce regain d’intérêt interroge le lien entre surnaturel et mémoire collective, tout en puisant dans une esthétique richement nourrie par les traditions hassidiques.
L’exposition du mahJ s’appuie sur des prêts exceptionnels d’institutions prestigieuses des États-Unis, d’Israël, de Pologne, du Royaume-Uni et de France et est accompagnée d’une programmation culturelle dense.
Exposition "Le Dibbouk. Fantôme du monde disparu", du 26 septembre au 25 janvier 2025 au musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ), Paris.
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