Comment faire lire de nouveau les jeunes ? De 7 à 19 ans, ces derniers consacrent en moyenne dix fois plus de temps sur les écrans que sur un livre. Face à ce constat, le ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation nationale ont lancé les États généraux de la lecture des jeunes afin de comprendre la baisse de la pratique chez les jeunes, et de proposer des solutions pour y remédier : une première restitution aura lieu au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, fin novembre. Après des premières consultations en Centre-Val de Loire, la délégation en charge de la mission s'est rendue dans les Hauts-de-France, à Orchies (59) et Libercourt (62), à la rencontre des acteurs du terrain.
La lecture, une pratique culturelle en partage
La lecture n’est pas seulement un acte de lecture individuelle, elle est une expérience partagée, un lien vivant entre les âges, un pont entre le regard des enfants et celui des adultes. Dans des territoires comme les Hauts-de-France, favoriser des temps de lecture entre générations (en maisons de retraite, écoles, bibliothèques) représente un levier concret pour rattacher la lecture à des temps sociaux partagés. Ces rencontres insufflent une énergie et une résonance émotionnelle que les instances uniquement scolaires ont du mal à produire seules.
La délégation a pu assister à un exemple de lecture partagée à Orchies (59), afin d'observer les interactions à l'œuvre entre les générations. L'EHPAD Marguerite de Flandre est en effet régulièrement investi par l’association Perluette, qui propose un temps de lecture mêlant enfants âgés de 6 à 8 ans d’un centre de loisirs et résidents, autour d’un jeu de devinettes illustrées ou d’un conte incarné, enrichi par des propositions sensorielles.
« La lecture n'est pas seulement une pratique culturelle, elle est la matrice de toutes les autres. »
Promouvoir la lecture comme une pratique partagée, c’est aussi lui dédier des espaces. La médiathèque la Malle à Orchies -dont l’ouverture est prévue en 2026-, est ainsi pensée de manière transversale avec un espace « tente » pour les enfants qui prolonge l’espace fiction adulte.
La Malle porte une ambition claire : que les parents et les enfants fréquentent ensemble ce lieu, chacun à son rythme. Un enfant qui fréquente régulièrement un espace bien agencé, stimulant, modulé selon ses besoins, a plus de chances d’y revenir à l’adolescence. La lecture des jeunes doit coexister avec celle des adultes.
Rouvrir les imaginaires : le défi de la lecture pour le plaisir
Comment capter l’attention des jeunes vers la lecture, en plus des lieux dédiés ? Lors de la venue de la délégation à la librairie l’Atelier Livres, l'échange avec la libraire a en effet mis en lumière sur une difficulté rencontrée tant par les parents que par les enfants : la lecture scolaire est parfois perçue comme une contrainte ou un devoir. Les jeunes tendent alors à se désintéresser plus généralement de la lecture.
À l’association Perluette les médiatrices proposent des formats non conventionnels — BD muette, lectures-spectacle inspirées de bandes dessinées, ateliers d’images — pour que l’objet livre ne soit pas perçu uniquement comme un support scolaire, mais comme une scène où naissent les possibles.
Le projet Aficionado, soutenu par la DRAC Hauts-de-France, en est une manifestation : des jeunes de 12 à 18 ans se déguisent pour incarner le personnage d’un livre qu’ils ont aimés et sont ensuite mis en scène pour être pris en photos. Ce dispositif cherche à faire le lien entre l’image et le plaisir de la lecture : encourager la diversité des médiations, ouvertes aux formats pluridisciplinaires et flexibles (audio, numérique, ateliers mobiles, etc), pour toucher des publics plus distants et diversifiés.
L’idée c’est d’être dans la lecture plaisir et remettre l’objet livre au cœur du sujet. Privilégier la rencontre avec les livres mais aussi les auteurs, être dans le joyeux, dans le ludique, rouvrir les imaginaires
La pratique de lecture doit davantage être associée à des goûts et des préoccupations personnelles, en plus d’être adossée à des pratiques ludiques.
Aujourd’hui, sur le plan national, le ministère de la Culture a lancé en 2024 le programme Lecture-Loisir, pour renforcer la présence du livre auprès des jeunes dans les temps de loisirs, en complément des dispositifs scolaires, et tenir compte de la concurrence des écrans. L’opération estivale « Cet été, je lis » (juin-août 2025) vise à encourager la lecture quotidienne chez les élèves.
Atteindre l'ensemble de la jeunesse
Le voyage de la délégation dans les Hauts-de-France a tenu à souligner un enjeu essentiel : faire lire la jeunesse, c’est aussi prendre en compte la diversité des publics qui la compose. À Libercourt (62), la journée professionnelle sur la thématique de l’accueil en médiathèque des publics en situation de handicap visuel organisée par la Médiathèque départementale du Pas de Calais a souligné la nécessité d’une approche inclusive de la lecture des jeunes.
Les publics jeunes en situation de handicap visuel sont en forte demande d’accès à des livres susceptibles de correspondre à leurs besoins et leurs attentes et sont de ce fait plus nombreux à lire dès que l’offre existe. S’il existe des livres adaptés aux personnes dys, comme proposées par Bookin, des bibliothèques sonores proposées par Les donneurs de voix, ou bien des livres « textures » proposés aux plus jeunes par Les doigts qui rêvent. L'adaptation des livres aux besoins des jeunes au handicap visuel se heurte cependant à un obstacle avec les livres jeunesse les plus lus : la bande dessinée ou le manga restent des genres difficiles à adapter.
De la même manière, l’approche de la lecture chez les jeunes s'appréhende de façon transversale pour collaborer avec des acteurs qui sont indirects à la culture, mais directement engagés auprès des jeunes. Lors d’un temps d’échange à la DRAC Hauts-de-France entre la délégation, les conseillers lectures et les médiathèques départementales, l’importance des relations avec les services de Protection maternelle et infantile ou avec les collèges a été particulièrement soulignée.
Il faut sortir des murs, il faut aller chercher les gens, avec des coopérations
De la même manière, la rencontre à Libercourt (62) avec le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) a rappelé l'enjeu de la convention dite « Culture / Justice » , par laquelle la DRAC Hauts de France met en œuvre un programme ambitieux afin d’encourager les jeunes concernés à renouer avec le livre, dans un esprit émancipateur.
Quelques chiffres clés sur la lecture des jeunes et les Hauts-de-France
- 4,8 % des jeunes (16-25 ans) participant à la Journée de défense et de citoyenneté dans les Hauts-de-France en 2022 ont des difficultés sévères en lecture (la moyenne nationale est à 4,9 %) (Insee). Mais le territoire régional n’est pas homogène, dans l’Aisne, ce même taux est de 6,9 %, dans la Somme, de 5,6 %, dans certaines intercommunalités (EPCI) comme le Douaisis (Nord) : jusqu’à 7,0 % des jeunes présentent des difficultés sévères
 - Au niveau national, 4 % des personnes scolarisées peuvent être considérées en situation d’illettrisme (2022), soit 1,4 million de personnes
 - 11,8 % des jeunes 16-25 ans ont des difficultés de lecture, dont 5 % en difficultés sévères selon l'INJEP 2025
 - 16 % des jeunes déclarent qu’ils « n’aiment pas lire ou détestent lire » selon le Centre National du Livre
 
S'appuyer sur les réseaux de collaboration pour accompagner les jeunes dans la durée
La région Hauts-de-France est dotée d'une large couverture de libraires, bibliothèques, associations, médiateurs, institutions et enseignants engagés dans le parcours lecture des jeunes : en bref, s'assurer que les jeunes rencontrent des dispositifs dédiés à la lecture de façon récurrente et cohérente jusqu'à l'âge adulte. La coopération et la mutualisation entre les différents acteurs — DRAC, collectivités, associations, bibliothèques, écoles — apparaît essentielle pour que les dispositifs ne restent pas ponctuels, mais s’inscrivent durablement dans les territoires et dans les parcours des jeunes.
Dans ce contexte, les États généraux de la lecture pour la jeunesse cherchent à faire émerger des jalons de coordination régionale entre les dispositifs (CTL), réseau de lecture publique, médiation locale, éducation populaire) et d’anticiper la manière dont un jeune peut rencontrer plusieurs lieux ou actrices du livre et de la lecture sur son parcours.
Lors de la table ronde à Libercourt, des associations comme Lis avec moi, Mots et Merveilles, Brouillons de culture, Droit de Cité, la fédération des foyers ruraux, les Francas,l’association des libraires d’en Haut,l’association des éditeurs indépendants des Hauts de France étaient présentes, ainsi que des bibliothécaires et des enseignants étaient présents. Ils ont ainsi illustré le foisonnement régional, mais aussi la nécessité de coordination pour éviter les redondances ou les « zones blanches ».
Les dispositifs nationaux comme les contrats départementaux lecture ou les contrats territoire lecture soutiennent cette logique en encourageant la mise en place des bibliothèques, la mutualisation des ressources et la mise en réseau des médiathèques. La médiathèque d’Orchies fait d’ores et déjà partie du réseau de bibliothèques Graines de culture, porté par la communauté de commune du Pévèle Carembault qui a été mis en place avec l’appui de la DRAC et de la médiathèque du Nord dans le cadre d’un contrat territoire lecture.
Partir des réalités des territoires pour construire la stratégie nationale
Ces deux jours dans les Hauts-de-France ont permis de relier observation de terrain, analyse méthodique et réflexion nationale. Ils illustrent la richesse et la diversité des initiatives locales, la complémentarité entre médiation entre les générations, innovation artistique et structuration territoriale, et la nécessité de continuité des parcours de lecture.
Les enseignements de ce voyage seront présentés au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil (26 novembre- 1er décembre 2025), et des déplacements complémentaires sont prévus dans d’autres régions : Nouvelle-Aquitaine, ainsi qu’à Mayotte et à la Réunion pour poursuivre l’observation et affiner la politique nationale. L’ensemble des acteurs (DRAC, collectivités, associations, bibliothèques) constitue un écosystème complexe et coordonné, clé pour que la lecture des jeunes reste vivante, accessible et diversifiée.
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