Lors du forum européen de Chaillot, les artistes de tout le continent nous ont lancé un vibrant appel pour une nouvelle Europe de la culture. Que nous ont dit Thomas Ostermeier, Peter Brook, Costa-Gavras, Michelangelo Pistoletto, Blanca Li et beaucoup d’autres ? La question brûlante qu’ils posent aux citoyens et aux responsables politiques que nous sommes est tout simplement : voulons-nous vivre dans une Europe sans âme ?
Nous devons entendre cette interpellation. L’idée même d’Europe, ce sont d’abord des générations d’écrivains, d’artistes et d’intellectuels qui l’ont défendue. Ce sont eux qui ont eu le courage et la lucidité de vouloir l’union des peuples au moment même où ils s’entredéchiraient. Aujourd’hui, nous devons prêter attention à ceux qui sont leurs héritiers, et nous montrer nous-mêmes dignes de cet héritage.
Si nous sommes interpellés aujourd’hui, c’est parce que l’Europe arrive à un moment clef de son histoire, qui engage son avenir comme terre de culture et de création. Au plan économique évidemment, parce que l’Europe vient d’affronter une crise dont nous sortons à peine et parce que cette crise a eu des conséquences désastreuses sur le financement de la création partout en Europe. Au plan technologique, parce que l’irruption du numérique bouleverse, dans tous nos pays, les modes de diffusion mais aussi de production et de création. Au plan politique enfin, parce nous courons le risque de voir, lors des prochaines élections européennes, une poussée de forces populistes qui sapent l’idée même d’Europe.
Face à ces risques, nous ne devons pas céder à la lassitude européenne. Nous devons affirmer notre volonté de renouer avec ce qui est au cœur du projet européen et de son ambition politique. Nous en sommes convaincus : c’est d’abord à travers la culture que se définit la conscience européenne. C’est d’abord à travers la culture que l’Europe est une réalité vécue aux yeux de ses citoyens et une source de fierté pour ses peuples. Et aujourd’hui encore, c’est dans cette Europe-là que les Européens pourront se retrouver. Face aux difficultés, alors que règne la tentation du repli, la culture seule peut réunir, la culture seule peut être le lieu d’une solidarité renouvelée entre Européens.
Pour cette raison, la culture ne saurait être une variable d’ajustement dans la crise. Ne l’oublions pas : les secteurs créatifs sont pour l’Europe un atout majeur dans une économie mondiale fondée sur l’innovation et la créativité. De nombreuses études l’ont démontré : en Europe, la culture crée de l’activité, la culture crée de l’emploi. Selon la Commission européenne, les industries culturelles et créatives représentent 3,2 % du PIB européen et 6,7 millions d’emplois sur le continent. La culture est un secteur dynamique, tourné vers le risque et la création, un secteur dont le besoin d’innovation entraîne bien d’autres secteurs à sa suite. Il nous faut encourager ce dynamisme par des politiques volontaristes.
La révolution numérique offre des opportunités immenses pour rendre les œuvres plus accessibles, rapprocher les artistes et leur public, développer de nouvelles formes de création. Mais elle ne doit pas aboutir à la concentration des modes de diffusion et à la possibilité pour les géants du numérique de s’ériger en gardiens d’accès. L’enjeu est de taille : il s’agit de garantir la diversité de l’offre culturelle dans le domaine numérique, et d’éviter ainsi le risque d’uniformisation. Nous avons la responsabilité de faire en sorte que le numérique reste cette chance formidable donnée à toutes les cultures du monde pour s’exprimer et exister.
Pour cette raison, nous, ministres européens, proposons de définir une stratégie culturelle à l’ère numérique, afin d’inscrire la culture au cœur de l’agenda du prochain Parlement européen et de la prochaine Commission. Au moment où les électeurs européens s’apprêtent à renouveler le Parlement, le temps est venu pour l’Union européenne d’enfin reconnaître la culture comme un enjeu central des politiques qu’elle conduit. C’est une condition pour que le projet européen puisse renouer avec son ambition politique et réaliser, par le partage des cultures, sa promesse d’union des peuples.
Monsieur Jorge BARRETO XAVIER, secrétaire d’Etat à la culture, République du Portugal,
Monsieur Šarūnas BIRUTIS, ministre de la culture, République de Lituanie,
Madame Aurélie FILIPPETTI, ministre de la culture et de la communication, République française,
Monsieur Dario FRANCESCHINI, ministre des biens et activités culturelles et du tourisme, République d’Italie,
Madame Monika GRÜTTERS, ministre de la culture et des médias, République fédérale d’Allemagne,
Monsieur Uroš GRLIC, ministre de la culture, République de Slovénie,
Monsieur Costas KADIS, ministre de l'éducation et de la culture, République de Chypre,
Madame Dace MELBĀRDE, ministre de la culture, République de Lettonie,
Madame Fadila LAANAN, ministre de la Culture, de l'Audiovisuel, de la Santé et de l'Égalité des Chances de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Belgique,
Monsieur Ivan Ivan SEČÍK, secrétaire d’Etat à la culture, République de Slovaquie,
Monsieur Petar STOYANOVICH, ministre de la culture, République de Bulgarie,
Monsieur Bogdan ZDROJEWSKI, ministre de la culture et du patrimoine, République de Pologne,
Madame Andrea ZLATAR VIOLIĆ, ministre de la culture, République de Croatie.