Monsieur le directeur de l’Humanité, cher Patrick LE HYARIC,
Monsieur le président de l’Association de la presse IPG, cher Georges SANEROT,
Monsieur le président du syndicat de la presse quotidienne nationale, cher Francis MOREL,
Monsieur le président du syndicat des éditeurs de la presse magazine, cher Bruno LESOUEF,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
L’esprit du 11 janvier 2015 continue de souffler. Il veille sur notre République. Il nous oblige, toutes et tous.
Dans certains contextes, ces phrases seraient moquées comme des platitudes, de la langue de bois ou pire encore, des contre-vérités. Ici, pourtant, au dîner annuel de la presse à la Fête de l’Humanité, elles sonnent comme des évidences.
Ce moment unique pour la liberté et la diversité de la presse, en résonance avec le beau mot d’ordre « Je Suis Charlie », nous le devons d’abord à son hôte, le journal l’Humanité. Je veux une fois encore vous en remercier, cher Patrick LE HYARIC. Je veux redire au passage au journal L’Humanité, si attaché à la liberté de ton et à la critique informée, mes pensées après la disparition de Claude CABANES. ClaudeCABANES disait, avec sa voix si chaude, si amoureuse de la couleur des mots, que « les Don Quichotte ne lâchent pas prise » : c’est un beau message de rêve et d’insoumission qu’il nous laisse, aux gens de presse comme aux gens de lettres, et peut-être même… aux ministres.
Ce plaisir de pouvoir échanger ensemble ce soir, nous le devons aussi, Mesdames et Messieurs, chers amis éditeurs, journalistes, à vous tous qui avez démontré, dans les instants tragiques du début de l’année, que notre presse est bien le point d’ancrage de notre démocratie. Je tenais à vous saluer, dans votre diversité et dans votre confraternité : vos réactions de solidarité, la couverture que vous avez donnée des événements, votre intransigeante indépendance – tout cela a fait honneur à la France, tout cela a montré au monde toute la ressource de notre Pays. Au nom du Gouvernement, je tenais à le répéter et à vous en remercier.
Je l’ai dit, la tragédie qui a touché la rédaction de Charlie Hebdo nous oblige, chacun dans nos fonctions respectives. Pour ce qui me concerne, comme je l’ai annoncé au début de l’année en accord avec le Président de la République, et comme confirmé lors de la conférence des éditeurs en juin, j’ai décidé de consolider le soutien public au pluralisme de la presse pour tous les titres IPG qui en étaient exclus du seul fait de leur périodicité. C’est une réforme dont nous pouvons être fiers. Grâce à elle, plusieurs dizaines de titres qui contribuent à la richesse de notre conversation nationale vont pouvoir bénéficier d’une aide pérenne de 4 M€. Cette aide sera versée dès 2015, sans affecter, bien sûr, le soutien aux quotidiens qui demeure inchangé.
Ce formidable moment d’unité politique qui a entouré Charlie a aussi permis l’adoption à l’unanimité (des deux chambres?) de deux amendements dont nous pouvons être fiers : l’amendement Charb qui permet désormais aux citoyens de soutenir leurs journaux en bénéficiant des mesures de défiscalisation, et la création du statut d’entreprise solidaire de presse. Ce fut un moment très fort, en juillet dernier, quand toute l’équipe de Charlie rassemblée est venue à mon Ministère pour adopter, la première, ce nouveau statut !
Je ne peux pas évoquer ce moment si particulier de notre vie parlementaire sans rappeler également, cher Michel Françaix, la rénovation du statut de l’AFP. Réforme majeure et respectueuse de l’indépendance de l’Agence. Historique même au regard du statut fondateur de l’Agence en 1957. Grâce à une gouvernance plus en phase avec les exigences de la modernité, vous disposez, cher Emmanuel Hoog, du socle juridique qui vous permettra de faire la course en tête sur le marché mondial de l’information tout en continuant à remplir avec exigence les missions d’intérêt général pour lesquelles mon Ministère soutient l’Agence. Le Contrat d’objectif et de moyens que nous avons signé le 15 juin témoigne du soutien exceptionnel de l’Etat et de mon Ministère pour vous permettre d’atteindre les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés.
Dans le registre des aides, je veux évoquer ici une autre mesure nouvelle à laquelle je suis très attachée. Tous les médias de l’économie sociale et solidaire, médias de proximité, médias alternatifs, médias « pas pareils » comme ils aiment à se définir eux-mêmes, n’avaient jamais pu bénéficier de l’aide de mon ministère, alors qu’ils font un travail d’information sociale de proximité irremplaçable sur nos territoires. Après un appel à projet doté de 1 M€ qui nous permet de soutenir 114 d’entre eux dès cette année, j’ai le plaisir de confirmer ici que le Ministère leur accordera désormais une aide pérenne, grâce à un fonds de soutien doté de 1,5M€ dés l’année 2016.
Garantir le pluralisme, c’est aussi éduquer à l’information, à la liberté d’expression. Vous êtes comme moi totalement mobilisés sur ces enjeux fondamentaux. Je souhaite voir avec vous comment nous pouvons faire plus et mieux encore, notamment pour les publics qui ne sont plus ou ne sont pas à l’Ecole.
Nous venons ainsi de lancer un vaste projet sur l’éducation aux médias, financé par le Fonds stratégique, afin de doter les équipes pédagogiques ou périscolaires de « mallettes numériques ». J’espère que vous serez nombreux à y répondre. Quoi de plus motivant que d’apprendre à lire un journal, à décrypter la fabrique de l’information, apprendre à aimer la liberté ?
Je sais, cher Georges SANEROT, que vous êtes tout particulièrement attentif à ces sujets et je vous remercie de votre contribution précieuse.
Garantir le pluralisme, c’est aussi s’adapter à la révolution des usages de nos concitoyens ! Nous devons continuer, ensemble, à prendre la mesure de ce mouvement irréversible et à le considérer comme en une opportunité plutôt qu’une menace. Opportunité pour les lecteurs, opportunité pour le pluralisme, opportunité pour vos entreprises.
De nombreux titres continuent de se créer ou vont naître, aussi bien sur le papier (je pense à « l’Opinion », au « Un ») que tout-en-ligne : « L’Important », « Le Quatre Heures », « Streetpress », bientôt « Les Jours », les exemples sont nombreux et les idées ne manquent pas dans votre profession. A nous tous d’encourager ce mouvement positif mais toujours fragile.
L’ouverture, ces dernières années, du Fonds stratégique pour le Développement de la Presse, et de l’ouverture à la presse de l’IFCIC, l’institut de financement du cinéma des industries culturelles, vont dans le bon sens. Il nous faut sans doute faire évoluer ces dispositifs vers moins de contraintes et plus d’ouverture à l’ensemble des acteurs. Nous y travaillons..
Mais il nous faut encore amplifier ces avancées. Jean-Marie CHARON, dans son rapport dont je veux saluer à nouveau la qualité sur ce nouvel écosystème dans lequel nous allons devoir évoluer désormais, a présenté ce qui pourrait venir compléter nos dispositifs. Je réfléchis actuellement à ces pistes pour amplifier l’émergence de la presse. Plusieurs idées sont sur la table. Mes collaborateurs vous auditionnent en ce moment pour que nous trouvions ensemble, dans un mécanisme de co-construction qui m’est cher, les moyens les plus pertinents de vous aider sur les chemins de l’innovation : bourses de création de médias émergents, soutien aux incubateurs de presse, renforcement du soutien du FSDP et de l’IFCIC. Les évolutions que je retiendrai seront en place dès 2016.
Nous le savons tous, si une des clefs de l’avenir est numérique, le présent reste, encore aujourd’hui, le papier : c’est encore là que vos entreprises déploient l’essentiel de leurs moyens et réalisent la grande majorité de leurs recettes.
La situation économique reste compliquée pour l’ensemble des familles de presse et un grand nombre de titres de presse. En 2014, les recettes du secteur ont baissé de plus de 4 % par rapport à 2013, et de près de 9 % sur la publicité. Ces chiffres sont encore plus prononcés pour les titres d’information politique et générale, nationaux comme régionaux.
Les formidables potentialités de développement du numérique ne peuvent être dissociées de la prise en compte des exigences de développement de l’industrie papier.
Je pense, tout d’abord, à la modernisation des imprimeries. Une négociation a été conduite entre les éditeurs de la presse quotidienne nationale et les organisations syndicales. Cette négociation a posé des bases saines pour le futur de l’impression des quotidiens et pour la reconversion des personnels concernés.
L’État a accepté d’accompagner financièrement ce plan, mais comme je l’ai dit l’an passé, cet accompagnement exceptionnel a été assorti de deux codicilles. Le premier est la solidarité de la presse – toute la presse –, notamment dans le redressement de la distribution au numéro, conformément aux clauses de l’accord-cadre de 2012. Cette condition demande encore à être satisfaite, je dois le rappeler.
Le deuxième codicille est qu’il s’agit de la dernière intervention de l’État sous cette forme. Je remercie Francis MOREL de m’avoir écrit pour me confirmer que la presse quotidienne nationale partageait cette approche, et que l’État n’aurait plus vocation à l’avenir à soutenir financièrement la modernisation sociale des imprimeries. Bien évidemment, nous continuerons – via le Fonds stratégique – de soutenir la modernisation technologique des rotatives, pourvu qu’il n’y ait pas de surcapacités industrielles. En outre, la DGMIC va continuer de conduire avec les partenaires sociaux – employeurs et salariés – la discussion proposée par les syndicats sur l’avenir du secteur.
Parmi les défis essentiels pour la presse imprimée figure aussi la question de la distribution. Presstalis continue de se réformer, et coopère de façon fructueuse avec les Messageries Lyonnaises de Presse et toute la profession pour la mise en place d’un système informatique commun. L’État accompagne, là encore, cet investissement.
Nous serons également extrêmement vigilants sur la question des barèmes des coopératives. Ce sujet sera traité cette année, dans le cadre de régulation rénovée fixée par la loi Françaix. A cet égard, il ne saurait y avoir d’autre chemin que celui de la pleine responsabilité des acteurs, sans laquelle la solidarité ne peut jouer.
Avec mes collègues de Bercy, j’ai mandaté Emmanuel GIANNESINI, président du comité d’orientation du fonds stratégique, pour qu’il prépare l’avenir de la distribution des abonnements de presse. Comme je vous l’avais indiqué lors de la Conférence des éditeurs, le 2 juin dernier, le Gouvernement a décidé que l’aide postale avait désormais vocation à être concentrée sur la presse d’information politique et générale et sur la presse de la connaissance et du savoir.
Emmanuel Giannesini vous a consulté durant l’été. Il a été en contact étroit avec la Poste et les administrations. Il a travaillé à plusieurs scénarios sur les tarifs et sur les aides, ainsi que sur les conséquences administratives de la création du nouveau périmètre Savoir et Connaissance. Le rapport me sera remis prochainement. Nous serons, cela va de soi, attentifs aux impacts de la réforme pour les uns et les autres et nous rechercherons les meilleurs points d’équilibre pour mener à bien cette réforme tout en vous garantissant la visibilité nécessaire à l’issue des accords Schwartz.
Je voudrais également revenir sur le dossier de l’éco-contribution.
La loi relative à la transition énergétique est venue modifier les règles relatives à l’éco-contribution que doivent acquitter les producteurs de papier imprimé, dont la presse CPPAP était jusqu’à présent exonérée. Grâce à une forte mobilisation des équipes du ministère, la rédaction de cet article de la loi a été ajustée jusqu’à la dernière minute du débat parlementaire. Nous avons recherché, par tous les moyens, à limiter l’impact financier pour la presse d’une telle obligation de contribuer au financement de la filière du tri et du recyclage. La presse fait déjà beaucoup en matière de recyclage des invendus et de diffusion des campagnes de sensibilisation au geste de tri. Ce savoir-faire et cette capacité de toucher ses lecteurs dans toute leur diversité devaient être préservée et actée par le législateur. Dans le même temps, la loi va renforcer la démarche vertueuse des professionnels de la presse qui seront incités financièrement à intégrer davantage dans leur procédé de fabrication les contraintes de recyclabilité de leur papier. Nous travaillerons en ce sens avec les deux parlementaires missionnés sur ce sujet : Serge Bardy et Gérard Miquel, et avec le ministère de l’environnement, pour élaborer le projet de décret d’application de ce texte. Vous serez tous consultés et associés à cette réflexion. Cette réforme ne doit pas seulement être vue comme une contrainte supplémentaire pour les éditeurs de presse, mais comme une occasion de valoriser les comportements vertueux et utiles à la qualité de notre environnement, c’est particulièrement important dans la perspective de la COP 21
Je souhaite enfin vous dire un mot ce soir sur la profession de photojournaliste, dont les difficultés profondes ont été à plusieurs reprises évoquées la semaine dernière à Visa Pour l’image.
Si les photojournalistes sont si importants pour la presse et les médias d’aujourd’hui, c’est parce qu’ils relèvent sans cesse le défi de la liberté d’expression et de la liberté d’informer.
La photographie d’Aylan, cet enfant de trois ans échoué sur un rivage de Turquie, prise par la photographe turque Nilüfer Demir, a fait la une de la presse européenne, car elle montrait avec force la réalité du désespoir de milliers de personnes déplacées condamnés à fuir leur pays. Au-delà de l’information brute et de la prise de conscience que cette photo a pu déclencher, le choc que nous avons tous ressenti en voyant cette photo, doit nous rappeler le regard inégalé des photojournalistes sur les faits, qui ouvre à son tour notre propre regard.
J’ai entendu les inquiétudes de la profession, qui portent sur l’avenir de leur métier, sur leur statut, sur le mode de rémunération, sur la délivrance de la carte de presse, sur leur régime social ou encore sur les règles de propriété intellectuelle… Sur tous ces sujets, pour améliorer réellement la situation des photojournalistes, j’ai demandé à mon cabinet et à mes services de formuler des pistes de réforme pouvant faire consensus, qui soient nécessairement en phase avec les évolutions technologiques, dans un marché de la presse en grande difficulté. Ces propositions viendront alimenter les premiers travaux du Conseil national de la photographie, dont j’ai annoncé la mise en place lors des rencontres d’Arles au début de l’été.
Je souhaite également que la concertation engagée par mes services sur le décret déterminant le salaire minimum des photojournalistes pigistes permette de conclure très prochainement un chantier ouvert depuis 2011. Je compte sur ce point sur votre volonté de dialogue et de responsabilité.
Mesdames et messieurs,
Je l’ai dit : le Gouvernement est attentif à la santé de l’écosystème de la presse. Pour que les pensées circulent, pour que les entreprises prospèrent, comme pour que la Nature fructifie, il faut des anciens solides et des jeunes pousses, des chênes centenaires et des sauvageons – au sens propre du mot. Nous devons veiller aux uns sans négliger les autres.
La presse partout dans le monde, et ici aussi, se réforme. La presse française vit. En dépit des ennemis de la liberté, en dépit des difficultés de l’heure, le nombre de nouveaux titres publiés sur papier ou édités en ligne, dans l’ensemble de vos familles, reste dynamique. Au-delà de cette démographie encourageante, la multiplication des angles d’attaque, les inventions éditoriales constantes, les innovations concrètes, tant sur papier que sur le numérique, continuent de faire des métiers de presse un univers enthousiasmant et plein d’avenir. Je voulais vous réaffirmer ce soir, ici à ce dîner de l’Humanité qui nous rassemble, la confiance du Gouvernement dans le futur de vos professions et celui de vos journaux.
Je vous remercie.