À l’occasion de ce dîner confraternel organisé par L’Humanité, il est
d’usage de citer son illustre fondateur Jean JAURES, dont nous avons
célébré le 150ème anniversaire l’an passé….Je me prête donc volontiers à
l’exercice en faisant mienne l’une de ses célèbres citations: « l’abondance
est le fruit d’une bonne administration ».
En effet, comme vous le savez, l’Etat est depuis longtemps engagé, à
préserver et accompagner le développement de ce pilier de la vie
démocratique qu’est la presse d’information. Ce soutien, l’Etat l’a encore
confirmé à l’issue des Etats généraux de la presse écrite, avec la mise en
oeuvre d’un plan massif et exceptionnel. Le secteur se relève aujourd’hui,
difficilement, mais avec énergie de la plus grave crise qu‘il ait traversé au
cours des cinquante dernières années.
Pour autant, la relation si singulière qu’entretiennent la Presse et l’Etat
dans notre pays ne manque pas de créer des interrogations, des
crispations, voire des soupçons…. Mais Hubert BEUVE MERY n’avait-il
pas l’habitude de rappeler que « le journalisme, c’est le contact et la
distance » ?
C’est dans cet esprit que je souhaite devant vous évoquer le rapport de la
mission CARDOSO qui m’a été remis hier. Il est consacré à l’un des points
de contact les plus tangibles que la presse entretient avec l’Etat. Je parle
évidemment des aides à la presse. C’est pourquoi j’accorde la plus grande
importance à ce rapport, qui à l’instar de BEUVE MERY a l’immense mérite
de rechercher le juste équilibre entre « contact et distance ».
En 2009, après les Etats généraux, certaines aides ont été réformées et
d'autres ont été crées, pour redynamiser la presse et lui donner les moyens
de s'adapter aux changements auxquels elle doit faire face. A cette fin, des
moyens financiers exceptionnels ont été mobilisés par mon ministère
depuis 2009.
Pour sauver la presse dans une période de crise profonde, des réformes
étaient nécessaires. Nous les avons engagées. Mais elles n'ont pas
modifié sur le fond l'organisation des aides. Elles ont par contre ajouté de
la complexité qui donne prise à des critiques, à des soupçons sur la façon
dont l’Etat administre ces aides.
Paradoxalement, si la légitimité des aides publiques à la presse a ses
détracteurs, elle commence à trouver un écho à l'étranger dans un
contexte de crise planétaire. Protéger les moyens d'expression et le
pluralisme de l’information, garantir le principe de neutralité : ce sont les
objectifs que le gouvernement français continuera à défendre. Les craintes
d'une menace qui pèserait sur l'indépendance de l'investigation en cas
d'intervention publique doivent être levées.
L’aide publique doit aussi être un catalyseur de changement. Or le
dispositif actuel est le fruit d’une sédimentation historique de mesures. Le
laisser en l’état, c’est courir le risque de voir différées des réformes
pourtant indispensables - tout particulièrement face aux enjeux de la
révolution numérique.
Ce rapport fixe un cap : celui d’une intervention plus efficace des pouvoirs
publics, notamment dans la perspective du dispositif mis en place à l’issue
des Etats généraux. J’en partage les principales analyses, et je compte
étudier très rapidement, avec François BAROIN, en lien avec les
professionnels concernés, les principales propositions.
Fort heureusement les Etats Généraux ont eu la sagesse de ne pas se
conclure uniquement par la distribution de nouvelles enveloppes ou
l’ouverture de nouveaux « guichets ». Les orientations prises en 2009 par
le Président de la République nous permettent d’apporter des réponses
globales et fortes pour l’ensemble du secteur.
Le gouvernement a assumé pleinement son rôle: avec vous il a identifié les
grands enjeux industriels du secteur. Je pense à la distribution de la
presse, à la révolution numérique, à la reconquête du lectorat et de la
confiance du public. Il a fait jouer les leviers budgétaires permettant de
favoriser l’investissement, avec la création d’un fonds de développement
aux services de presse en ligne ; avec la création d’une aide structurante
au portage ; avec des dispositifs de soutien à la vente au numéro ainsi qu’à
la formation professionnelle. Il a également favorisé la régulation, en
instituant un nouveau cadre juridique pour la gestion des droits d’auteur
plurimedia voté en juin 2009.
Mais c’est dès à présent à « l’après-Etats généraux » qu’il faut nous atteler,
afin de poursuivre la refondation économique qu’ils ont annoncée.
Si nous voulons que la contribution publique à cette refondation soit
déterminante, il faut qu’elle soit organisée sur des bases solides,
vertueuses et irréprochables. Le paysage complexe des aides à la presse
ressemble aujourd’hui à un maquis. En l’état, il ne permet pas d’élaborer et
de conduire une stratégie globale en direction du secteur.
Il s’agit donc de réviser les modalités de cette contribution afin de la
renforcer. A ce titre, je souhaite que les aides publiques à la presse
retrouvent l’élan citoyen qui a permis leur mise en place depuis la
Libération. Je n’ignore pas non plus qu’elle doive en même temps
s’adapter aux exigences nouvelles de notre époque, et répondre aux défis
de l’avenir.
Ce qu’il nous faut viser ensemble, c’est l’inscription du pluralisme
démocratique de la presse dans la durée. Pour cela, il est nécessaire que
ses entreprises puissent atteindre à moyen terme une autonomie financière
réelle qui ne les obligent plus à faire appel aux subventions publiques.
Entendons-nous bien : Il ne s'agit ici en aucun cas d'un désengagement de
l'État. Ce vers quoi nous devons tendre, c’est une intervention de l’Etat qui
puisse jouer pleinement son rôle de levier. Ce vers quoi nous devons aller,
ce sont des entreprises d’information fortes, indépendantes et donc
capables d’enrichir fortement le débat démocratique.
C’est bien l’esprit des dispositifs installés pour trois ans à l’issue des Etats
généraux. Je souhaite qu’un forum rassemblant les représentants de l’Etat
et les professionnels de la presse puisse se réunir en octobre. Je veillerai
personnellement à son installation.
Ce forum aura notamment pour mission de définir dans l’année qui vient
les modalités d’application des mesures de la mission CARDOSO qui
seront finalement retenues par le gouvernement.
Je voudrais citer quelques unes des mesures phares qui sont proposées
dans le rapport extrêmement bien documenté et argumenté que vient de
me remettre Aldo CARDOSO :
- la généralisation du principe de contractualisation des aides sur la
base d’engagements mesurables, reprenant le principe des conventions
cadres signées depuis mars 2010 avec les bénéficiaires du Fonds de
modernisation de la presse (FDM) et du fonds d’aide aux services de
presse en ligne (SPEL) ;
- la création d’un fonds stratégique réunissant les aides directes aux
éditeurs ;
- l’installation d’un nouveau pilotage des aides complété par une
instance de contrôle et de validation indépendante et renforcée. Cette
instance devra garantir la transparence et l’efficacité et la neutralité de
l’intervention publique.
Le mode de fonctionnement proposé pourrait ainsi permettre un dialogue
plus serré entre l’Etat et les éditeurs bénéficiaires. Il serait aussi plus
souple : l’Etat pourrait ainsi fixer chaque année les priorités de son
intervention en accord avec les besoins réels du marché.
Le nouveau Fonds stratégique proposé par la mission CARDOSO entend
fusionner une dizaine de dispositifs actuels. Il ne concernerait que les aides
directes aux éditeurs.
Les aides au pluralisme, notamment le fonds d’aide aux quotidiens à
faibles ressources publicitaires, n’entreraient pas immédiatement dans le
périmètre du fonds stratégique. Il s’agit de garantir de la clarté et de la
lisibilité.
Dans cette perspective, j’accorde une importance particulière a la question
de la distribution.
Dans le cadre de sa mission, Aldo CARDOSO en a fait, à juste titre, l’un
des quatre axes fondamentaux de son rapport.
Le gouvernement a agi dans ce domaine. Il s’est engagé à vous
accompagner.
Je salue par ailleurs la mobilisation de la profession. Elle a manifesté
engagement et détermination quant aux évolutions envisagées du Conseil
Supérieur des Messageries de Presse (le CSMP) ou dans
l’accompagnement au plan de redressement de PRESSTALIS.
Je veillerai à ce que toutes les préconisations du rapport METTLING soient
mises en oeuvre le plus rapidement possible. Grâce au concours du groupe
des éditeurs de presse et du groupe Lagardère, un appui financier
indispensable a été apporté afin de garantir la pérennité de la messagerie.
L’Etat a pris toute sa part afin de préserver les équilibres dans la
distribution des quotidiens nationaux. Le gros de l’orage PRESSTALIS est
désormais derrière nous. Les nuages ne sont pas pour autant dissipés. Le
gouvernement reste pleinement engagé, à vos côtés, afin de poursuivre les
réformes nécessaires annoncées au mois de mai.
Ces réformes impliquent notamment la réorganisation du réseau de
dépositaires et l’établissement de nouvelles normes professionnelles. Elles
doivent faciliter le travail de tous les agents de la vente. Elles devront
inévitablement être complétées un renforcement de la régulation
professionnelle du système. Le Conseil Supérieur des Messageries de
Presse (CSMP) doit disposer des moyens appropriés, sans qu’il soit porté
atteinte aux principes coopératifs auxquels la profession reste très
attachée. Cette préoccupation, je la fais mienne.
La réforme envisagée permettra au CSMP de disposer de réels pouvoirs
de décision qui s’imposeront à toute la profession. Ses missions générales
seront redéfinies, ses compétences renforcées. Une instance
indépendante viendra en renfort du CSMP afin d’’assurer le respect des
équilibres.
Plus largement, une reflexion sur les fondements et la modernisation de
l’intervention publique s’impose
Comme le souligne Aldo CARDOSO, il importe de passer d’une « logique
visant à aider des acteurs et une industrie, à une logique dédiée à
l’accompagnement d’une fonction - celle d’informer - et à une démarche » -
celle de l’innovation permanente. C’est cet esprit, résolument tourné vers
les contenus et les publics, qui guide mon action en faveur de la presse au
ministère de la Culture et de la Communication.
Cette formule s’avère particulièrement appropriée à l’heure de la deuxième
phase des Etats généraux, dans laquelle nous entrons de plain-pied. A
l’heure de la convergence multimedia et de la dématérialisation de
l’information, il s’agit de vous donner les moyens d’adapter des contenus,
des métiers et des pratiques. En d’autres termes de faire de la
numérisation une chance et non un épouvantail.
Ce n’est pas seulement l’outil industriel ou le réseau de distribution
physique de la presse qu’il faut mettre en ordre de marche. Il faut aussi
veiller à ce que la créativité et l’inventivité, confrontées aux
bouleversements de l’ère numérique, ne s’épuisent pas et se réinventent.
C’est bien parce que la question de l’évolution des contenus et des
pratiques professionnelles est essentielle que nous sommes résolument
intervenus dans ce domaine. Nous avons agi à trois niveaux :
1. la clarification des conditions d’exploitation des contenus plurimedia
à travers la loi de juin 2009 ;
2. le soutien au développement des services de presse en ligne avec la
création d’un nouveau fonds spécifique ;
3. enfin l’évolution des moyens consacrés à la question essentielle de
la formation professionnelle.
Le succès du fonds d'aide aux services de presse en ligne n'est plus à
démontrer. Le nombre de dossiers déposés depuis la mise en place du
dispositif, tant par les éditeurs de presse papier que par les nouveaux
acteurs du numérique, en témoigne.
Je tiens d’ailleurs à saluer particulièrement la diligence de mes services qui
ont su s'adapter à l’augmentation croissante des demandes.
Bien sûr, rien n'est parfait. Les efforts déployés auprès de Bruxelles par le
gouvernement français pour que taux de TVA de la presse numérique soit
aligné sur les taux réduits de la presse papier doivent notamment être
poursuivis. Sachez que je demeure attentif à cette évolution légitime et
nécessaire.
L'accès aux nouveaux médias est la « nouvelle frontière » de notre
politique. Je tiens à saluer l'initiative de la presse quotidienne nationale en
faveur du lancement d'un kiosque numérique. Cette initiative témoigne
d’une volonté affichée et d’une ambition partagée : fédérer l'ensemble des
acteurs, revaloriser les contenus d'actualité, développer les modèles
économiques innovants.
Puisque cette nouvelle révolution technologique – une de plus dans cette
profession – bouleverse les pratiques et les métiers des journalistes, j’ai
souhaité associer mon ministère à la Conférence Nationale des Métiers du
Journalisme, qui se tiendra les 29 et 30 septembre à Paris. Elle sera
placée sous le patronage conjoint de Valérie PECRESSE, ministre de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et de Laurent WAUQUIEZ,
secrétaire d’Etat en charge de l’Emploi. Ce triple parrainage montre l’intérêt
que le gouvernement porte à cette question.
C’est la première fois que la profession se réunit autour d’une même table
afin d’envisager l’avenir de la formation professionnelle des journalistes.
Une visibilité et une lisibilité plus grandes sont indispensables. C’est un
enjeu pour les journalistes et pour les éditeurs d’aujourd’hui. C’est aussi un
enjeu pour ceux de demain. Je souhaite que votre profession, dans toute
sa richesse, dans toute sa diversité, y participe activement.
Dans l’ambition d’une « culture pour chacun » qui anime mon action rue de
Valois, il y a la volonté de cueillir toutes les promesses de l’âge numérique.
Notre exigence en terme de contenus doit être intacte afin de favoriser
l’accès de chacun à une information claire et accessible, quelles que soient
ses origines, ses horizons sociaux et culturels, quel que soit son lieu de
résidence, quel que soit son âge aussi.
Je pense notamment aux jeunes. Ils sont les lecteurs de demain, ils sont
l’avenir de la presse dans notre pays. C’est à leur attention que nous avons
lancé collectivement l’opération « Mon journal offert », qui s’avère un
formidable succès, avec près de 300.000 inscriptions de jeunes de 18 à 24
ans lors de sa première édition.
Sur le modèle de ce qui a fait son succès en 2009, il y aura donc une
« saison 2 ». Elle sera lancée à la mi octobre, pour la période 2010-2011.
La reconquête des lecteurs, y compris les plus jeunes, passe par une
exigence d’éthique professionnelle. C’est une ambition à laquelle le projet
de code déontologique proposé par Bruno FRAPPAT devrait participer
activement. Je note malheureusement que nous fêtons ces jours-ci son
premier anniversaire et que la profession ne s’en est toujours pas
emparée. A nouveau, je ne peux que vous encourager à vous rassembler
autour de ce texte. Vous ne pouvez pas passer à côté de cette chance
historique d’affirmer vos valeurs, à l’heure de la démocratisation de masse
de l’information, Vos lecteurs ne le comprendraient pas !
Enfin, je voulais vous dire très simplement l’attention que je porte à la
préservation d’une presse pluraliste, libre et indépendante. En vous
rappelant cela, je pense aux combats de Jean FERRAT pour la liberté, au
combat du poète auquel la FETE DE L’HUMANITE rend hommage cette
année, au combat de l’insoumis qui chantait : « fermez vos grilles, fermes
vos cages, la liberté est en voyage ».
Cet engagement contre toutes les formes de censure et d’intolérance, c’est
aussi le nôtre aujourd’hui, celui que nous menons pour la libération d’Hervé
GHESQUIERE et Stéphane TAPONIER. Ce soir, j’ai une pensée pour
eux, leurs proches et leurs familles.
Discours
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l'occasion du « Dîner presse », Fête de l’Humanité
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de laCommunication, prononcé à l'occasion du « Dîner presse », Fête del’Humanité
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