Avec Jean-Louis Cohen, l’architecture contemporaine perd un de ses plus grands serviteurs.
Jean-Louis Cohen connaissait comme aucun autre le patrimoine du XXe siècle : il a passé sa vie à l’étudier, à le mettre en perspective et à le défendre. Etudiant à l’Ecole Spéciale d’architecture, il a vécu de plain-pied le moment charnière de libération qu’a été 1968. Esquisses à l’aquarelle, conception militaire du bâti, absence de débat : très peu pour lui. Avec un groupe de camarades, ils font appel à une nouvelle équipe pédagogique au sein de laquelle on retrouve plusieurs des marqueurs du travail à venir de Jean-Louis Cohen : l’international, l’attention au lien entre architecture, société et politique, le goût de la recherche.
Très vite, c’est en effet comme chercheur que Jean-Louis Cohen fait ses armes. Passionné par la manière dont les villes se construisent, il est un des premiers à pratiquer une forme d’architecture comparée : le bâti devient sa langue, l’urbanité son canevas et le monde entier son terrain de recherche. Dès les années 1970, il étudie les architectures italiennes, russes, allemandes : un sillon qu’il ne cessera, toute sa carrière durant, de creuser et d’enrichir. Mais s’il est une ville que Jean-Louis Cohen nous a appris à regarder différemment, dont il a décortiqué la structure et révélé l’essence, c’est bien celle qui ne dort jamais à qui il consacre son monumental ouvrage New York.
Avide de découvertes et rapidement détenteur d’un savoir encyclopédique sur les architectures contemporaines dont on découvre l’étendue dans son Architecture au futur depuis 1889, Jean-Louis Cohen sait lui-même relier son travail de recherche à l’espace public. En 1979, alors qu’il a tout juste 30 ans, on lui confie l’organisation du volet architecture de la grande exposition Paris-Moscou au Centre Pompidou. Quelques années plus tard, on lui confie la direction du programme de recherche du ministère de l’équipement, puis celle de l’Institut français d’architecture, avant de lui donner au début des années 2000 l’exigeante mission de créer ce que sera, à Chaillot, la Cité d’architecture et du patrimoine de Paris, puis le soin de construire le magnifique Pavillon français, récompensé d’une mention spéciale à la Biennale d’architecture de Venise de 2014.
Sans se définir ainsi, Jean-Louis Cohen a toute sa carrière durant pratiqué la recherche-action en mettant ses connaissances au service de l’urbanisme et de l’architecture, qu’il s’agisse de réaménager la ville ou, au contraire, de protéger comme le traduit son engagement des dernières années pour la préservation de la cité-jardin de la Butte Rouge, à Chatenay-Malabry. Cet engagement est aussi celui de transmettre ses connaissances à des publics les plus larges possibles, comme il le fait en créant en 1989 l’exposition permanente du Pavillon de l’Arsenal : « Paris, la ville et ses projets ». Nombreuses sont les institutions qui ont fait appel à lui au sein de leur conseil scientifique (du MoMa de New York au Centre canadien d’architecture de Montréal en passant par le Getty Grant Program de Los Angeles) ou en tant que commissaire d’exposition, notamment sur Le Corbusier dont il était spécialiste et auquel il a consacré en 2013 une grande exposition au MoMa : « Le Corbusier, An Atlas of Modern Landscapes ».
A travers ses multiples expériences, d’un bout à l’autre du monde, c’est sans doute comme professeur qu’il aura le plus marqué les esprits – jusqu’à être un des rares architectes à entrer, comme professeur invité, dans l’enceinte du Collège de France. Sheldon H. Solow Professor in the History of Architecture de l’Institute of Fine Arts de la New York University depuis 1994, Jean-Louis Cohen a transmis à des générations d’étudiants d’Europe et des Etats-Unis sa vision si particulière de l’architecture et de la manière dont – dans le contexte soviétique, dans l’après-guerre ou dans le contexte colonial – les cultures nationales impriment leur marque sur les constructions.
Reconnu dans le monde entier, de Berlin à New York en passant par Rome et Moscou, son engagement passionné en défense de l’architecture contemporaine, Jean-Louis Cohen a ouvert nos yeux sur une nouvelle manière de lire la ville en nous transmettant pendant des années sa passion des formes urbaines et des interférences.
J’adresse à sa famille et à ses proches mes plus sincères condoléances.