C’est avec tristesse que j’ai appris la mort de Claude Villers, grande figure de la radio publique française.
Né en 1944 à Everly, en Seine-et-Marne, Claude Villers grandit dans une famille ouvrière de la région d’Arras. Il quitte le foyer familial à ses quatorze ans et se lance dans la vie professionnelle. C’est un adolescent aux mille métiers, aux mille vies : employé du Crédit Lyonnais, garçon de café, videur de boîte de nuit et même catcheur sous le pseudonyme de « l’homme au masque de soie ».
Lorsqu’il obtient sa carte de presse en 1962, il devient à seulement dix-huit ans le plus jeune journaliste de France. Outre des articles écrits dans Radio Magazine, il fait ses débuts sur les ondes grâce à « L’Equipe n° 1 » sur Europe 1. Il rejoint ensuite RTL, avant d’intégrer France Inter en 1964 dans l’émission « Table ouverte ».
C’est là qu’il rencontre José Artur et Monique Desbarbat. Le premier, maître et mentor, devient vite l’un de ses plus proches amis. La seconde s’impose en complice et collègue : c’est elle qui réalise et produit avec lui ses émissions durant les trente années suivantes.
A partir de 1965, il devient participant quotidien du « Pop Club » de José Artur, émission culte à la longévité exceptionnelle qui porte à l’antenne des musiques nouvelles et iconoclastes.
En 1967, il s’envole pour New York et publie dans la presse écrite avant de rejoindre le bureau local de l’ORTF. Parfois au nez et à la barbe d’une direction plus timide, il couvre avec passion les événements qui font l’actualité d’une jeunesse en mouvement, à commencer par le festival de Woodstock de 1969. La même année, il est le correspondant de France Inter aux Etats-Unis et traduit en direct de Houston les célèbres mots de Neil Armstrong.
Il relate ses aventures américaines dès 1971 dans « A plus d’un titre », émission lancée à son retour en France. Dès lors, il renoue avec France Inter et entame une longue carrière qui marquera l’histoire de la radio française.
En 1980, il préside « Le Tribunal des flagrants délires », talk-show bientôt devenu culte, face à un invité devenu accusé, pris entre les réquisitions implacables du procureur Pierre Desproges et la plaidoirie en défense de son avocat Luis Rego. Le ton est libre, les prises de parole décapantes et le résultat fera rire aux larmes le public jusqu’en 1983. Le rire de Claude Villers était souvent corrosif mais jamais mauvais ni méchant. Il le disait au Monde avec tout son sens de la formule : « peut-on rire de tout ? Oui, mais avec humanité ».
Authentiquement populaire, il plait sans complaire et refuse de stagner ou de recycler de vieilles recettes : soucieux de toujours se réinventer, le voilà qui n’hésite pas à prendre des risques et à régulièrement changer ses programmes pour toujours se diversifier.
D’année en année, ses émissions touchent à tout, explorent des styles variés, du récit de voyage à la satire la plus cinglante. Avec, en guise de fil rouge, son inénarrable sens de l’humour et son goût pour l’évasion. Le rêve occupe une grande place dans les noms de ses émissions : « Marche ou rêve », « Les routes du rêve » mais aussi « Comme on fait sa nuit on se couche » ou encore « Marchand d’histoires ».
De 1997 à son départ en 2004, il produit et présente « Je vous écris du plus lointain de mes rêves », qui propose chaque dimanche une heure de voyage, comme la promesse d’un ailleurs onirique. Pour des milliers d’auditeurs, sa voix est déjà une échappée, qui les guide vers les quatre coins du monde.
Parole de rêveur : quarante ans de radio, son autobiographie publiée en 2004, semble parfaitement résumer le fil conducteur de toute sa carrière. Il était un rêveur qui avait le rêve communicatif, contagieux, et qui a pu le transmettre à des générations d’auditeurs.
Lorsqu’il prend progressivement sa retraite dans les années 2000, il se dit lui-même comblé. En plus de quarante ans de carrière, il n’aura cessé d’explorer de nouvelles pistes à la radio, à la télévision ou dans ses livres. Il nous aura fait rire en riant avec nous. Retiré en Gironde avec son épouse, il s’est éteint le 16 décembre 2023 à l’âge de 79 ans.
J’adresse mes sincères condoléances à sa famille, à ses proches, à tous ses anciens collègues et à l’ensemble des équipes de France Inter et de Radio France.