Kaija Saariaho, magicienne des sons et des voix, une des plus grandes figures de la création musicale de notre temps, nous a quittés.
Dans sa Finlande musicale, elle découvre dès 6 ans la gourmandise sonore et multiplie les instruments : le piano, puis le violon et l’orgue, avant d’exercer son oreille à la diversité des sons chez le disquaire ou dans les concerts qu’elle écume, adolescente. Quelques années plus tard à l’Académie Sibelius d’Helsinki, elle étudie la composition auprès du grand Paavo Heininen et découvre là sa voie. Jongler avec les sons, créer des textures musicales inconnues, raconter une histoire – poétique ou poignante – à partir de notes tracées sur le papier… ou plutôt de perceptions glanées sur le spectre du son. Si en 1977, avec ses amis compositeurs, dont Magnus Lindberg et Esa-Pekka Salonen, elle fonde le collectif Korvat auki (oreilles ouvertes en finnois) pour promouvoir la musique d’aujourd’hui, bien au-delà de la terre de Sibelius, ce sont les oreilles du monde qu’elle aura ouvertes et des liens d’amitié indéfectibles qu’elle aura tissés.
Curieuse des ailleurs et voyageuse du son, c’est en arrivant à Paris et à l’IRCAM au début des années 1980 que Kaija Saariaho découvre l’instrument ultime : l’ordinateur. En lui ouvrant les portes de la musique spectrale, l’électronique devient méthode de composition, où instruments et expérimentations sonores se répondent pour écrire une musique aux couleurs nouvelles. Dans Laconisme de l’aile, première composition pour soliste en 1982, la flûte devient voix, part d’un chuchotement et finit par oser se dévoiler à nous, cristalline.
Dans les années 1980 et 1990, elle crée en affirmant son style des dizaines de pièces pour orchestre et solistes… et bientôt la voix, à partir du Château de l’âme composé pour le festival de Salzbourg, en 1996. Avec ce château intérieur au sein duquel instruments, voix soliste et chœurs se répondent, Kaija Saariaho fait ses premiers pas dans l’univers vocal. En 2000, L’Amour de loin, idylle médiévale et transméditerranéenne sur un livret d’Amin Maalouf, mis en scène par Peter Sellars, est son premier opéra, devenu pierre angulaire du genre. C’est ainsi déjà un chef d’œuvre du répertoire, composé par une femme, qui entre en 2016 au Metropolitan Opera de New York.
Si Kaija Saariaho continue à composer des pièces instrumentales poétiques, des Sept papillons volant sous l’archet du violoncelle d’Ansi Karttunen à D’om le vrai sens pour la clarinette déambulatoire de Kari Kriikku, ses opéras la distinguent. À chaque nouvelle œuvre, grande parmi les grands, Kaija Saariaho frappe au cœur le public et rend au genre lyrique vigueur et panache. Avec Adriana Mater, puis Emilie, ou encore l’oratorio La passion de Simone, elle met à l’honneur des héroïnes aux personnalités singulières, de la mère en temps de guerre d’Amin Maalouf, à la scientifique Emilie du Châtelet ou la philosophe Simone Weil. Internationalement reconnue, Kaija Saariaho fait enfin exploser tous les codes, avec Innocence un opéra-thriller, génial coup de poing musical, vocal, scénique, acclamé dans le monde entier depuis sa création aixoise en 2021.
Kaija Saariaho aura composé même dans la maladie, lorsque son concerto pour trompette sera créé le 24 août prochain à Helsinki, c’est en regardant vers Orion que son public lui dira encore une fois merci.
J’adresse à son époux Jean-Baptiste Barrière, à ses enfants Aleksi et Aliisa Neige et à ses proches mes plus sincères condoléances.