Seul le prononcé fait foi
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Avec le Président de la République, je tenais à organiser ce Week-end
culturel à l’occasion du Sommet pour l’action sur l’IA.
Pour la première fois, la culture est un axe à part entière d’une
rencontre internationale sur ce sujet, et ce n’est pas qu’un symbole.
Car la France considère que l’IA est une véritable opportunité pour la culture, une opportunité inédite d'enrichissement, d'accessibilité et de diversité.
Il n’y a pas à opposer culture et innovation. Si l’on veut bien prendre un peu de recul, le progrès technologique a toujours ouvert de nouveaux horizons à la création, depuis l’invention de la peinture en tube qui a permis aux impressionnistes de peindre en plein air, jusqu’à l’apparition du cinématographe.
A ceux qui serait tentés par une posture de repli, nos artistes apportent déjà des démentis en actes et en création, comme en témoignent les expériences de Justine EMARD ou du collectif Obvious.
L’IA, c’est aussi un incroyable potentiel pour la diffusion et l’accessibilité des publics. Je pense par exemple aux algorithmes de recommandation, sur le modèle d’Ask Mona, ou à tout ce qui est fait ici même, à la Bibliothèque nationale de France, pour la valorisation de nos patrimoines numérisés sur Gallica.
Pour profiter de toutes les potentialités de l’IA, les opérateurs du ministère ont un rôle décisif à jouer. Ils détiennent des corpus culturels d'une richesse inestimable, essentiels pour entraîner les systèmes d’intelligence artificielle. Sans ces ressources, ces technologies risquent de se développer en ignorant des pans entiers de notre patrimoine et de notre identité. Il est donc impératif de s’appuyer sur ces fonds culturels pour garantir que l’IA reflète fidèlement la réalité de la culture française et la diversité de nos langues. Certains se sont déjà lancé dans l’aventure, notamment la BnF, encore une fois, aux côtés de l’INA, au sein du consortium ARGIMI.
Mais ces efforts, il reste encore à les coordonner et à les appuyer à partir de trois prérequis fondamentaux.
Premièrement, une clarification des politiques d'ouverture des contenus libres de droit.
Deuxièmement, l'élaboration de lignes directrices sur la rémunération des contenus sous droits,
Et troisièmement, des investissements techniques ambitieux et une mutualisation des ressources pour en limiter le coût financier et l'impact écologique.
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Mesdames et Messieurs, je veux aussi être très claire sur un point.
L’IA est sans conteste une opportunité, mais c’est aussi un défi.
Elle bouleverse les modèles établis, elle questionne nos régulations et elle interpelle notre éthique. C’est un fait et je veux éviter aussi bien l’excès de pessimisme que l’enthousiasme naïf.
Les créateurs font face à une mutation profonde. Les IA génératives permettent aujourd’hui de produire des textes, des images et même des œuvres « à la manière de » qui soulèvent des enjeux fondamentaux de propriété intellectuelle, de transparence et de rémunération.
La rémunération des artistes et des auteurs est non seulement un principe fondamental, mais aussi un socle essentiel de l’innovation et de la diversité culturelle. Sans eux, rien ne peut exister. Sans eux, pas de création, pas de culture, pas de renouvellement artistique. Nous devons les protéger avec la plus grande détermination.
Le respect de la propriété intellectuelle et des droits d’auteurs, ce n’est pas une option, ce n’est pas un détail et ce n'est pas un débat franco- français. C'est une question transnationale, un enjeu majeur, comme l'ont souligné les syndicats professionnels et les créateurs partout dans le monde, jusqu’à Hollywood.
Le droit d’auteur a toujours su s’adapter aux révolutions technologiques passées. Il a résisté, il s’est renforcé, il a évolué. Il n’y a aucune raison qu’il n’en soit pas de même avec l’intelligence artificielle. Mais cela ne se fera pas tout seul. C’est un combat que nous devons mener sans relâche, à l’échelle nationale, européenne et internationale pour garantir non pas un compromis au rabais, mais un véritable un cercle vertueux entre innovation et respect des créateurs.
Lors de ce Sommet pour l’action sur l'IA, nous ne nous contenterons pas d’évoquer ces enjeux : nous porterons haut et fort, avec détermination. Il en va de l’avenir de notre culture, de nos industries créatives et du respect du travail des artistes. C’est dans cet esprit que nous avons souhaité organiser, lundi matin au Grand Palais, une table ronde dédiée, qui rassemblera au plus haut niveau chefs d’État, entreprises technologiques, chercheurs, artistes et représentants des médias. L’objectif est clair : dépasser les discours, agir concrètement et construire ensemble un cadre équilibré, solide et réellement respectueux des droits des créateurs.
L’autre enjeu qu’il faut impérativement avoir en tête, c’est la transformation profonde, rapide et inéluctable des métiers et des industries culturelles et créatives. Ces mutations sont déjà à l’œuvre, et nous ne pouvons pas nous permettre de les subir : nous devons les anticiper, les encadrer, les orienter. Nous devons agir dès maintenant en adaptant nos formations et en préparant activement les compétences de demain. Ne pas le faire, c’est prendre le risque d’un déclassement massif de nos talents et d’une perte de leadership dans le domaine culturel. C'est l'objectif de notre partenariat avec le LaborIA, qui travaille concrètement à observer les impacts de l'IA sur les emplois culturels et à proposer des réponses adaptées.
L'essor des contenus synthétiques bouscule nos repères et nous impose aussi de clarifier la distinction entre création humaine et production automatisée. Cette frontière ne doit pas devenir floue, elle doit être affirmée, protégée, rendue explicite. À l'image de Deezer, qui déploie un outil pour identifier la musique générée par IA, il est crucial d’aller plus loin, de multiplier ces initiatives et de les généraliser à l’ensemble des secteurs culturels. Nous devons imposer la transparence et renforcer la protection des créateurs.
Enfin, l’IA pose la question de la lutte contre la désinformation et la préservation de l’intégrité de l’information. L’IA ouvre la porte à des dérives inquiétantes, à travers la manipulation des images et des vidéos et le risque d’affaiblir la frontière entre mensonge et vérité. Mais elle soulève aussi un enjeu essentiel : celui de la rémunération des contenus d’information. Comment garantir que les médias et les journalistes, producteurs d’une information fiable et vérifiée, soient justement rétribués à l’heure où l’IA se nourrit de leurs travaux pour générer du contenu automatisé ?
Un certain nombre d’initiatives ont déjà été lancées sur ce sujet majeur : je pense notamment au projet StatCheck, développé en partenariat avec l’INRIA, Radio France et Radio Canada, ou encore au projet Spinoza, porté par Reporters sans frontières et l’Alliance de la presse d’information générale, qui fournit aux journalistes des outils d'IA pour analyser et vérifier les sources d'information.
Je pense qu’il faut aller encore plus loin, parce que ce sujet d’une information fiable et de qualité est un enjeu démocratique majeur pour nos sociétés. C’était tout le propos des états généraux de l’information.
Le sommet est l’occasion de mettre en avant les initiatives en la matière. L’éducation aux médias et à l’information sera au cœur d’un atelier organisé aujourd’hui par le CLEMI et France Télévisions. Mardi, un évènement organisé avec l’OCDE et Viginum, en partenariat avec le ministère de la Culture, sera également consacré à la protection de l’intégrité de l’information à l’ère de l’IA. Dans ce cadre, la question de la juste rémunération des producteurs d’information ne doit pas être éludée : garantir une presse indépendante et durable passe aussi par un modèle économique équitable face aux évolutions technologiques.
Devant le défi de l’IA, nous avons l’obligation d’être à la hauteur. C’est à nous, en tant que citoyens de sociétés démocratiques, de définir les usages de l’IA et de veiller à ce qu’elle serve notre création, notre patrimoine, nos valeurs.
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Mesdames et Messieurs, le Sommet qui nous réunit aujourd’hui est d’une importance capitale. Il est une nouvelle étape dans notre engagement collectif à façonner l’avenir de l’IA au service de la culture, de la création et de l’information.
Pour autant, ce Sommet n’est pas un aboutissement, mais le début d’une prise de conscience et d’un travail collectif. En tant que ministre de la Culture, j’ai la conviction que l’IA doit être un levier de souveraineté culturelle, en mettant la technologie au service des créateurs et non l’inverse. Il ne s’agit pas d’opposer innovation et protection du droit d’auteur, mais de créer un cadre où chaque acteur, grand ou petit, peut trouver sa place et prospérer.
C’est toute la philosophie de la stratégie du ministère de la Culture sur l’IA.
Cette stratégie, elle s’appuie sur cinq piliers essentiels :
Premier pilier : soutien de l’innovation et de toutes les initiatives audacieuses.
Deuxième pilier : promotion d’un modèle économique équitable,
protecteur de la création et du droit d’auteur
Troisième pilier : formation des professionnels actuels et futurs aux
enjeux de l’intelligence artificielle.
Quatrième pilier : lutte contre la désinformation et garantie de
l’intégrité de l’information.
Et enfin, cinquième pilier : développement d’une IA culturelle frugale,soucieuse de son empreinte écologique et éthique.
Pour accélérer sans attendre le déploiement de cette stratégie, nous avons lancé l’appel à projet « Transition numérique de la Culture et appropriation de l’intelligence artificielle » dans le cadre de France 2030. Il ne s’agit pas d’attendre passivement les évolutions technologiques, mais de les anticiper, de les encadrer et de les mettre au service de nos créateurs et de notre patrimoine. Cette initiative vise à financer des projets structurants, concrets, à fort impact, capables de transformer durablement nos industries culturelles et créatives.
Avec la Ministre déléguée Clara CHAPPAZ, nous lançons par ailleurs une concertation nationale sur l’émergence d’un marché éthique respectueux du droit d’auteur. Ce dialogue doit aboutir à un équilibre où les créateurs ne soient pas sacrifiés au profit d’intérêts technologiques. Il s’agit de bâtir un cadre qui permette à la fois le progrès technologique et la juste rémunération des créateurs.
Ces discussions nourriront les travaux menés au niveau européen sur la mise en œuvre du Règlement sur l’IA (le RIA). Par ailleurs, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, a déjà produit un premier rapport sur la transparence des modèles d’IA. Un second rapport est en préparation, portant cette fois sur les enjeux de rémunération des ayants droits. Les conclusions sont attendues pour la fin de l’été.
Notre ambition est claire : promouvoir la transparence, encourager l’innovation, et construire un cadre solide, inébranlable, qui protège, valorise et soutient réellement nos créateurs. Cela ne se fera pas tout seul, et il est essentiel que chacun prenne la mesure de cet impératif. Le Sommet et ses travaux préparatoires ont été un véritable accélérateur de prises de conscience. Mais cela ne suffit pas : nous devons maintenant passer à l’action, à l’étape suivante. Il nous appartient désormais de poursuivre ce dialogue, d’aller au-delà des intentions et de garantir que les intérêts des fournisseurs de données culturelles soient non seulement respectés, mais aussi activement valorisés.
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Mesdames et Messieurs, je l’ai dit et j’insiste : la révolution technologique de l’IA est un levier formidable d’innovation pour tous les secteurs culturels. Le Week-end culturel, que je suis heureuse d’inaugurer ce matin, en est une parfaite illustration.
A la Bibliothèque nationale de France, aujourd’hui, vous découvrirez comment l’IA révolutionne la recherche généalogique à travers le projet SOCFACE, mais aussi comment on peut optimiser la gestion des collections muséales et mieux protéger notre patrimoine.
A la Conciergerie, vous pourrez admirer aujourd’hui et demain un parcours artistique inédit, « Machina Sapiens », qui démontre l’extraordinaire synergie qui est possible entre art et IA.
Je veux aussi saluer la présence parmi nous de Fidji SIMO, mécène et entrepreneure franco-américaine qui a permis de monter un programme de résidences dédiées aux arts à l’âge de l’IA, porté par la Villa Albertine aux États-Unis, une initiative ambitieuse, porteuse d'avenir. Je salue également le directeur Mohamed BOUABDALLAH, dont l'engagement est essentiel pour que ce programme prenne vie. Ce programme accompagnera huit artistes dans leur exploration de l’intelligence artificielle, non seulement comme sujet de réflexion mais aussi comme véritable outil de création. C’est une avancée majeure, qui pose les bases de l’art de demain, à l’ère de l’IA.
Ce week-end largement ouvert sur le public est un signal fort. Il témoigne de notre engagement en faveur d’une technologie au service de l’humain, au service de la création.
Ensemble, nous avons la responsabilité de faire entendre la voix de la culture dans ce débat. Ensemble, nous devons construire un modèle d’intelligence artificielle respectueux de nos valeurs, de notre diversité, de notre exception culturelle.
C’est un défi immense, mais c’est aussi une formidable opportunité.
A nous de la saisir !
Je vous remercie.