15 avril 2019 : de la sidération à la mobilisation générale
En ce jour de printemps, l’atmosphère est joyeuse. Les rues de Paris sont pleines, les terrasses de café débordent et les touristes du monde entier profitent de l’ambiance sur les quais de Seine éclairés d’une douce lumière – malgré la petite brise d’est qui souffle ce jour-là. La légèreté du moment contraste avec la stupeur et l’émotion des instants suivants, lorsque la fumée du tabouret de la flèche de Notre-Dame se mue en flammes et que l’incendie progresse pour finir par engloutir la couverture, la charpente et la flèche, plongeant Paris et le monde dans l’effroi.
Comme 86 autres cathédrales de France, Notre-Dame de Paris est propriété de l’État. Elle est confiée à la DRAC Île-de-France qui assure pour le ministère de la Culture les missions de maîtrise d’ouvrage, de conservation et d’entretien de l’édifice. Une opération de restauration de la flèche est d’ailleurs en cours à cette époque, avec une dépose des statues opérée quatre jours plus tôt, et un échafaudage qui enserre la couverture en plomb. La directrice régionale par intérim et le conservateur régional des monuments historiques sont prévenus vers 18h45, soit quelques minutes après le déclenchement de l’incendie, et se rendent immédiatement sur place, où les pompiers sont déjà à pied d’œuvre pour positionner engins et matériels, alors que la fumée jaunâtre se transforme en feu ardent dans les combles où la charpente millénaire – la fameuse "forêt" de Notre-Dame – tient lieu de combustible.
Ils parviennent à regagner le parvis de Notre-Dame malgré la foule massée qui quitte à la hâte l’Île de la Cité, et commencent à plaider la cause des objets à évacuer auprès des pompiers. Karine DUQUESNOY, directrice régionale de la DRAC par intérim à l’époque, assure l’interface avec le poste de commandement des pompiers mais également avec les autorités publiques et politiques, notamment le ministre de la Culture et le préfet de région. Antoine-Marie PRÉAUT, conservateur régional des monuments historiques de la DRAC à l’époque, accompagné de Pierre-Antoine GATIER, architecte en chef des monuments historiques qui a pu accéder à la cathédrale bien que n’étant pas en charge de l’édifice, est autorisé à rejoindre une brigade à proximité de la sacristie. Ils seront épaulés par Marie-Hélène DIDIER, conservatrice générale du patrimoine à la DRAC, Christelle DUPAS, architecte des Bâtiments de France à la DRAC et à ce titre conservatrice de Notre-Dame et responsable unique de sécurité, Jean-Michel GUILMENT, chef du bureau de la conduite des opérations à la DRAC et Laurent PRADES, régisseur général de la cathédrale.
Antoine-Marie PRÉAUT décrit la confiance qui finit par s’instaurer avec les pompiers, du fait de leur parfaite connaissance de la cathédrale : ils indiquent alors qu’une extraction des objets est possible en profitant des bas-côtés et du déambulatoire du chœur, situés hors des parties couvertes par la toiture incandescente. "Mais c’est finalement lorsque nous répondons à leur demande de description des objets à sauver en priorité que l’attention des pompiers commence à nous être acquise", admet-il. "L’évocation des saintes reliques, et en particulier de la couronne d’épines, fait mouche. Très vite, nous comprenons que notre interlocuteur a cette fois pris la mesure de l’enjeu et qu’il fait part de notre demande à son commandement."
Après quelques péripéties liées à l’enchevêtrement de clés et de placards, et alors que le feu ravage la toiture et fait s’écrouler la flèche à 19h45, faisant surgir un cri d’effroi dans tout Paris, les objets sont peu à peu localisés. Les pompiers escortent Antoine-Marie PRÉAUT et Laurent PRADES, équipés à la hâte de casques, jusqu’aux saintes reliques. La couronne d’épines du Christ est récupérée, avec les reliques de la croix et du clou dans la chapelle axiale, de même que la tunique de saint Louis. Dans la foulée, les pompiers empoignent pêle-mêle les objets qu’ils rencontrent sur leur chemin : toiles, sculptures, mobilier liturgique… De premiers tableaux sont décrochés : "La Nativité de la Vierge" de LE NAIN et "la Vierge de Pitié" de Lubin BAUGIN. Les agents du ministère de la Culture présents se mobilisent alors pour inventorier chaque objet et y veiller, jusqu’à leur évacuation à l’Hôtel de Ville de Paris, avec des camions mis à disposition par la mairie sous escorte policière et sans que les équipes de la DRAC ne les quittent une seule fois les reliques des yeux.
Les pompiers viendront à bout de l’incendie le 16 avril à 9h50, après 15 heures de lutte acharnée, et des choix stratégiques judicieux qui auront permis à l’édifice de ne pas sombrer.
Consolider et sécuriser la cathédrale
Le 16 avril, les gravats jonchent le sol de la cathédrale, une eau noirâtre recouvre les dalles, de l’eau ruisselle et ajoute au caractère apocalyptique de la scène. Notre-Dame est debout, mais méconnaissable. Avec Philippe VILLENEUVE, architecte en chef des monuments historiques, les équipes de la DRAC commencent à constater l’ampleur des dégâts. Le tabouret de la flèche a fini par céder dans la nuit, entraînant dans sa chute la voûte de la croisée du transept.
La DRAC se met très vite en ordre de bataille, animée par une ferveur qui ne quittera plus le chantier jusqu’à aujourd’hui. Dans le cadre de la maîtrise d’ouvrage qu’elle assure, la Conservation régionale des monuments historiques étudie comment réaliser les travaux d’urgence. Les entreprises sont déjà présentes. Les objets – 1 300 en tout – sont tous évacués au Louvre, notamment la "Vierge à l’enfant" et le tapis du chœur.
Les opérations de sécurisation de la cathédrale commencent avec les consolidations des différents pignons qui risquent de tomber. Les poutres de bois sont acheminées dans les hauteurs pour étayer les structures. Des statues sont déposées en urgence car éclatées sous la chaleur. Les plus fragiles sont emmaillotées avant d’être soulevées par les grues.
Marie-Hélène DIDIER, conservatrice générale des monuments historiques à la DRAC, participe à la réunion de chantier tous les soirs à 19h avec les pompiers qui sont les seuls maîtres de la cathédrale dans les premières semaines. Les tableaux commencent à être décrochés sous son contrôle et évacués pour restauration : 17 d’entre eux – de grande taille – sortent de l’édifice entre le 16 et le 25 avril. Il en est de même des tapis et de la Vierge à l'enfant du XIVe siècle, symbole du cœur de Notre-Dame.
Elle se souvient : "La pluie étant annoncée, les bâches sont déployées sur des poutrelles métalliques par les cordistes pour couvrir la cathédrale. A l’intérieur, des filets sont tendus dans la nef, le transept et le chœur pour parer et repérer toute chute de matériau. La mobilisation des entreprises est grande et environ une centaine de compagnons sécurisent l’édifice tous les jours. Les vitraux des verrières hautes de la nef sont enlevés afin de permettre le passage ultérieur de poutres à travers les baies. Une protection est installée au-dessus du "Vœu de Louis XIII" à l’aide de tubes d’échafaudage et de bastaings pour limiter les dégâts en cas de chute de pierre. La base vie, dimensionnée pour trente personnes commence à se réorganiser avec la mise à disposition par la ville du square Jean XXIII. Les mobiliers du jardin sont ôtés et les dalles béton coulées pour supporter les différents bungalows nécessaires pour 130 personnes."
L’intérieur de la cathédrale est régulièrement nettoyé. Des barnums sont installés sur le parvis pour accueillir les débris sortis de la cathédrale, poutres carbonisées, fragments de pierre. Le service régional de l’archéologie de la DRAC se mobilise pour opérer ce travail titanesque, avec l’aide du Laboratoire de recherche des monuments historiques.
Les arcs-boutants sont mis sur cintre afin d’éviter tout mouvement des murs, ceux-ci n’étant plus chargés par la charpente et la toiture. Les voûtes du bras nord du transept sont déblayées et paraissent en bon état. Le plancher haut pour examiner les voûtes est installé au-dessus du chœur. Quelques fragments de voûte tombent dans les filets de protection.
Afin de mener à bien ces travaux de consolidation et de sécurisation, un régime d’urgence impérieuse est décrété, qui permet de déroger aux règles des marchés publics et d’engager les entreprises sur les travaux ne pouvant pas attendre. La DRAC met également en place une protection des travailleurs face aux risques liés au plomb dès le 19 août 2019.
Au-delà des désordres affectant l’édifice, l’un des éléments les plus périlleux est l’échafaudage qui a résisté à l’incendie car il n’était pas solidarisé avec la cathédrale. Affaissé en son centre, déformé par la chaleur du brasier, il est alors truffé de capteurs afin de surveiller son évolution et envisager son démontage en plusieurs phases.
Durant les six premiers mois, sous le pilotage de la DRAC, la maîtrise d’œuvre parvient à avancer de manière décisive, avec notamment la consolidation des pignons, la dépose des chimères, le bâchage des voûtes hautes et la pose de filets sous les voûtes, la mise sur cintre des arcs-boutants, la pose d’un plancher sur les murs gouttereaux au-dessus des voûtes, etc.
Début 2020, la DRAC Île-de-France passe le relais de la maîtrise d’ouvrage à l’Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame de Paris, créé par décret, tout en conservant ses missions de droit commun en matière de contrôle scientifique et technique. Elle reste, dans les cinq années suivantes, un acteur essentiel de la renaissance de Notre-Dame.
Les premiers mois cruciaux du sauvetage de Notre-Dame de Paris en images
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