Plume singulière du Monde et voix familière des « Grosses têtes », Claude Sarraute a ému des milliers de français par sa liberté de ton et le piquant de ses observations en peignant « sur le vif » les affres de ses contemporains.
Si l’écriture est devenue sa vie, ses premières amours sont dramatiques. A dix ans elle voit son premier film Blanche-neige et dans son esprit cela ne fait aucun doute : plus tard elle sera comédienne. De l’école Alsacienne aux bancs de la Sorbonne, Claude Sarraute mène une brillante scolarité en rêvant de pouvoir un jour monter sur les planches. Pour la fille de la théoricienne du Nouveau Roman, pas question d’imiter sa mère. Elle prend des cours du soir, se forme et joue dans des pièces d’avant-garde.
Mais rien n’y fait : elle aussi est habitée par le désir d’écrire.
Le journalisme lui ouvre ses portes. D’abord dans les colonnes du Sunday Express dont elle est la correspondante à Paris puis au journal Le Monde où elle restera quarante ans. Affectée aux pages « spectacles », elle y note tout ce qui se joue à Paris avant de réaliser ses premières chroniques sur les programmes télévisés. Pressée d’écrire davantage, elle multiplie les idées d’articles jusqu’à ce que le directeur de la rédaction de l’époque, André Laurens, lui confie contre l’avis des chefs de service « Sur le vif », une rubrique en fin de journal qui deviendra avec les dessins de Plantu une des pages les plus lues du journal.
Il faut dire qu’elle écrit sa rubrique comme le babil addictif d’une pipelette, dénonçant avec malice le ridicule et les contradictions de ses contemporains. De la vie de bureau à celle des hommes politiques – François Mitterrand, qu’elle appelait son « mimi », ou Jacques Chirac, son « Jacquot » – Claude Sarraute parle de tout et apporte, non sans finesse, une touche de légèreté dans le quotidien des lecteurs. Mais quelle gageure pour elle de rendre chaque jour à 9h30 précises son papier ! Dans les jours sans inspiration, ce sont alors des « chéri », « mon amour », « ma puce » qui résonnent comme un chant d’oiseau dans les couloirs de la rédaction, où elle va puiser auprès de ses collègues des histoires croustillantes à raconter plus tard.
En 1992, elle met un point final à sa dernière chronique au Monde pour embrasser la suite de sa carrière. Plus de billet peints sur le vif donc, mais des livres et des émissions de radio. Elle est ainsi l’autrice d’une quinzaine de romans – qu’elle s’amuse à appeler des « romans de plage » – entre 1985 et 2017. Sur les ondes, elle ravit le public avec son franc-parler d’abord comme pensionnaire des « Grosses têtes » avec Philippe Bouvard, puis avec Laurent Ruquier dans « Rien à cirer » et « On va s’gêner ». Ceux qui ne connaissaient que ses écrits et sa plume découvrent avec délice alors son merveilleux sourire et son sens de la répartie.
A quatre-vingt-cinq ans, Claude Sarraute quitte la radio puis nous livre, en 2017, ses meilleurs souvenirs truffés de commentaires pétillants sur l’époque actuelle dans un dernier ouvrage : Encore un instant. Nous aimerions, nous aussi, retrouver encore un instant son œil averti et son irrévérence.
J’adresse à sa famille, à ses proches et à tous ceux qui ont pendant soixante ans attendu impatiemment la parution de ses chroniques, mes plus sincères condoléances.