Monsieur le président du CNC, cher Dominique BOUTONNAT,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Les voix qui s’élèvent depuis plusieurs jours, les débats et la prise de conscience qu’elles déclenchent nous obligent. Ces voix nous rappellent à toutes et à tous que, dans notre société, une violence continuelle s’exerce à l’encontre des femmes.
Au travail comme chez elles. Dans la rue, dans les transports, comme dans l’intimité de leur foyer. Mais nous devons refuser d’en faire une fatalité. C’est pour lutter contre cette violence que le Président de la République a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat.
L’ensemble du Gouvernement – et tout particulièrement le Premier ministre Edouard PHILIPPE, la Garde des Sceaux Nicole BELLOUBET, le ministre de l’Intérieur Christophe CASTANER, et la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène SCHIAPPA – est mobilisé pour mettre fin au sentiment d’impunité des agresseurs.
Trop peu de victimes de violences sexuelles osent déposer plainte. Et quand c’est le cas, les plaintes aboutissent encore trop peu. Un peu plus des deux-tiers d’entre elles sont classées sans suite. Soit parce que l’auteur n’a pas pu être identifié, soit parce qu’il n’a pas été possible de recueillir de preuves à son encontre.
C’est une réalité, et je comprends qu’elle puisse décourager. Mais nous mènerons le combat, inlassablement. Par la loi renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, nous avons allongé le délai de prescription de 20 à 30 ans pour les crimes sexuels sur mineurs. Pour faciliter le dépôt de plainte, nous avons lancé, en début d’année, une plateforme de signalement en ligne des violences sexuelles. Et un numéro d’écoute national, le 3919, oriente et accompagne les victimes et les témoins.
La prise de conscience collective doit se traduire par une prise de conscience de chacun d’entre nous. Car aucun milieu, aucun secteur, aucun pan de notre société n’est épargné par les violences et le harcèlement sexistes et sexuels. Aucun. Pas même l’Etat. Pas même le Ministère de la Culture, qui, comme vous le savez, a été secoué par les agissements innommables de l’un de ses anciens hauts fonctionnaires.
Mes pensées vont d’abord à toutes les femmes qui ont eu à les subir, qu’elles soient employées ou non par le ministère. Toutes ces femmes qui n’ont pas toujours eu le sentiment d'avoir l'espace pour parler, de pouvoir être écoutées et protégées par leur administration. Qui ont eu, parfois, le sentiment qu’elle a tardé à réagir.
Le scandale, au-delà des faits, c’est que cet individu ait sévi pendant tant d’années. Grâce au courage de certaines femmes que je veux saluer, les faits ont fini par être révélés.
Nous avons immédiatement pris les mesures qui s’imposaient. L’individu en question a été suspendu de ses fonctions dès que le Ministère a eu connaissance de ses actes, en juin 2018. A la suite d’une procédure disciplinaire, le président de la République a prononcé sa révocation de la fonction publique, sur ma proposition, par décret du 11 janvier 2019. A l’heure où je vous parle, une procédure judiciaire est toujours en cours. Un accompagnement psychologique et juridique est mis en place pour toutes les victimes qui en font la demande, qu’elles travaillent encore au ministère ou pas. Nous avons décidé de réactiver cette cellule d’écoute. Elle est joignable par téléphone, au 07 87 75 53 70, et par mail, à soutienpsy@audiens.org.
Cette affaire est révélatrice de l’omerta qui a longtemps prévalu en matière de violences sexistes et sexuelles. Une omerta qui nourrit le sentiment d’impunité des agresseurs. Une omerta qui n’a pas encore été levée.
Ces violences sont les seules dont les victimes se sentent coupables et dont les auteurs se croient innocents. Il faut mettre fin à cette aberration. Nous devons faire en sorte que la honte, la peur et la culpabilité changent de camp. C’est avant tout la responsabilité de l’Etat, mais aussi, plus largement, celle de chacun d’entre nous.
Celle de chacun d’entre vous, professionnels du cinéma et de l’audiovisuel français. L’actualité est venue nous rappeler que, comme dans toute notre société, le patriarcat y règne sans vergogne. Elle est venue nous rappeler que la loi qui trop souvent prévaut, dans ce monde-là, c’est la loi du silence.
Lorsque des voix s’élèvent pour briser ce silence, il faut les écouter. D’où qu’elles viennent. La présomption d’innocence est un principe fondamental de notre République. Mais je refuse qu’elle s’accompagne d’une présomption de mensonge pour les victimes. Lorsqu’elles parlent, leur parole est trop souvent entachée de soupçon, surtout lorsqu’elles révèlent des agressions commises des années, voire des dizaines d’années avant.
Nous devons admettre qu’il faut du temps, avant de pouvoir parler. Parfois longtemps. Notre société n’a pas à décider du moment choisi par les victimes pour sortir du silence. Elle doit créer les conditions de la confiance, pour que chaque victime soit en situation de parler et d’être accompagnée. Oui, il faut du temps et du courage, pour parler. Pour oser défier l’omerta. Pour mettre des mots sur des traumatismes enfouis. Pour aller à l’encontre des menaces. Des intimidations. Du sentiment que « de toute manière, ça ne sert à rien ». Du sentiment que certains sont intouchables parce que leurs œuvres les protègent.
Le talent n’est pas une circonstance atténuante ; le génie, pas une garantie d’impunité. En particulier dans vos métiers, où le corps et l’intime sont très souvent en jeu. Où de jeunes talents ont des envies de réussite, et des personnes en profitent. Où il ne faut pas confondre aura et emprise. Comprenez-moi bien : vous me trouverez toujours aux côtés des créateurs lorsqu’il s’agit de protéger la liberté de créer.
Et ce n’est pas à l’Etat de s’ériger en censeur, ou en juge des choix de financement des œuvres, et des choix de de programmation des chaînes de télévision ou des salles de cinéma. C’est une lourde responsabilité, qui revient à celles et ceux qui font ces choix de programmation ou éditoriaux.
Delphine ERNOTTE aura sûrement l’occasion de s’exprimer sur ce sujet. Mais l’œuvre, si grande soit-elle, n’excuse pas les éventuelles fautes de son auteur. La sanction, c’est à la justice de la porter. Et pas au tribunal de l’opinion. L’artiste, le cinéaste, mesdames et messieurs, est, sur le plan de la loi, un homme ou une femme comme les autres. Un justiciable comme les autres. Ni plus, ni moins. Ni au-dessus, ni en-dessous des autres.
A toutes celles qui, comme Adèle HAENEL, comme toutes les femmes qui ont été confrontées à des violences inqualifiables au ministère de la Culture… A toutes celles qui osent briser le silence, je veux dire deux choses :
- La première, c’est que votre parole est nécessaire. Votre parole est une arme.
Elle peut éviter à d’autres d’endurer ce que vous avez eu à subir. Elle peut empêcher le pire de se reproduire. Surtout, elle peut faire naître un mouvement plus ample. Car une voix peut en appeler une autre. Puis une dizaine d’autres. Puis une centaine d’autres. Une seule voix, parfois, peut faire toute la différence. Cette voix, c’est celle des victimes. Ce doit être, aussi, celle de ceux qui savent ; qui voient ; qui entendent ; ou même seulement qui s’interrogent face à des comportements déplacés. Notre responsabilité collective, c’est d’appeler les choses par leur nom. De les dénoncer. De ne plus détourner le regard. Les violences sexuelles ne concernent pas que les victimes. Elles nous concernent tous.
- La deuxième chose que je veux dire à celles qui osent briser le silence, c’est que leur parole ne sera pas vaine. Tout commence par la prévention. C’est pourquoi j’ai décidé que le versement de toutes les aides du CNC sera dorénavant conditionné au respect, par les entreprises qui les demandent, d’obligations précises en matière de prévention et de détection des risques liés au harcèlement sexuel. Cette mesure sera soumise au conseil d’administration du CNC prochainement. Il appartiendra ensuite au CNC d’initier une concertation avec les professionnels pour définir les moyens précis et concrets de s’acquitter de cette obligation. Je suis pour ma part favorable à la nomination de référents en matière de prévention et de détection des risques liés au harcèlement sexuel, présents au sein de l’équipe, sur les tournages et pendant les promotions des films.
Dominique BOUTONNAT a annoncé, ce matin, l’organisation de sessions de formation spécifique sur la prévention du harcèlement destinées aux professionnels du cinéma et de l’audiovisuel. Le CNC contribuera à les mettre en place dès début 2020. Quand les faits, malheureusement, se produisent, il faut que la parole puisse s’exprimer.
La FESAC, qui regroupe les organisations d’employeurs du secteur du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma, discute actuellement avec les organisations syndicales de salariés – au premier rang desquelles celles qui représentent les artistes – d’un plan d’action pour l’égalité et contre les violences dans ces secteurs. Les services de mon ministère accompagnent et encouragent ce travail depuis l’origine.
Une des mesures-phares de ce plan est la création d’une cellule d’alerte et d’écoute à destination des victimes de violence et de harcèlement sexuel et sexiste. Et j’ai décidé d’accompagner sa mise en place, y compris financièrement, afin qu’elle soit opérationnelle dès le 1er janvier 2020, pour les salariés permanents comme intermittents de ces entreprises. Cela représente 178 000 femmes. C’est un pas très important.
Toutes celles et ceux qui se retrouveraient dans une situation de harcèlement ou de violence trouveront ainsi l’écoute et l’accompagnement dont elles ou ils ont besoin. Nous serons intraitables dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est aussi pour parler, plus spécifiquement, d’égalité entre les femmes et les hommes. Parce que la parité est une partie de la solution.
Parce que, si, dans un milieu donné, plus de femmes occupent des postes à responsabilité, alors les hommes s’y sentiront moins « tout permis ». Je recevrai prochainement, au ministère de la Culture, les associations qui se battent pour l’égalité entre les femmes et les hommes, pour échanger ensemble sur ces sujets.
La parité et l’égalité doivent devenir la norme, dans la société tout entière. Mais le cinéma a une responsabilité particulière. Parce que le 7e art a toujours été à l’avant-garde des combats de société. Parce que ses images résonnent en nous. Elles façonnent le monde, et la perception que nous en avons. Elles peuvent aussi, si l’on n’y prend garde, véhiculer, installer des stéréotypes pernicieux. Elles influencent notre inconscient, notre imaginaire collectif, parfois même notre estime de nous-mêmes.
En ne représentant qu’une moitié de notre société à l’écran, on donne le sentiment à l’autre moitié de ne pas exister. C’est inacceptable. Et surtout, c’est du gâchis. Fermer la porte du cinéma à la moitié de l’humanité, c’est du gâchis, parce que c’est se priver de la moitié des talents.
Plus de femmes réalisatrices, actrices, auteures, techniciennes, c’est plus de diversité pour la création. C’est plus de diversité dans les regards partagés sur grand écran, et jetés sur le monde. Le cinéma a tout à gagner, avec plus de femmes.
Avec des femmes mieux considérées. Mieux payées. Mieux représentées. On le voit en ce moment-même, dans nos salles. On le voit :
- Avec Portrait de la jeune fille en feu, de Céline SCIAMMA
- Avec Papicha, de Mounia MEDDOUR
- Avec Atlantique, de Mati DIOP
- Avec Tu mérites un amour, de Hafsia HERZI
- Et on le verra, dans quelques jours, avec Proxima d’Alice WINOCOUR
Nous avons tout à gagner à atteindre l’égalité dans le cinéma. Aujourd’hui, nous en sommes encore loin. Pour y parvenir, il nous faut agir. Sans naïveté ni cynisme.
Avec méthode et pragmatisme. Agir, c’est tout l’objet des Assises qui nous réunissent. Je veux saluer l’engagement de ma prédécesseure, Françoise NYSSEN, qui en avait pris l’initiative, et de Frédérique BREDIN. Saluer, aussi, la mobilisation du collectif 50-50, avec lequel mon ministère a étroitement travaillé, cette année encore.
Avec vous, je veux tirer le bilan des engagements pris il y a un an, et tracer le chemin qui nous reste à parcourir. Des mesures avaient été prises à l’issue des premières Assises. J’aimerais y revenir, car agir, c’est aussi vérifier que nos engagements sont tenus. Qu’ils sont suivis de résultats. Ils l’ont été, depuis un an.
Nous nous étions engagés à objectiver les inégalités. A les chiffrer, pour pouvoir mieux les dénoncer. Depuis cette année, toutes les études publiées par le CNC comportent un volet relatif à l’égalité femmes-hommes. Et il est désormais obligatoire de renseigner, dans les dossiers d’agrément déposés au CNC, des statistiques de genre sur les équipes techniques et la masse salariale. Objectiver les inégalités, c’est la première étape pour y remédier.
C’est essentiel parce que ces statistiques nous permettent d’inciter à la parité. A partir de ces chiffres, nous attribuons maintenant un bonus financier aux films dont les équipes de production sont paritaires. Depuis janvier, 22% des films agréés ont pu en bénéficier. C’est encore trop peu, bien sûr. Mais nous sommes sur la bonne voie : l’an dernier, moins d’un film sur six était éligible.
Il y a un an, nous nous étions engagés à rendre les commissions d’attribution des aides du CNC paritaires. Aujourd’hui, elles le sont toutes. Elles le sont non seulement au niveau de leurs membres, mais également de leurs présidences. Nous nous étions aussi engagés à mieux mettre en valeur les films de femmes.
Dans le soutien au patrimoine, et dans les actions d’éducation à l’image. Et les progrès sont là. En 2019, 37% des films sélectionnés dans les dispositifs d’éducation artistique et culturelle ont été réalisés par des femmes, contre 15% l’année précédente. En un an, nous avons connu d’indéniables avancées. C’est un bon début, mais ça n’est pas suffisant.
Nous devons aller plus loin encore. Je veux que l’obligation de collecter des statistiques relatives à l’égalité soit étendue à l’audiovisuel, à la distribution et à l’exploitation.
Aux Assises de l’an dernier, les pouvoirs publics s’étaient fortement engagés. Je suis très heureux de voir que, cette année, ce dont nous avons à parler, ce sont des engagements que vous avez pris. Vous, femmes et hommes ; professionnels, entrepreneurs, créateurs. Vous vous êtes pleinement emparés du sujet, à l’initiative du collectif 50-50. Je veux vous remercier pour votre mobilisation.
Dans quelques instants, vous signerez la charte 50-50 pour l'inclusion. C’est l’aboutissement d'un processus long, collaboratif, fédérateur. Des représentants de toute la profession vont s’engager à lutter contre la discrimination et les stéréotypes. Pour que le cinéma français parle à tous, il faut qu’il parle de tous. Je veux remercier, aussi, les entreprises de distribution et d’exploitation.
A l'occasion du Congrès de la FNCF de Deauville, elles ont signé une charte sur la distribution et l’exploitation en salle des films réalisés par des femmes. Elle va nous permettre d’y voir clair sur les modalités d’exposition des films réalisés par des femmes, de favoriser la diffusion et la promotion de ces films et de lutter contre les discriminations et les violences dans les entreprises d’exploitation et de distribution.
Au-delà de la signature de ces chartes, je sais qu’il y a une attente d’engagements de la part des diffuseurs sur la place des femmes à la télévision. Dans la fiction audiovisuelle, nous sommes bien loin de la parité : 82% des œuvres diffusées à la télévision sont réalisées par des hommes. Et si on regarde les inédits, la part des femmes réalisatrices est encore plus faible : seulement 5%. Ces chiffres appellent des décisions immédiates. Aujourd’hui, les grandes chaînes prennent leurs responsabilités.
Elles ont décidé d'annoncer des engagements forts, au cours de la table-ronde audiovisuel qui va suivre. Je veux saluer votre mobilisation, et remercier le CSA qui accompagnera ces mesures. Je salue également l’engagement de « Pour les Femmes dans les Médias », fortement mobilisé sur cette question, et qui a œuvré avec 50/50 pour que ces engagements soient pris.
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Ces engagements volontaires de la profession sont la preuve d’une prise de conscience partagée. Oui : il y a urgence à agir. Urgence à tendre vers l’égalité.
Urgence à prévenir, à combattre, sans relâche, les violences sexuelles et sexistes. Cela suppose la prise de parole libre et confiante des victimes. Et nous devons sans cesse le garder à l’esprit, et nous en assurer. Cela suppose aussi un dispositif solide de sensibilisation, de formation, d’accompagnement, de sanction. C’est ce que nous nous attachons à mettre en place, avec ces Assises. Avec les engagements que nous prenons, aujourd’hui. A l’automne prochain, nous nous retrouverons pour vérifier leurs résultats. Et pour aller, ensemble, encore plus loin pour promouvoir égalité et diversité. Les ciments de notre République.