Ce temps d’échange, organisé par le service des musées de la DRAC Île-de-France en partenariat avec la DRAC Normandie, s’inscrit dans un cycle de journées d’études élaboré dans le cadre des vingt ans de la Loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France et des dix ans du label Maisons des Illustres. L’occasion de partager des ressources concrètes, des idées et des exemples d’actions à différentes échelles et dans l’ensemble des champs d’action de ces institutions.
"La transition écologique est une politique culturelle"
Après l’introduction de la journée par Nicolas Surlapierre, directeur du MAC VAL, et Olivier Peyratout, directeur adjoint délégué chargé des patrimoines à la DRAC Île-de-France, Olivier Lerude, chef de projet Territoires de culture durable à la DRAC Île-de-France, a ouvert la série d’interventions en rappelant que la transition écologique est primordiale dans le secteur culturel : les évènements climatiques frappent aujourd’hui plus fort et plus fréquemment. C’est bien de cela qu’il est question lorsque l’on réfléchit aux actions qui peuvent être entreprises, même aux plus petites échelles.
D’un point de vue non seulement écologique, mais aussi économique et social, les institutions peuvent mobiliser les objectifs du développement durable de l’ONU. Le rapport du Shift Project "Décarbonon s la Culture !" est également une ressource intéressante.
Olivier Lerude a partagé de ressources concrètes et utiles aux musées de France et Maisons des Illustres, d’abord en ce qui concerne la gestion des lieux : la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire adoptée en septembre 2021, le dispositif Services Publics Ecoresponsables (SPE) lancé en 2020, ou encore la loi Labbé du 6 février 2014 qui interdit les usages de produits phytosanitaires à l’ensemble des personnes publiques. Certains lieux innovants peuvent servir d’exemples, à l’image du musée de Ningbo, en Chine : un lieu à l’architecture durable.
Olivier Lerude, chef de projet Territoires de culture durable à la DRAC Île-de-France © DRAC Île-de-France
La production d’expositions et la scénographie sont également des enjeux majeurs d’écoresponsabilité : la Réserve des arts, à Pantin, accompagne le secteur culturel dans l’appropriation des pratiques de l’économie circulaire ; la Direction Nationale d’Interventions Domaniales (DNID) gère les dons ; et l’exposition écoconçue Quand les artistes passent à table, organisée par le ministère de la Culture, est un exemple de réemploi des matériaux. Il faut savoir qu’une exposition écoconçue coûte aujourd’hui en moyenne 30% moins cher.
Plusieurs autres enjeux peuvent guider les réflexions des institutions : la maitrise de la consommation des ressources, et notamment l’éclairage ; la question des publics et de leur mobilité (l’installation de structures de mobilité douce à côté des institutions peut être envisagée) ; l’édition de livres ou catalogues et l’utilisation de papiers et encres écologiques (label PEFC) ; l’adoption de pratiques de sobriété numérique ; ou encore la question de la restauration et de l’alimentation qui peuvent être responsabilisées, à l’image de l’initiative Mieux manger au ciné.
Afin d’accompagner la transition, des financements peuvent être trouvés auprès de plusieurs organisations. Parmi celles-ci : le Fonds Vert, lancé en 2022, finance des projets présentés par les collectivités territoriales et leurs partenaires publics ou privés ; France 2030 et notamment l’appel à projet Alternatives vertes de la Banque des Territoires ; ainsi que l’ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie).
Il existe ainsi de nombreux leviers d’actions pour les musées de France et maisons des Illustres. Il s’agit d’adopter une conduite écoresponsable de manière systématique dans tous les projets culturels, et d’opérer progressivement une inversion des valeurs, de ce que nous considérons comme valorisant et valorisable. La DRAC est par ailleurs engagée auprès des institutions et de leur transition écologique, notamment à travers la stratégie Territoires de culture durable.
Une transition social-écologique dans les musées de la métropole Rouen Normandie
Robert Blaizeau, directeur de la Réunion des onze musées métropolitains de Rouen, a présenté les actions mises ou place ou envisagées dans le cadre de ses missions, par le prisme d’une approche systémique de la transition sociale et écologique. Il est question, selon ses mots, de "concilier fin du monde et fin du mois". Une intervention qui a permis de dégager des propositions d’action concrètes.
Robert Blaizeau, directeur des musées de la métropole Rouen Normandie © DRAC Île-de-France
Le social va en effet de pair avec l’écologie : des actions sont d’ores et déjà engagées sur la question des horaires de travail des agents d’entretien, ou encore sur l’accessibilité à la culture des publics ruraux. Pour ce qui est des musées, la métropole propose de remettre au cœur de la programmation des évènements sur les collections permanentes, à l’image d’initiatives comme Le Temps des collections. Les expositions temporaires doivent quant à elles être conçues sur un temps relativement long (au moins six mois). La récente exposition "Esclavage, mémoires normandes", labellisée exposition d’intérêt national, s’appuyait en ce sens sur les collections locales. Il est par ailleurs souhaitable que des politiques de dépôts soient davantage développées entre les musées (exemple de La Fabrique de Patrimoines en Normandie). Les visiteurs des musées sont quant à eux incités à adopter des mobilités douces par des politiques tarifaires avantageuses.
Les avancées de la recherche ne sont pas non plus négligées, et un programme ad hoc a été lancé avec une école d’ingénieur de Rouen au sujet des matériaux biosourcés qui peuvent utilisés pour le transport.
Enfin, la question de la formation des agents publics aux questions écologiques est primordiale. Les agents des musées de Rouen seront ainsi formés, à l’horizon 2024, par le CNFPT (Centre National de la Fonction Publique Territoriale). La formation de l’INET "Le cycle supérieur de la transition", destinée à former des dirigeants territoriaux sur les questions de transition écologique et sociale, est accessible à toutes et tous.
Dans un climat d’incertitude où chaque action entraîne des rebonds aux conséquences parfois non anticipées, une politique des petits pas, à l’image de ces différentes actions, est ainsi essentielle.
Un projet scientifique et culturel environnemental pour le musée de la toile à Jouy-en-Josas
Le musée de la toile de Jouy, situé à Jouy-en-Josas dans les Yvelines, porte la mémoire du travail de Christophe-Philippe Oberkampf, fondateur de la manufacture de Jouy, et plus de 30 000 motifs des toiles, mondialement connues, qui continuent d’inspirer la création contemporaine.
Directrice / Cheffe du projet "Cité de la toile" · Musée de la toile de Jouy © DRAC Île-de-France
Charlotte Du Vivier Lebrun, directrice du musée, a présenté le nouveau modèle élaboré pour l’institution. Celui-ci prend en compte les enjeux de développement durable à travers la rédaction, sur proposition du service des musées de la DRAC, d’un projet scientifique et culturel environnemental (PSCE), inédit.
Le musée, déménagé dans le centre de Jouy pour fonder la Cité de la Toile, permettra le développement d’un réseau international d’expertise autour du textile. Il sera un lieu d’échange et de partage avec les autres institutions. Les collections seront enrichies, un centre de ressources sera ouvert et des outils de médiation numériques seront déployés. La boutique célèbrera l’éco-responsabilité et l’art de vivre à la française, et réunira population locale, touristes et professionnels. Les motifs du fonds patrimonial pourront quant à eux être exploités par la vente de licences d’utilisation. Un salon du textile sera organisé, tout comme des résidences d’artistes, de designers et de chercheurs. Cette manufacture nouvelle sera aussi un lieu de production et de formation, professionnelle et amateure. Le patrimoine est ainsi pensé au cœur de la vie, comme source d’inspiration pour toutes et tous.
La totalité du projet est pensée en éco-responsabilité, et les enjeux écologiques seront pris en compte tout au long du processus : de la construction du bâtiment, à la production des textiles et teintures, ou encore à l’intégration des enjeux environnementaux dans les formations.
La DRAC accompagne étroitement le musée de le toile de Jouy dans l’élaboration de ce prototype de PSCE.
Le site Jean Quarré : bâti écoresponsable en plein Paris
Le site Jean Quarré, projet culturel social, associe une bibliothèque et une maison des réfugiés en plein cœur du 19ème arrondissement de Paris, dans les bâtiments d’un ancien lycée. Cet exemple de bâti écoresponsable a été présenté par Christophe Séné, conservateur en chef et directeur de la médiathèque James Baldwin.
Médiathèque et Maison des réfugiés, rue Jean Quarré à Paris © (apm)&associés
Inséré dans le dense réseau parisien des bibliothèques, le site Jean Quarré s’inscrit dans le concept de la ville du quart d’heure (une organisation urbaine permettant à tout habitant d’accéder à ses besoins essentiels de vie à 15 minutes à pied ou à 5 minutes à vélo) et dans l’idée qu’il est possible de réutiliser les lieux existants plutôt que de détruire et reconstruire de toute pièce de nouveaux équipements. Le site résonne ainsi avec les objectifs du Plan Climat de Paris.
Site Jean Quarré © (apm)&associés
Avec 5 718m2 d’espaces extérieurs végétalisés, il abrite un jardin partagé à vocation nourricière, utilisé notamment pour la cuisine pédagogique de la maison des réfugiés, qui impliquera les utilisateurs du lieu. Il s’agit d’un projet architectural à faible impact environnemental, réalisé avec des matériaux bio-sourcés et issus du réemploi (bois, verre, terre crue provenant du percement du Grand Paris, Polyasim pour le désamiantage…) ou réutilisés (dalles de béton détruites qui servent désormais au parvis). Dans ce bâtiment bas-carbone, à énergie positive, la climatisation sera très limitée, voire inexistante, au profit de l’installation d’une ventilation naturelle. Des panneaux photovoltaïques ont également été installés. Enfin, la cohésion sociale est au cœur du lieu : un travail sera fait autour des langues, des littératures, des cultures. L’ouverture au public est prévue au printemps 2024.
Le site Jean Quarré constitue ainsi un bel exemple de bâti écoresponsable au cœur d’un milieu urbain très dense.
Tout excepté peut-être une constellation : quatre planètes pour un musée
Pour conclure cette journée, Nicolas Surlapierre, directeur du MAC VAL, a emmené les participants vers un domaine poétique, à commencer par ce vers emprunté à Un coup de dés jamais n’abolira le hasard de Mallarmé – « Tout excepté peut-être une constellation » -, et même éco poétique. Dans La main gauche de la nuit (1969), Ursula K. Le Guin réunit le temps de l’histoire et celui de l’écologie. Elle amène l’idée de lenteur, de temps long, nécessaire à la réflexion, à rebours de l’accélération du changement climatique.
Une constellation composée de quatre planètes guide la réflexion, à l’image de l’exposition réalisée par Bruno Latour au Centre Pompidou-Metz, Toi et moi, on ne vit pas sur la même planète.
Nicolas Surlapierre, directeur du MAC VAL © DRAC Île-de-France
La planète immédiate parcourt les mesures mises en place au MAC VAL pour faire face au défi climatique : de la réutilisation des petits journaux aux bouteilles réutilisables. Nicolas Surlapierre évoque le philosophe norvégien Arne Næss et son article Vers l’écologie profonde (1973) : alors que "l’écologie superficielle" s’en prend aux pollutions, à l’épuisement des ressources, aux effets extérieurs de la crise, et échoue à ralentir la destruction de la nature, "l’écologie profonde" se place à la racine de la crise et vise à rompre avec l’anthropocentrisme. L’homme doit redécouvrir son lien avec la nature, la replacer au cœur de la pensée et de ses valeurs.
La planète situation nous transporte ensuite vers deux expositions. La première, Le vent se lève (MAC VAL, 2020-2021), aborde la question de l’écologie et de la déambulation, de la promenade, comme autres appréciations de la nature. La deuxième exposition, Humain autonome (Frac Normandie, 2023), interroge le rôle de l’automobile, comme cristallisateur des modes de production, des rapports de domination et d’exploitation à l’origine de la destruction de nos écosystèmes.
Plusieurs écrits peuvent constituer des pistes de réflexion : l’ouvrage de Laurence Bertrand Dorléac, Un ours dans la tête. Greta Thunberg (2022) ; ou Pour en finir avec la nature morte et son exposition Les Choses au Louvre, par lesquelles elle réfute le terme de nature morte - la nature n’est jamais morte.
Le critique Pierre Restany, quant à lui, évoque dans le Journal du Rio Negro - Vers le naturalisme intégral, une "idéologie écologique" et affirme que la question de la nature devient centrale aux enjeux artistiques et culturels. L’historien Ernst Gombrich, dans L'écologie des images, révèle les rapports des êtres vivants avec les images et les mots qu’ils produisent.
La planète fossile / faux-cils questionne l’écologie dans les gender studies : dans les deux domaines, il est bien question de transformation, comme de transition.
"L’escamoteur", Jérôme Bosch, 1475-1505 © Musée municipal de Saint-Germain en Laye
La dernière planète, la planète attention, s’appuie sur l’ouvrage d’Yves Citton, Pour une écologie de l’attention (2014), et l’idée d’attention comme ressource en voie de disparition : "notre maison brûle et nous regardons ailleurs". L’auteur prend pour métaphore le tableau de Jérôme Bosch, L’escamoteur (1475-1505, Musée municipal de Saint-Germain-en-Laye) : plus notre regard sera attentif, plus nous porterons de l’attention – y compris attention au changement climatique.
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