Cinéaste brillant, économe de ses éclats, Jacques Rozier nous a quittés.
Le nom de Jacques Rozier est ancré dans tous les coeurs cinéphiles pour Adieu Philippine, réalisé en 1962, salué dès son apparition sur les écrans aussi bien par François Truffaut que par Jean-Luc Godard. Dans un jeu de caméra très libre, Jacques Rozier y exalte une sensualité nouvelle et un désir de liberté que l’on retrouve aussi bien dans le naturel des dialogues que dans la nonchalance solaire des corps, qui s’arrachent au continent morne pour glaner un peu de bonheur insulaire. De ce premier long-métrage à Maine Océan avec lequel il triomphe en 1986, le réalisateur raconte celles et ceux qui, agacés des frictions entre nos devoirs quotidiens et nos désirs d’ailleurs, choisissent de faire un pas de côté.
Ce regard sur le monde ; populaire et rêveur, Jacques Rozier nous l’a livré pendant près de quarante ans avec une grande parcimonie. Dans un univers souvent pressé par les calendriers de tournage, il n’entend pas sacrifier le temps long nécessaire à la maturation de ses œuvres. Libre, pouvant provoquer l’agacement de ses producteurs, il sait pourtant amener ses acteurs à nous offrir un résultat déconcertant, décoiffant de naturel. Et, comme ses personnages qui préfèrent l’échappée belle à la route tracée, il n’hésite pas à interrompre les tournages avant de les reprendre, puis à monter et démonter ses séquences pendant des années, avec minutie et passion. Réalisateur récompensé en 2002 par le tout premier Carrosse d’or à de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, ses films sont ceux d’un rêveur patient, d’une nouvelle vague qui ne cesse de s’enrouler.
Mais Jacques Rozier ne circonscrit pas son talent au cinéma. A côté des chefs d’œuvre qu’il offre au grand écran, il réalise de très nombreux documentaires pour la télévision. Jongleur, il met de la réalité dans ses fictions et du cinéma dans ses documentaires dont il fait de fascinantes portes d’entrée vers la culture de son temps. Derrière sa caméra, nous découvrons ainsi Jean Vigo citoyen-cinéaste, Brigitte Bardot pourchassée par les paparazzis, les dessous de l’Opéra Royal de Versailles, les coulisses de la mode… et mille et uns autres univers.
Inclassable surfeur d’images, son humour, sa poésie, sa perception à la fois tendre et mélancolique du monde continueront à inspirer les nouvelles générations pour les inviter à explorer de nouveaux horizons.
J’adresse à sa famille et à ses proches mes plus sincères condoléances.