« Quand l'éclat mauve délétère
N'éclaire plus ma vie
[…]
J'aurais passé ma vie entière
Au Mont Sans-Souci »
Poète d’un réel qui coupe et caresse, Jean-Louis Murat nous a quittés.
Pour lui, tout commence à Murat-le-Quaire, terre auvergnate dont il prendra le nom et gardera l’empreinte. Poète d’à peine plus de sept ans, les mots se mêlent chez lui naturellement à la musique. Il joue du cornet à pistons dans l’harmonie de son village puis découvre le jazz à l’adolescence et se passionne pour tout ce qui fait sens et son. Et, quand il ne compose pas, il explore la région avec son vélo bleu. De l’Auvergne, il connaît tout : des repères incontournables aux recoins inconnus, comme un écho géographique au léger décalage qu’il entretiendra toujours avec le show business et tous les bruits de la ville.
Étudiant d’un jour à Clermont-Ferrand, il troque vite son cartable pour un sac à dos : direction l’Île de Wight, où il assiste tout feu tout flamme à la grande messe rock de 1970, puis les petits boulots pour gagner sa vie entre mer et montagne. Mais, jeune père à 19 ans, Jean-Louis Bergheaud qui n’est pas encore Murat a toujours la musique dans le sang.
Quand il rentre à 25 ans dans son village qu’il ne quittera plus – allant, pendant ses séjours parisiens jusqu’à loger rue de la Tour d’Auvergne – il se consacre à nouveau à la musique en créant le groupe de rock Clara. Malgré des tournées en première partie de William Sheller et un premier EP qui le fait reconnaitre dès 1981 avec un morceau au titre fort et noir « Suicidez-vous le peuple est mort », il faut attendre 1987 pour un premier grand succès public : « Si je devais manquer de toi ». Peu importe, Jean-Louis Murat accorde peu d’importance aux trompettes de la renommée, également fier de toutes ses compositions dont les musiques envoûtent et les textes percutent.
Inclassable artisan d’art de la chanson, amoureux du bel ouvrage, Jean-Louis Murat met du blues dans le rock, de l’incisif dans la variété, un peu d’Amérique en France et beaucoup d’Auvergne à New York. Il faut dire que ses amours musicales – Franck Ocean, Adriano Celentano, Camille, Kendrick Lamar – sont aussi variées que ses collaborations. Propulsé dans le panthéon d’une génération désenchantée par des « Regrets » au romantisme sombre qu’il partage avec Mylène Farmer, il provoque volontiers, crève l’écran avec Isabelle Huppert et Béatrice Dalle chez un Jacques Doillon des années 90… mais n’oublie pas de nous rappeler que pour lui, la vie est ailleurs : dans le secret des montagnes, du flot naissant de la Dordogne et des femmes de sa vie.
Avec son cœur de lave au pays des volcans, Jean-Louis Murat reprend en effet dans ses albums le flambeau des écrivains qu’il aime tant depuis l’adolescence – Proust, Gide, Baudelaire… – en mêlant une recherche formelle continue à un motif obsessionnel : l’amour. Des années 80 à ce jour, chaque chanson le passe au kaléidoscope puisque, d’une rupture sentimentale à l’autre, l’auvergnat qui « de [sa] vie vulgaire […] garde l’amour, c’est tout » ne saurait puiser son inspiration ailleurs.
Avec près de 30 albums composés et interprétés, Jean-Louis Murat est d’abord un musicien-poète, immortel troubadour de sa terre de France. Hypersensible à tout sauf, peut-être, au passage du temps qui n’a jamais tari sa source créative. Tombé de Vénus dans son Manteau de pluie, il nous aura fait explorer les sentiments nouveaux d’un éternel Baby love[r], propulsé sur le toboggan d’une vie en plein air dont la source et la destination se rejoignent au Col de la Croix-Morand où rien, pas même la mort, ne pourra défaire son lien avec le public.
J’adresse à sa famille, ses proches, ses musiciens, ses fans, sa région, mes plus sincères condoléances.