Monsieur le Président, cher Eric de Rothschild,
Monsieur le Directeur, cher Jacques Fredj,
Mesdames et messieurs,
C’est toujours un moment empreint d’émotion, de solennité, et de gravité, que de fouler le sol du Mémorial de la Shoah.
Ça l’est particulièrement, je crois, dans la période que nous vivons.
L’antisémitisme – que certains avaient, à tort, cru disparu – se rappelle brutalement à nous : décomplexé, ou sous la forme déguisée de l’antisionisme.
Ne nous y trompons pas : quand un homme assène « sale sioniste », telle une insulte, à Alain Finkielkraut, ce n’est pas l’attachement de ce dernier à l’Etat d’Israël qui est visé.
Je prends cet exemple, mais je pourrais en prendre tant d’autres, malheureusement.
Car il y en a tant d’autres qui subissent chaque jour cette haine.
Une haine antisémite dont la résurgence et la recrudescence appelle des actes forts. Tranchants. Concrets.
Le Président de la République les a évoqués, dans son discours au CRIF.
Il a rappelé le rôle de la culture et de l’éducation, dans ce combat que nous avons à mener.
Il a rappelé l’engagement admirable, et l’action essentielle du Mémorial de la Shoah.
L’Etat le soutiendra davantage encore.
Le Premier ministre est venu ici-même, pas plus tard qu’hier, pour l’annoncer, à l’occasion de la semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme.
Je veux vous dire combien je suis fier que le ministère de la Culture soutienne le Mémorial de la Shoah.
Fier que ce lieu de mémoire qui nous accueille soit lié, depuis maintenant plusieurs années, à mon ministère.
Fier qu’il s’apprête à l’être plus encore, grâce à la nouvelle convention signée hier par le Premier ministre, au nom de tout le gouvernement.
Fier que ce soutien contribue à la préservation et la transmission des traces et témoignages de la Shoah ; à la valorisation du lien indéfectible et inextinguible qui unit les Juifs et la France.
Vous le montrez à travers votre centre d’archives…
Mais aussi à travers vos expositions : c’est la raison de ma présence ce soir.
Avec l’exposition que nous venons de visiter, c’est un pan méconnu de l’histoire de la Shoah que vous nous faites découvrir : celui du marché de l’art pendant l’Occupation.
Un marché en pleine effervescence, alimenté notamment par la spoliation.
Plus que les œuvres d’art, c’est l’ensemble des biens des Juifs qui ont été confisqués, volés, accaparés par les nazis et leurs complices français.
L’extermination de tout un peuple et de son Histoire, la destruction de son passé et de son avenir, passait alors par l’appropriation de ses biens.
Certes, et heureusement, toute l’activité du marché de l’art pendant l’Occupation n’est pas entièrement liée aux spoliations et à la politique antisémite.
Les vendeurs étaient nombreux, les acheteurs aussi et toutes les transactions ne sont pas viciées.
Mais la vitalité du moment se nourrit évidemment de la persécution, de l’indifférence, de l’opportunisme le plus cynique.
Il était important de rappeler, dans ces lieux, ce que fut ce moment spécifique.
Je tiens à saluer le travail d’Emmanuelle Polack, commissaire de l’exposition, qui a su nous faire comprendre cette vivacité trouble.
L’exposition a bénéficié de nombreux prêts privés mais aussi de nombreux prêts d’institutions culturelles nationales – et je tiens à les en remercier.
Surtout, pour la première fois, deux musées nationaux, le musée du Louvre et le musée d’Orsay, ont prêté des œuvres au Mémorial.
C’est le signe du rapprochement que j’évoquais, et qui se poursuit, entre le ministère de la Culture et le Mémorial.
C’est surtout, avec le prêt de ces dessins achetés pendant la guerre, une façon de montrer que les musées n’ont pas de problème à évoquer le fait que des acquisitions ont été réalisées à cette période.
Ces prêts marquent la volonté de tous nos musées à poursuivre les recherches sur les circonstances de telles acquisitions.
A faire la lumière sur la provenance des œuvres qu’ils conservent.
L’exposition nous montre toute la nécessité, toute la difficulté aussi, de la recherche de provenance.
Tout le travail, tous les efforts requis pour comprendre le parcours de l’œuvre, le passage de propriétaire en propriétaire ; pour identifier celui d’entre eux qui a éventuellement été spolié.
Quelles sont les œuvres douteuses ?
Quelles sont les transactions spoliatrices ?
Quels sont les propriétaires encore inconnus des œuvres récupérées après-guerre en Allemagne ?
Face à l’étendue de ces questions, l’atelier du chercheur de provenance ne désemplit pas.
Et il n’est pas prêt de désemplir.
Car nous devons amplifier notre travail en matière de restitutions.
La France a, depuis une vingtaine d’années, accentué ses efforts :
En reconnaissant, d’abord, sa responsabilité.
En rassemblant des moyens importants pour accompagner cette reconnaissance, pour indemniser les familles.
C’est le rôle de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations, qui dépend du Premier ministre, et dont je salue le travail et le président, Michel Jeannoutot.
En s’engageant, aussi, pour améliorer notre connaissance des œuvres dites « Musées nationaux récupération », les « MNR », remises à la garde des musées nationaux lors de la Libération, et encore en attente d’être restituées.
Une centaine de restitutions ont eu lieu grâce à l'implication de chercheurs, de professionnels des musées et des archives, qui ont su retracer l'histoire de ces œuvres.
En 2013, le ministère a élargi ses recherches, en tentant d’identifier les propriétaires de ces œuvres, et en recherchant leurs ayants droit, sans attendre une éventuelle saisine des familles.
Mais le travail reste encore important.
Et le temps passe.
C’est pourquoi le Premier ministre nous a appelés, collectivement, il y a un an, à « faire mieux ».
A donner un nouvel élan à une politique publique de réparation de la spoliation « artistique » – si tant est que la réparation soit jamais possible.
Le ministère de la Culture va donc créer dans les toutes prochaines semaines une « Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 ».
Il s’agira d’une structure ad hoc qui prendra le relais, en l’amplifiant, de l’action menée, depuis plusieurs années, par le Service des musées de France.
C’est une question de mémoire.
C’est une question de justice.
Et c’est l’une de mes priorités.
La nouvelle Mission, dont la mise en place a été confiée à David Zivie, travaillera en collaboration étroite avec la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations.
Celle-ci examinera désormais la quasi-totalité des dossiers de restitution, préalablement instruits par le nouveau service du ministère de la Culture.
La Mission sera dotée d’un budget, permettant le financement de recherches complémentaires conduites par des chercheurs extérieurs.
L’objectif de cette Mission est clair : c’est de rechercher, et de restituer.
De faire la lumière sur l’origine d’un certain nombre d’œuvres conservées par nos musées, et de les remettre aux descendants de familles spoliées.
Vous pouvez compter sur ma détermination.
Je veux plus d’ayants droit retrouvés, et plus d’œuvres restituées.
Plus d’œuvres, comme le « Portrait de femme » de Thomas Couture, que je suis ému d’avoir pu admirer ; un tableau qui, en 1940, était accroché chez Georges Mandel.
Dès l’été 1940, l’appartement de celui qui avait refusé l’armistice et avait voulu, avec quelques-uns, continuer le combat contre l’ennemi, avait été pillé.
Et ce Portrait avait été volé.
Il y a seulement quelques semaines, le gouvernement allemand l’a restitué à la petite-fille et au gendre de Georges Mandel.
Ils sont présents parmi nous ce soir, et ont bien voulu le prêter immédiatement au Mémorial.
Je veux vous dire combien ce geste nous honore et nous touche.
Ce tableau faisait partie des 1500 œuvres découvertes en 2012 à Munich et Salzbourg, chez Cornelius Gurlitt, qui vivait depuis des décennies au milieu des œuvres acquises par son père, Hildebrand Gurlitt, marchand d’art travaillant pour le compte des nazis.
Certaines de ces œuvres provenaient de spoliations ; d’autres étaient d’origine douteuse.
Après une longue enquête, l’identification du propriétaire a été possible, et la restitution a enfin pu avoir lieu.
Et aujourd’hui, vous êtes là, parmi nous.
Avec ce tableau, qui a appartenu à votre famille avant vous, et qui désormais, à nouveau, vous appartient.
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Bien d’autres œuvres de Georges Mandel attendent d’être retrouvées.
Bien d’autres œuvres que nous conservons attendent de voir leur provenance éclaircie ; et de pouvoir être restituées.
Cette exposition est une étape importante.
Elle doit nous engager, plus encore, à progresser dans cette voie, à obtenir plus de résultats, à retrouver les ayants droit.
Elle doit nous engager, tous, collectivement : musées, bibliothèques, détenteurs d’archives privées, historiens, généalogistes et chercheurs de provenance.
Le temps passe mais il n’est pas trop tard.
Les archives sont encore là ; il existe encore des indices à déchiffrer.
C’est à nous qu’il revient de faire parler ces traces.
Nous le devons aux victimes de spoliations.
C’est une question de justice.