C’est avec tristesse que j’ai appris la disparition de François Gèze, grand éditeur, chercheur ouvert sur le monde et intellectuel engagé.
Né à Casablanca au Maroc, François Gèze a passé son enfance entre l’Allemagne et la France, au gré des différentes affectations de son père officier dans l’armée. Il est élève au Lycée Pierre Fermat de Toulouse lorsqu’éclatent les évènements de mai 1968 qui fondent son éveil politique. « C’est vraiment mai 1968 qui a changé ma vie », avait-il déclaré dans ses entretiens avec Thomas Baumgartner en 2013. Brillamment admis à l’Ecole des Mines, « un endroit absolument formidable où l’on ne foutait rien », il s’installe à Paris en 1969 et suit parallèlement un cursus d’économie du développement à l’Institut d’Etudes du Développement Economique et Social.
La même année, François Gèze s’engage au Parti Socialiste Unifié et au centre d’études et d’initiatives de solidarité internationales où il consolide son engagement politique et développe son intérêt pour les questions coloniales.
Mais ce sont les voyages de François Gèze en Amérique du Sud au début des années 1970 qui structurent véritablement tout à la fois son engagement politique et son travail d’écriture.
De retour en France, il crée le Comité de soutien aux luttes du peuple argentin et sera l’un des fondateurs du Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe du monde de football de 1978. Il fonde également avec Alain Joxe le Comité de soutien à la lutte révolutionnaire du peuple chilien, en réaction au coup d’Etat du général Augusto Pinochet.
François Gèze n’aimait pas parler de lui, mais il se définissait comme un « passeur ». Sa carrière dans le monde du livre, qu’il marquera par sa créativité et son souci de la transmission, en sera une magnifique expression.
A partir de 1977, il rejoint la maison d’édition de François Maspero dont il prendra la tête cinq ans plus tard et qui deviendra les Editions La Découverte. Sa ligne éditoriale sera marquée par d’importantes collections et ouvrages en sciences économiques et sociales. Parmi eux, l’annuaire L’Etat du Monde, conçu avec Yves Lacoste et Alfredo Vallado, dont les publications annuelles proposaient une observation exhaustive et minutieuse de l’état des Nations. Toujours animé par le souci de décloisonner et diffuser le savoir, François Gèze lance aussi la collection de poche Repères, composée d’ouvrages démocratisant les travaux d’universitaires à l’attention du grand public. La Découverte publiera également de nombreux ouvrages sur la culture et les politiques culturelles.
Militant convaincu de l’édition des connaissances, François Gèze avait saisi très vite le potentiel de l’outil numérique. Au début des années 2000, il participe au lancement du portail Cairn.info dont il deviendra par la suite le président. Il sera également l’une des forces vives du programme ReLire de numérisation des livres indisponibles du XXe siècle, qui a inspiré plusieurs articles importants de la directive de 2019 sur le droit d’auteur.
Fervent défenseur de l’industrie du Livre et en particulier du droit d’auteur, il s’était engagé dans ses instances interprofessionnelles et institutions majeures, au Syndicat national de l’édition, au Cercle de la librairie, à la Bibliothèque nationale de France ou encore à l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques.
Témoin et acteur majeur de l’évolution du monde de l’édition, François Gèze venait de mettre un point final à son essai La double nature du livre – Quatre décennies de mutations dans la « chaîne du livre » qui paraîtra cette automne.
François Gèze a consacré sa vie à nous montrer le monde et à nous faire grandir. Son intelligence, son humilité et son regard bienveillant vont nous manquer.
J’adresse toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches.