L’existence est riche en surprises et heureusement, de temps en temps, de
bonnes surprises. L’une de ces excellentes surprises, fut pour moi de
recevoir il y a sept ans déjà le Prix Roland-DORGELÈS, de la part de la
prestigieuse Association des Ecrivains Combattants, qui sont surtout des
écrivains militants, des militants de la langue française. Ils oeuvrent avec
passion pour la « défense et illustration de la langue française », pour
reprendre le titre du célèbre ouvrage de notre grand poète Joachim DU
BELLAY, dont nous célébrons cette année la mémoire à travers un
anniversaire, les 450 ans de sa disparition. Mais c’est aujourd’hui que la
surprise, le plaisir et l’honneur sont à leur comble puisque je me trouve
maintenant, grâce à vous et à d’autres personnalités éminentes de notre
République, sur le point de remettre moi-même, à mon tour, le Prix
DORGELÈS radio/télévision et de le faire à deux immenses professionnels
de la radio et de la télévision : Alain BÉDOUET et Laurent DELAHOUSSE.
Le Prix DORGELÈS est à mes yeux une distinction capitale parce qu’il vient
en soutien et pour ainsi dire en renfort de l’action que mènent le Ministère
de la Culture et de la Communication, et à travers lui le gouvernement de la
République, en faveur de la langue française. Et il le fait de la manière la
plus habile et la plus pertinente qui soit. D’une part, en récompensant et
donc en encourageant les amoureux de notre langue. D’autre part, en
mettant en lumière le caractère essentiel du bon usage en particulier dans
les médias audiovisuels. Car, nous le savons tous, ce sont là des lieux de
référence et d’influence pour un grand nombre de nos concitoyens, à une
époque qui, par bien des aspects, s’apparente à ce que l’on a pu appeler la
« société du spectacle ». Or précisément, le maintien et la promotion de la
qualité de la langue française est une forme de saine résistance aux dérives
qui sont toujours possibles dans ce type de société et qui requièrent notre
constante vigilance.
La technologie ne doit pas être un alibi aux tentations de baisser la garde :
quels que soient les supports, la langue française doit rester notre partage
c’est-à-dire non seulement notre héritage, mais aussi ce qui nous permet de
faire corps ensemble, d’échanger, de dialoguer et finalement elle est l’un
des grands creusets de notre identité nationale.
Pour les jeunes générations – et je suis heureux d’accueillir une classe de
lecture du collège Roland DORGELÈS du 18e arrondissement de Paris –
c’est Internet qui, de plus en plus, prend l’avantage. Et peut-être le jury du
Prix DORGELÈS aura-t-il à coeur de créer quelque jour un nouveau prix
concernant le bon usage du français sur la Toile. Ce serait, je crois, le 10e
Prix que vous remettriez et une belle incitation au bien parler et au bien
écrire.
Mais en attendant, je me tourne vers les deux lauréats de cette année, un
excellent millésime je dois dire !
Cher Alain BEDOUET,
« Épuise, ô mon âme, le champ du possible » : cette magnifique
exclamation de PINDARE, reprise par NIETZSCHE et par Paul VALERY,
que vous avez choisi de placer au seuil de votre « Blog » – ou, pour suivre
la commission de terminologie, votre « Bloc-notes » sur Internet –
témoigne à elle seule de votre ambition d’homme de radio. De fait, vous
avez à coeur d’explorer tous les sujets possibles et de faire participer tous
les intervenants et tous les publics, dans votre célèbre émission du
« Téléphone sonne », sur FRANCE INTER.
C'est d'abord le titre de cette émission que j’ai toujours trouvé
particulièrement heureux. Car c’est à la fois une phrase de la vie
quotidienne et en même temps, avec l’utilisation du présent de vérité
générale, comme le disent les grammairiens, une manière de montrer que
vous êtes toujours à l’écoute, toujours à l’affût des appels, des questions,
des interrogations des auditeurs. En un sens, la radio elle-même se met à
écouter ses auditeurs, elle inverse le sens de l’échange et crée ainsi un
dialogue vivant dont votre voix, votre pondération, votre qualité d’écoute –
justement – sont, pour chacun d’entre nous, les emblèmes. Bien sûr, on
pourrait dire maintenant, avec les téléphones portables, « Le téléphone
vibre », et cela rendrait aussi très bien l’émotion qui se dégage de ce
dialogue qui nous accompagne chaque soir, où que nous soyons. Ce titre,
chargé de toute l’émotion d’un appel dont on ne connaît pas encore la
teneur, vous permet une variété de sujets extraordinaire, à la mesure de
votre curiosité légendaire, cher Alain BÉDOUET, et de votre ouverture
d’esprit ! Vous passez ainsi au crible toute l'actualité, en mettant en
contact direct les auditeurs et les acteurs de terrain dans tous les
domaines, tous les gens qui comptent, tous ceux qui sont
« responsables », c’est-à-dire capable de répondre non seulement au
téléphone, mais aussi aux questions et aux critiques bien légitimes des
auditeurs, dans cette sorte de démocratie radiophonique que vous
incarnez à merveille. Nombre de thèmes ont récemment attiré mon
attention, et vous comprenez bien pourquoi : « Faut-il taxer les moteurs de
recherche comme Google ? », « Les médias sont-ils crédibles ? »…
Chaque jour le téléphone sonne pour interroger le « monde comme il va »
et tenter de saisir ses grandes mutations.
Votre voix chaleureuse, généreuse et accueillante que chacun a dans
l’oreille, manifeste toujours indissociablement le respect du public et celui
de la langue qui est en elle-même, porteuse d’humanisme et de liberté.
C’est pour cela, parce que vous représentez un exemple pour le service
public, que j’ai le grand plaisir, cher Alain BEDOUET, de vous remettre le
prix Roland-Dorgelès 2010, dans la catégorie « Radio ».
Je me tourne à présent vers le lauréat de la catégorie « Télévision ».
Cher Laurent DELAHOUSSE,
Vous savez que STENDHAL lisait, chaque matin, deux ou trois pages du
Code civil pour se mettre à l’école et au diapason du style le plus concis et
le plus efficace possible, le plus capable de donner une forme sensible à
ses passions. Je ne doute pas que vous ayez, en un sens, suivi ses
leçons, vous qui avez accompli de solides études de droit et qui savez
parfaitement allier la concision et la précision à la chaleur de
l’engagement citoyen. Ce sont ces deux exigences que vous réussissez à
maintenir ensemble avec naturel et comme sans effort, avec une aisance
dénouée de toute arrogance, qui vous ont permis de conquérir la place de
présentateur d’un journal télévisé suivi avec une grande fidélité et
beaucoup de satisfaction par des millions de téléspectateurs.
Votre parcours, qui vous a mené de RTL à LCI, puis à FRANCE 2 –
notamment dans Un jour, un destin, dans le 20H de fin de semaine, ainsi
que dans nombre d’entretiens avec des personnalités de premier plan –
ce parcours magistral a toujours été orienté par le souci du public. Vous
avez su faire évoluer le Journal pour l'ouvrir encore davantage sur la
société et en faire ce que vous appelez joliment « un laboratoire pour
l'information ». Votre popularité auprès des téléspectateurs est devenue
telle que vous faites partie, selon les résultats d’une récente enquête
d’opinion, des cinq journalistes préférés des Français : une popularité que
doivent vous envier beaucoup de responsables politiques, et qui repose
sur un lien de confiance que vous avez su créer au fil des années, en
particulier grâce à votre souci de la langue, d’une langue « claire et
distincte », comme disait DESCARTES, une langue sans apprêt qui
touche juste.
Comme Alain BEDOUET, mais avec votre style et votre personnalité bien
à vous, faits d’élégance et de retenue, vous avez ce respect du bon
usage, qui est à la fois un respect du public et un respect de soi-même,
une esthétique du bien parler et une éthique de l’information fiable. Cela
est bien sûr d’autant plus important que le journal télévisé représente – un
peu comme la prière du matin que constitue selon HEGEL la lecture du
journal – un rituel quotidien qui scande la vie de chacun des Français, à la
table desquels vous êtes, pour ainsi dire, convié en toute estime et en
toute amitié. Et vous vous montrez un convive d’excellente compagnie,
car vous avez su d’emblée trouver cet équilibre difficile entre inventivité de
formules nouvelles et respect des traditions, par une langue de notre
temps qui sache aussi se souvenir des meilleurs usages, qui en sont les
fondements et, comme on disait jadis, son génie propre.
Ce sont toutes ces qualités d’ambassadeur exemplaire de la langue
française auprès de nos concitoyens que vient récompenser ce prix
Roland-Dorgelès 2010, que j’ai le grand plaisir de vous remettre
aujourd’hui dans la catégorie « Télévision ».
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l’occasion de la remise avec l'Association des Écrivains combattants, du Prix Roland-Dorgelès à Alain Bédouet (France Inter) et à Laurent Delahousse (France 2)
Monsieur le Ministre, cher Philippe MESTRE,Monsieur le Recteur Chancelier de l’Université de Paris, cher PatrickGÉRARD,Mesdames et Messieurs les membres du Jury,Mesdames, Messieurs,Chers amis,
Partager la page