Mesdames et messieurs, chers amis,
C’est un grand plaisir pour moi de vous accueillir aujourd’hui au ministère de la Culture de la Communication pour évoquer avec vous l’avenir de France Télévisions. Je remercie chaleureusement Michel Sapin et Emmanuel Macron pour leur présence.
Notre conviction commune, c’est que France Télévisions a besoin d’un projet audacieux, en prise avec son époque.
En l’espace de cinq ans, le paysage audiovisuel a été complètement bouleversé. La technologie a changé. Qui aurait songé, il y a peu, que la télévision devienne une annexe de l’ordinateur ? L’économie du secteur a également été transformée – avec 25 chaînes gratuites contre 6 il y a encore 10 ans, avec l’arrivée de nouveaux entrants comme Youtube, Dailymotion, Netflix, demain Amazon, avec les réseaux sociaux, la télévision de demain ne sera plus jamais semblable à celle d’hier. Enfin, et surtout la société a évolué. La parole verticale, celle qui convenait aux grandes messes télévisuelles a vécu. Le rôle du téléspectateur passif a vécu, chaque média doit faire participer son public.
Ces bouleversements nous obligent à repenser le rôle du service public de télévision.
Vous tous qui êtes ici réunis, vous vous posez une seule question : qui va être la prochaine présidente, le prochain président de France Télévisions ? Je ne veux pas vous faire languir, je vous réponds sans plus tarder….
Ce dirigeant devra incarner les valeurs de France Télévisions, à commencer par l’indépendance et l’exemplarité. Il ou elle devra se soucier du bien public, de l’intérêt général, car France Télévisions doit être la télévision de tous les Français. En d’autres termes, le prochain dirigeant de France Télévisions devra enrayer le vieillissement continu de l’audience, faire en sorte que la diversité de la société française, de sa population et de ses préoccupations, apparaisse sur l’écran de la télévision publique.
Cet écran, d’ailleurs, parlons en. A l’avenir, il s’agira de moins en moins d’un écran de télévision, et de plus en plus de celui d’une tablette ou d’un téléphone. Voila pourquoi, il apparaît indispensable que ce futur dirigeant poursuive et réussisse la mutation numérique de l’entreprise publique. Car il ne s’agit plus seulement de proposer une télévision de rattrapage. France Télévisions l’a bien compris et beaucoup de choses intéressantes ont été faites. Je pense par exemple à culturebox ou à Ludo.
La personne que le CSA choisira pour diriger France Télévisions aura à cœur d’accompagner cette mutation. Par ailleurs, la télévision, chacun le sait, est un spectacle, un spectacle ou le pire peut côtoyer le meilleur.
La télévision publique française doit offrir, sur tous les supports, à tous les Français le meilleur, en se montrant créative, innovante et singulière. A ses côtés, l’État prendra toutes ses responsabilités. Dès la nomination de la prochaine présidente, ou du prochain président, l’État travaillera à ses côtés pour que France Télévisions réussisse sa mission, une mission essentielle pour la diffusion de la culture française. Car, pour moi, la télévision publique est un véritable instrument de notre politique culturelle. Il s’agit d’un acteur déterminant de la politique culturelle de notre pays et de son rayonnement. Cet outil doit être au service de la citoyenneté et du mieux vivre ensemble.
France Télévisions a un rôle central dans la diffusion de la culture, elle a aussi une responsabilité particulière pour nourrir la conversation nationale. Les terribles événements de janvier nous l’ont tristement rappelé, nous avons besoin d’un espace commun d’échange et de partage, un espace où la parole publique est libre et où l’information, de qualité, rend compte du pluralisme des idées. Dans cet espace, chacun doit pouvoir se reconnaître et apprendre l’altérité et l’ouverture. En somme, France Télévision doit servir la morale commune, aurait pu dire Emile Durkheim.
Comme je vous l’ai dit, les bouleversements en cours, sociétaux, créatifs, technologiques, concurrentiels nous obligent à revoir notre modèle d’audiovisuel public. Pour mieux cerner les contours de ce changement, j’ai demandé à un expert reconnu, Marc Schwartz, de dresser un diagnostic. Il a abouti à des conclusions nombreuses, audacieuses, je le laisse les synthétiser devant vous.
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Merci Marc Schwartz, pour ce travail considérable et ce diagnostic très précieux. A mes yeux, votre travail nous incite tout d’abord à réaffirmer les enjeux et les missions de France Télévisions.
Face à ces bouleversements, le triptyque traditionnel « éduquer, informer, distraire » a besoin d’un nouveau souffle. Il m’apparaît essentiel aujourd’hui de conjuguer trois nouveaux verbes : « comprendre, rayonner, participer ».
Comprendre, tout d’abord, parce qu’aujourd’hui, être citoyen, c’est pouvoir décrypter un environnement complexe, comprendre le monde qui nous entoure.
Le rôle de France Télévisions est d’apporter une information riche et indépendante qui permette l’expression du pluralisme et l’épanouissement du débat d’idées, et favorise la mise en perspective. L’information, ce n’est pas une avalanche de faits. L’information doit permettre le décryptage de la réalité et contribuer à l’esprit critique du téléspectateur. Cette mission doit être au cœur des préoccupations du service public en mettant à la portée du plus grand nombre les débats et les pensées en sciences humaines et sociales, en géopolitique, en économie, qui agitent le monde contemporain. Nous attendons donc du prochain dirigeant de France Télévisions des propositions pour renforcer l’offre publique d’information, en continuant la modernisation des rédactions et en étroite coopération avec les autres entreprises du service public de l’audiovisuel. Je souhaite aussi que les salariés de France Télévisions, qui sont fiers de leur entreprise et de leur mission de service public, soient mobilisés pour participer à des actions d’éducation aux médias partout en France et que cet engagement citoyen soit reconnu et valorisé.
Rayonner, ensuite, parce France Télévisions est un acteur du rayonnement de la création et de la créativité française, un aiguillon de l’innovation.
Le principal risque, aujourd’hui, c’est de ne pas en prendre. France Télévisions doit faire preuve d’audace créative, proposer des formats innovants et des écritures nouvelles, mais aussi accompagner les artistes et les créateurs pour leur permettre de révéler tout leur talent. Soutenir la création française, la langue française, c’est un enjeu essentiel de la diversité culturelle, de la différenciation de l’offre du service public par rapport, notamment, à celle des géants de l’internet. Avec la francophonie, les œuvres françaises ont vocation à toucher un public mondial, en plein développement. Je suis donc très attachée à ce que France Télévisions joue un rôle central en ce domaine.
Enfin, le service public doit jouer son rôle d’incubateur, faire monter une nouvelle génération, pour faciliter le renouvellement de la création. Là aussi France Télévisions doit remplir son rôle, notamment en matière de production de fictions et de séries. La France exporte encore relativement peu de séries, alors que c’est un genre en pleine expansion, qui parle à tous les publics y compris la jeunesse. Un renouveau créatif a été amorcé et se révèle payant, avec Les revenants, Braquo, No limit, mais nous avons tous les talents pour faire beaucoup mieux : les auteurs, les créateurs, la filière de production et de distribution : France Télévisions, qui a su proposer Un village français et Fais pas çi fais pas ça, doit aussi pouvoir proposer les Borgen, les Real humans, les House of cards, de demain. J’ajoute que la réussite de tels projets ne doit pas uniquement se jauger en termes d’audience. Évidemment, il ne peut pas y avoir de télévision publique sans public. Mais la créativité, l’ambition artistique, la générosité de l’intelligence, sont des critères dont France Télévisions doit tenir compte.
Participer, enfin, parce que les médias doivent aujourd’hui repenser leur rapport au public. Dans cet exercice, l’information locale, et les médias de proximité doivent jouer un rôle essentiel. Le rôle de France Télévisions c’est aussi de fédérer les initiatives, par exemple des coopérations plus fortes entre les différentes composantes de l’audiovisuel public. C’est un sujet que le Président de la République a déjà évoqué. Ici aussi, l’État prendra toutes ses responsabilités, en instituant un comité de pilotage stratégique rassemblant toutes les entreprises de l’audiovisuel public pour leur permettre d’échanger par exemple, sur leur développement et leur politique d’investissement.
Pour que les Français parlent de France Télévisions, France Télévisions doit parler d’eux, avec eux. Deux priorités doivent animer cette volonté de faire de la télévision publique la télévision de tous les Français : attirer la jeunesse et promouvoir la diversité.
Une des missions centrales du service public doit être de favoriser l’entrée de la jeunesse dans le monde. France Télévisions doit recréer un lien fort avec la jeunesse de notre pays et proposer une offre adaptée à ce public, sur tous les supports.
Cela passe par l’exploitation des genres qui sont ceux de la jeunesse, la musique, la culture urbaine, la fiction et l’animation, mais aussi par l’appropriation de leurs codes, notamment l’humour, le décalage. Des émissions comme par exemple le Daily Show aux États-Unis, ou aujourd’hui Silex and the city en France, ont montré la voie pour parler de sujets de société à un public d’adolescents ou de très jeunes adultes ;
Cela implique aussi, à travers l’offre en ligne, de faire d’internet un espace où l’offre publique, lisible et attractive pour les jeunes, vienne concurrencer les messages antirépublicains.
Une autre mission du service public est de s’adresser à tous les Français et d’être représentatif de notre société dans toute la richesse de sa diversité. France Télévisions doit être le reflet de cette richesse et non pas le miroir de nos blocages.
Cela passe par la promotion de nouveaux talents mais aussi par un lien renforcé avec les médias citoyens et de proximité.
Demain, la télévision sera massivement distribuée sur internet. Les alternatives à France Télévisions ne seront plus une poignée de chaînes mais une multitude de propositions numériques. La télévision doit être aux avant-postes de cette révolution :
- parce que le contenu même de la télévision évolue, avec des programmes interactifs, elle doit être au cœur de ces nouvelles manières de vivre l’expérience télévisuelle ;
- elle doit aussi sans doute enrichir et mieux mettre en valeur son offre de vidéo à la demande pour mieux exposer les nombreux genres et formats que France Télévisions est seule à détenir ;
- elle doit, enfin, se faire la voix du service public sur internet, alors que les algorithmes risquent de dicter nos choix culturels, et que les théories du complot envahissent la toile, en l’absence de gardien des déontologies crédibles et plurielles.
Pour mener à bien ces différents chantiers, il va falloir faire des choix, et même des choix forts. Et l’État devra jouer son rôle. Je laisse maintenant la parole à Emmanuel Macron, puis à Michel Sapin qui vont vous présenter ces points.