Mesdames et monsieur les ministres,
Monsieur le Vice-Président du Conseil d’Etat, cher Bruno Lasserre,
Monsieur le Défenseur des droits, cher Jacques Toubon,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Madame la Présidente de la CNIL, chère Marie-Laure Denis,
Monsieur le Président, cher Denis Rapone,
Chers amis,
Quelle joie pour moi d’être avec vous ce soir.
Ce dixième anniversaire de la Haute Autorité pour la Diffusion des œuvres et la Protection des Droits sur Internet suscite en moi, je dois le dire, une certaine émotion.
Et rappelle beaucoup de souvenirs, forcément…
Il y a 10 ans, j’étais sur les bancs de l’Assemblée nationale pour porter la création de l’HADOPI.
Je me souviens des innombrables heures d’auditions...
Je me souviens des débats interminables – et parfois houleux ! – dans l’hémicycle...
Je me souviens aussi de notre fierté, au moment de l’adoption du texte. Elle est intacte, aujourd’hui encore.
Assurément, il y a eu un « avant » et un « après » HADOPI.
A l’époque, certains nous accusaient de chercher à imposer un Internet officiel, aseptisé, contrôlé. D’aller à l’encontre de la liberté des internautes ; à l’encontre d’un Internet libre.
Dix ans plus tard, il serait illusoire de dire que ce débat est totalement clos.
Mais je crois profondément que nous avons mis fin à une illusion, et déclenché une prise de conscience : l’illusion de considérer Internet comme un espace qui serait parfaitement harmonieux sans qu’aucune règle ne soit fixée, et la prise de conscience qu’il était nécessaire de le réguler.
Créer l’HADOPI, c’était protéger.
Protéger le modèle culturel français, la diversité de la création.
Protéger le droit des créateurs et des artistes sur leurs œuvres et leurs représentations.
Protéger notre patrimoine artistique, et les auteurs et entreprises auxquels nous le devons.
C’était protéger tous les créateurs, tous les auteurs, tous les artistes.
Créer l’HADOPI, c’était faire le choix de la régulation.
Une régulation à laquelle les équipes de l’HADOPI œuvrent chaque jour, depuis 10 ans.
Je veux rendre hommage à leur travail, et à leur engagement de chaque instant.
Rendre hommage, évidemment, à celui qui la préside aujourd’hui – cher Denis Rapone – et à ceux qui l’ont précédé à cette fonction – chère Marie-Françoise Marais, cher Christian Phéline.
Rendre hommage, aussi :
- À l’action de la Secrétaire générale, chère Pauline Blassel ;
- À l’action de tous les membres de la commission de protection des droits, présidée par Dominique Guirimand ;
- Et à l’action de tous les membres du collège – dont vous avez fait partie, monsieur le Défenseur des droits, cher Jacques Toubon.
Nous vous en remercions, comme nous remercions tous ceux qui y ont siégé, depuis 10 ans.
Tous, vous avez été les pionniers de la régulation numérique.
On peut le dire : en la matière, vous avez été les premiers !
Et, comme souvent quand on est pionnier ou qu’on est le premier, vous avez dû faire face à de nombreuses difficultés…
Vous avez dû faire face à des attaques répétées.
Les relations n’ont pas été évidentes, avec une partie de la société comme avec certains Gouvernements.
Vous n’avez pas toujours été soutenus comme vous auriez dû l’être.
Malgré tout, vous n’avez jamais failli.
Vous avez tenu bon.
Vous avez, inlassablement, exercé votre mission.
Ce soir, si je suis parmi vous, c’est pour vous exprimer ma reconnaissance et ma fierté.
Depuis 10 ans, avec l’HADOPI, vous portez un combat.
Vous incarnez une lutte : contre le piratage, et pour la régulation.
Cette lutte, c’est toujours la mienne.
Elle est plus que jamais d’actualité.
Depuis quelques années, nous observons les dérives permises par les grandes plateformes :
- Les campagnes de désinformation en ligne, qui manipulent les citoyens, altèrent les processus électoraux, et mettent en danger la démocratie partout dans le monde.
- Les discours de haine sur les réseaux sociaux et le cyber-harcèlement, qui empoisonnent des vies.
- Les algorithmes de recommandation, qui peuvent nuire à la diversité culturelle en enfermant nos concitoyens dans des choix prédéterminés.
Ces constats n’ont fait que confirmer l’idée qui présidait à la création de l’HADOPI : Internet ne peut être un espace de non-droit.
Il ne sera un espace de liberté que si certaines règles sont respectées.
C’était encore difficile à entendre, il y a dix ans.
Mais aujourd’hui, après des années de déferlement de haine sur internet, après trop de scrutins influencés par les fausses informations, après l’attentat de Christchurch, un consensus est en train d’émerger.
Ce n’est pas parce que les géants du numérique sont des « géants » qu’ils peuvent échapper à toute régulation.
Ils en sont désormais conscients.
Ils ne peuvent plus se réfugier derrière le statut d’irresponsabilité qu’ils revendiquaient jusqu’à présent.
Et nous ne pouvons pas nous en remettre naïvement à l’autorégulation.
Cela ne suffit pas.
La responsabilisation des plateformes est devenue indispensable.
C’est un défi mondial, à la fois technologique, juridique et sociétal.
Nous nous attelons à créer un arsenal juridique pour le relever.
C’est la volonté du Président de la République, et celle du gouvernement tout entier.
Cette volonté, nous l’avons portée au niveau européen.
Nous nous sommes pleinement mobilisés pour l’adoption de la directive sur le droit d’auteur, en mars dernier.
C’est une immense victoire – nous ne le répéterons jamais assez.
C’est un texte ambitieux, qui préserve le modèle d’un Internet libre et ouvert tout en responsabilisant les grandes plateformes.
C’est la preuve que l’Europe est le bon échelon pour tenir tête aux géants numériques.
En dépit d’une pression intense et sans précédent de certains d’entre eux, en dépit de leurs campagnes massives de désinformation sur les réseaux sociaux, l’Europe a tenu bon.
L’Europe n’a pas cédé.
L’Europe a résisté.
Cette ambition de mieux responsabiliser les plateformes, nous la portons également au niveau national.
Depuis plusieurs mois, à la demande du Président de la République, nous travaillons pour faire évoluer la régulation de l’audiovisuel et des médias :
- Avec les lois visant à lutter contre la manipulation de l’information, adoptées en décembre dernier.
- Avec la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet, déposée par la députée Laetitia Avia et qui sera examinée en séance publique au début du mois de juillet.
- Avec la révision de la loi de 1986 sur la régulation audiovisuelle.
Elle sera examinée au Parlement début 2020.
Cette loi, c’est l’occasion pour nous d’actualiser notre modèle de régulation audiovisuelle ; de franchir le cap du numérique tout en défendant la diversité culturelle ; de moderniser nos moyens d’action.
Cette modernisation de nos moyens d’action concernera, en premier lieu, la lutte contre le piratage.
Car, aujourd’hui, la réponse que nous apportons à ce fléau est trop partielle.
Elle n’est plus adaptée.
En dix ans, tout a changé.
Les technologies ont évolué, la destruction de valeur s’est accélérée.
En créant l’HADOPI, nous visions le téléchargement pair à pair, alors que le piratage se fait désormais à 80% par diffusion en flux ou en téléchargement direct.
Nous devons nous mettre à jour.
Pendant trop longtemps, nous nous sommes trop intéressés à ceux qui téléchargent illégalement, et pas assez à ceux qui diffusent illégalement.
Or ce sont eux qui organisent le piratage ; eux par qui prospère le pillage.
C’est à eux que nous devons nous attaquer, avec fermeté.
C’est ce que nous ferons.
Nous viserons directement les sites-pirates.
Nous confierons notamment à l’HADOPI une mission de caractérisation des sites pirates, par la publication de « listes noires ».
Celles-ci permettront aux annonceurs, aux services de paiement ou encore aux moteurs de recherche de connaître les sites illicites et de cesser toute relation avec eux.
Nous empêcherons en outre, par des décisions de justice plus efficaces, la réapparition des sites-miroirs.
Pour cela, nous nous inspirerons des travaux menés dans le cadre de la proposition de loi de Laetitia Avia sur la lutte contre la haine sur internet.
Ces dispositions seront inscrites dans la prochaine loi audiovisuelle.
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Dix ans !
Dix ans, c’est le bon moment pour regarder tout le chemin accompli.
Et pour tracer, ensemble, celui qu’il nous reste à accomplir.
Notre nouveau modèle de régulation numérique se dessine.
Et avec lui, les nouveaux pouvoirs de l’HADOPI.
Ce nouveau modèle, c’est un modèle qui ne sera plus seulement tourné sur les utilisateurs, mais directement sur les sites.
C’est un véritable changement de paradigme.
Ce nouveau paradigme concerne tous les aspects, tous les niveaux, toutes les ramifications de la régulation du numérique : la lutte contre le piratage, autant que celle contre les infox ou les contenus haineux.
Les différents régulateurs en charge du numérique sont confrontés à des enjeux de plus en plus similaires quant à l’évolution de leurs méthodes de travail et des compétences qu’elles nécessitent. Pour réguler les plateformes numériques, il n’est pas possible d’appliquer à l’identique les schémas utilisés pour les acteurs plus traditionnels : il faut inventer un nouveau cadre, de nouveaux outils, innover.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous avons confié, avec le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire et le secrétaire d’Etat chargé du numérique Cédric O, une mission à Jean-Yves Ollier et à Godefroy Beauvallet sur les rapprochements éventuels entre les régulateurs du numérique.
Ils me rendront très prochainement leurs conclusions.
En ce qui concerne l’HADOPI, le seul cap qui devra guider notre action est celui du renforcement de la lutte contre le piratage, pour lui donner des moyens à la hauteur de nos ambitions et la faire gagner en efficacité.
Il y a 10 ans, nous avions amorcé, ensemble ce combat précurseur.
Celui de la régulation.
Nous continuerons, ensemble, à le mener.
Pour faire d’Internet un espace de liberté ; un espace de respect : respect de nos lois, respect de nos œuvres, respect de la création.
Je vous remercie.