Monsieur le Ministre, Cher Laurent,
monsieur le maire, cher Pierre Aidenbaum,
monsieur le président du Musée Picasso, cher Laurent Le Bon,
mesdames et messieurs,
chers amis,
Comment ne pas être saisi d’émotion à l’idée de redécouvrir l’œuvre de Picasso, comme vous nous invitez à le faire aujourd’hui ? Car c’est ainsi : nous avons beau avoir un jour croisé intensément le regard de Dora Maar, passé de longues heures à contempler les Déjeuners sur l’herbe, ou nous être déjà laissés happer par la mélancolie douce de la période bleue, il suffit d’un nouvel accrochage pour que le connu se donne comme inconnu, et que l’œuvre se redécouvre, dans tous les sens du verbe. Je suis profondément heureuse de l’inaugurer ce soir avec vous.
« Un tableau, disait Picasso, ne vit que par celui qui le regarde. » Il est donc amené à revivre dans nos yeux de visiteurs. Mais il revit surtout par votre intercession, vous qui avez imaginé cette exposition nouvelle. Dix paires d’yeux, celle des dix commissaires auxquels nous devons ce parcours, ont fait œuvre collective, pour rendre visible le cheminement créatif de Picasso. Dans un film que l’on peut voir ici, Henri-Georges Clouzot avait déjà voulu saisir le geste du peintre. C’était Le Mystère Picasso, tourné dans l’atelier du maître, en 1955. Soixante ans plus tard, grâce à vous, nous ne suivons plus seulement le mouvement du pinceau sur la toile : l’atelier dont nous franchissons cette fois les portes est l’atelier intérieur.
« Il faudrait pouvoir montrer les tableaux qui sont sous le tableau », disait encore Picasso. Vous vous en approchez en confrontant les œuvres du peintre aux archives dont vous êtes les dépositaires, reconstituant le processus de création, comme s’il s’agissait d’un palimpseste. Telle est la prouesse dont Picasso rêvait. Les donations de sa famille la rendent possible aujourd’hui. Nous ne l’en remercierons jamais assez. Je veux la saluer ce soir.
Sur ces quatre étages, chacun peut embrasser d’un même regard les œuvres de différents médiums. Immergé au milieu des croquis et des toiles, des carnets et des esquisses, des sculptures et des photographies, nous suivons un parcours pensé pour être en symbiose avec l’œuvre, puisque son architecture fait écho aux techniques de composition de Picasso : superposition, collage, assemblage, déconstruction… Merci à son scénographe, Jasmin Oezcebi, de l’avoir imaginée. Nous voilà plongés dans la vie intime comme dans la vie publique du peintre et du sculpteur. Merci à l’INA, dont je salue le Président, d’être le partenaire de cette exposition aujourd’hui : les enregistrements que l’Institut a prêtés pour l’occasion ajoutent de la profondeur à cette immersion à laquelle nous sommes conviés dans le chemin de création. Merci à la Banque Neuflize OBC : sans son soutien, cette exposition n’aurait pu voir le jour. Merci aux partenaires médias, et en particulier à TF1.
Il en fallait de la passion, du travail, de l’engagement pour que cet événement soit possible, un an à peine après la réouverture de l’Hôtel Salé, et son inauguration par le Président de la République. Mon admiration va à tous les agents du musée Picasso, sous la direction de Laurent Le Bon, qui ont partagé et porté ensemble cette aventure. Et ce fut une aventure, car entre temps, le musée n’a jamais désempli. Après plusieurs années de fermeture, l’engouement du public, qu’il soit français ou étranger, n’a pas disparu. Bien au contraire : ce fut comme si la fascination pour Picasso et ses œuvres, frustrée d’avoir dû rester tapie dans l’ombre le temps des travaux, avait brusquement déferlé, à peine rouvertes les portes de l’Hôtel Salé. En un an, 800 000 visiteurs ont franchi ce seuil.
Tous en sont, je crois, sortis satisfaits. J’oserais même dire qu’ils en sont sortis heureux.
Heureux de retrouver ce musée, dont nous fêtons cette année les trente ans.
Heureux de redécouvrir ces murs du XVIIe siècle, repensés de l’intérieur par Roland Simounet dans les années 1980, élargis et restaurés depuis par Jean-François Bodin.
Heureux de retrouver Picasso chez lui, dans l’écrin que la France lui a choisi.
Heureux, comme tous ces enfants, auxquels le musée est réservé chaque matin. Depuis un an, ils parcourent ces collections avec leurs enseignants dans des conditions exceptionnelles. Je veux le saluer. Faire en sorte que personne ne se sente illégitime dans un lieu de culture, c’est l’une de mes priorités et je sais qu’elle est ici partagée. L’éducation artistique et culturelle ne relève pas que de l’école : elle est aussi de la responsabilité d’un musée, qui fait grandir l’accès à l’art par le plaisir.
Un an après, le musée Picasso est sur de bons rails et fait notre fierté collective. Il est promis à un brillant avenir. Le nouvel accrochage que nous nous apprêtons à voir suffit à le démontrer : un grand musée n’est jamais figé ; il n’est pas suspendu dans le temps ; sans cesse, il se réinvente. Nous avons besoin que nos établissements publics soient des lieux d’expérimentation. C’est un principe essentiel que vous faites vivre ici, a fortiori pour un musée monographique.
De même qu’il se réinvente, un grand musée rayonne et se déploie hors-les-murs. Vous avez précisément choisi cette voie, en particulier pour ce trentième anniversaire.
Hors les murs, l’œuvre de Picasso rayonne à travers celle des contemporains. De Lichtenstein à Jeff Koons, en passant par Basquiat ou Warhol, tous ont été séduits, marqués, inspirés un jour par le travail de Picasso. « Picasso.mania » le donne actuellement à voir de façon inédite au Grand Palais. Le Musée Picasso est partenaire de cet événement, avec le Centre Pompidou. Je crois à la confrontation des œuvres, toujours porteuse de sens, toujours porteuse d’inattendu.
Hors-les-murs, Picasso rayonne aussi au Louvre, au Musée Delacroix, et aux Abattoirs de Toulouse, pour la plus grande rétrospective consacrée au peintre depuis cinquante ans dans la ville rose. Faire en sorte que les grands artistes et les chefs-d’œuvre ne soient pas uniquement accessibles aux publics parisiens, c’est l’un de mes engagements. Si nous voulons que l’art soit accessible à tous, il faut donner plus d’intensité encore au hors-les-murs, pour qu’il n’existe aucun territoire qui en soit éloigné. Je suis en train d’y travailler. Je sais combien Laurent Le Bon y a été sensible, en dirigeant le Centre Pompidou-Metz.
Hors-les-murs, c’est enfin hors de nos frontières : les expositions participent à l’attractivité comme au rayonnement culturel de notre pays, pour lesquels nous sommes engagés Laurent Fabius et moi. Depuis un mois, la sculpture de Picasso se déploie au MOMA. Lui qui fut autodidacte en la matière, il l’a réinventée et transfigurée, en lui consacrant une part importante de son travail de recherche et d’expérimentation. C’est au public américain qu’il en revient la primeur. Le public français en profitera ici dès mars prochain, grâce à ce partenariat fructueux entre deux grandes institutions.
Le musée Picasso, mes chers amis, a parfois connu des moments difficiles. Mais il a toujours su se réinventer, se déployer, explorer de nouvelles frontières, pour mieux faire connaître au monde l’œuvre exceptionnelle qu’il abrite, et pour la rendre accessible à tous. Aujourd’hui, pour cette trentième année, il prolonge ce chemin en nous faisant entrer, par ce nouvel accrochage, dans l’atelier intérieur de celui que Cendrars appelait « le regard ». Je vous souhaite d’entrer dans ce « regard » avec le même enthousiasme et le même émerveillement que si c’était la première fois.
Je vous remercie.