Chère Aline Bonetto,
Dans l’univers du cinéma, il y a des « ambianceurs » de génie. Décors et détails, matières, textures, autant d’éléments indispensables qui sont tout autant que la performance des acteurs, du compositeur, les costumes, l’éclairage, le scénario et l’alchimie du montage, la matrice des émotions du spectateur.
Ferrailles et eaux troubles : impossible d’oublier l’ambiance cauchemardesque de La Cité des enfants perdus, sorte de « Gotham City » de bric et de broc. Il y a aussi le Café des deux moulins, aux néons roses fraise tagada, les couleurs chaudes du Fabuleux destin d’Amélie Poulain, l’atmosphère surréaliste, à la fois violente et sépia, de Delicatessen, les bibelots, les ustensiles impossibles des films de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro. Ces univers, où les artifices nous racontent une histoire, vous en êtes la créatrice.
Ce sont les routes du monde qui firent votre formation : l’Italie, l’Afrique, de l’Algérie au Rwanda, l’Inde, le Népal, les Antilles. De ces voyages, vous récoltez une mosaïque d’objets, de couleurs, de styles architecturaux. Pour financer votre vie de globetrotteuse, vous multipliez les petits emplois : création de bijoux, fabrication de marionnettes, vous travaillez même sur des chantiers de peinture, en autodidacte, vous vous constituez une culture des matières, qui sera la marque de votre créativité.
Pendant un an vous suivez les cours de l’école des Beaux-arts de Versailles et commencez à travaillez dans la publicité. Durant trois ans, vous assistez le chef décorateur Jean-Philippe Carp, qui vous laisse une grande autonomie et vous donne l’occasion de développer votre pratique du métier.
En 1990, vous débutez dans le long métrage Delicatessen de Jeunet et Caro comme ensemblière. Leur univers émerveille l’amoureuse d’objets que vous êtes : pour leur film vous sillonnez les vides-greniers, en recyclant, en détournant les meubles et les objets du quotidien, pour donner une matière à leurs rêves, en créant, en innovant. Pour La Cité des enfants perdus, vous avez dû fabriquer, avec Jean Rabasse, le chef décorateur sur le film, des personnages chinois s’emboîtant comme des poupées russes. En 1996, le film remporte entre autres le César du meilleur décor.
On vous doit également les décors de Je m’appelle Victor de Guy Jacques et en 1993 ceux de Tombés du ciel de Philippe Lioret, où l’on retrouve tout votre talent pour ce métier complexe et exigeant qui allie la création, la gestion d’équipes et les compétences techniques.
Le critique littéraire Jean-Pierre Richard, dans ses Microlectures, avait repéré dans Le Rivage des Syrtes, la capacité de Julien Gracq à ne jamais donner au lecteur d’indications qui lui permettrait de dater le récit, de l’inscrire dans une période précise de l’histoire : à la différence de l’univers de Buzzati, les mystérieux véhicules du roman de Gracq peuvent être aussi bien lues, au gré des imaginaires de chacun, comme des voitures à cheval que comme des navettes futuristes. C’est avec le même soin, dans le registre visuel, que vous évitez dans vos décors de faire apparaître des objets qui risqueraient de trop déterminer historiquement les références du spectateur. Place aux datations d’ambiance plus générales, vaguement années 1940 comme dans Delicatessen ; place plutôt aux cohérences psychologiques, aux peurs, aux non-dits et aux manies des personnages – quitte à créer un non-décor, comme dans Je règle mon pas sur le pas de mon père de Rémy Waterhouse.
En l’an 2000, après avoir travaillé sur le film Madeline de Daisy Von Scherler Mayer, vous retrouvez Jean-Pierre Jeunet pour Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, pour lequel le décor constitue presque un personnage du film, tant il participe à la trame narrative. Avec Un long dimanche de fiançailles, toujours de Jean-Pierre Jeunet, vous obtenez à nouveau le César du Meilleur décor en 2005 ; encore avec lui, vous signez Micmacs à tire-larigot en 2009. Dans ces derniers opus, vous ne boudez pas votre plaisir d’utiliser tout ce que les nouvelles technologies du numérique peuvent offrir, et grâce auxquelles, faites-vous remarquer, « l’impossible d’hier a bel et bien disparu ».
En rendant hommage à une très grande décoratrice de cinéma, c’est aussi l’ensemble des métiers du 7ème art que je salue.
Pour vos univers déjantés à la douce folie, où le pittoresque sait devenir irrésistible, pour votre exceptionnel apport créatif à des œuvres qui sont devenues cultes, chère Aline Bonetto, au nom du Président de la République, nous vous faisons chevalier de l’ordre national du Mérite.
Chère Claude Gensac,
« Ma biche »,
Humour et distinction, talent et répartie – toujours prête à dégainer un vers de Molière ou frapper d’estocade le spectateur, par l’esprit et par le sourire.
Evoquer votre parcours, chère Claude Gensac, c’est revenir sur un demi siècle de triomphes sur les écrans et les scènes françaises, où le rire l’a emporté sur la tragédie et où le vaudeville populaire a pris le pas sur le cinéma d’auteur.
Vous aviez le choix, ce qui est bien rare dans le métier, et c’est le public qui a choisi pour vous. L’éternelle « ma biche », épouse à l’écran d’un Louis de Funès à jamais regretté, est aussi l’actrice de plus d’une centaine de films pour le grand et pour le petit écran, ainsi qu’une grande comédienne sur les planches, qui vous ont valu vos premiers applaudissements, en commençant par C’est moi qui aie tué le Comte, de Max Vierbo et Marcel Dubois.
Picarde d’origine, vous venez à Paris prendre part aux Cours Simon et intégrer le Conservatoire national supérieur d’art dramatique à l’âge de 20 ans. Vous en sortirez alors primée d’un 2ème prix de tragédie et d’un 1er accessit de comédie.
Comédies et tragédies, surtout tragédies, s’en suivent. Avec Horace de Corneille, Le Partage de midi de Claudel, les pièces de Jean Giraudoux, Jean Anouilh, Julien Bartet ou Jacques Audiberti dont vous incarnez sa Pucelle, vous arpentez répertoires classique et contemporain avec une intelligence et une exigence très remarquées. Par Sacha Guitry, par exempe qui, le premier, vous propose d’apparaître au cinéma, dans le rôle d’Evelyne, la jolie bonne de La vie d’un honnête homme. Hasard ou bel instinct, sûrement pygmalion pour l’image, Guitry vous fait jouer aux côtés d’un certain Louis de Funès qui incarne pour sa part le valet fourbe et obséquieux. Cela se passe seize années avant le début de la longue saga de Funès-Gensac.
Votre sens de la langue et votre physique de jeune femme irréprochable au sourire en coin vous projettent dans des rôles de figures historiques. On vous suit, revisitant les époques à travers la série télévisée du trio Lorenzi, Decaux et Castelot, La caméra explore le temps, tour à tour en Madame de Montespan ou en Marie-Louise, fioles de poison en main ou tiare posée sur votre chevelure.
En 1962, repérée par Walt Disney, vous vous essayez au doublage, dans le rôle de la méchante Reine dans Blanche Neige et les 7 nains.
Au théâtre, à la télévision, on vous retrouve en même temps sur les écrans de cinéma dans des rôles de grandes bourgeoises : vous tournez Comment épouser un premier ministre, de Michel Boisrond, Journal d’une femme en blanc de Claude Autant-Lara ou Les Sultans Jean Delannoy.
Pendant neuf ans, vous présentez l’émission « Au théâtre ce soir », véritable institution télévisuelle qui retransmet des pièces de théâtre depuis le Marigny ou Edouard VII. Ce rendez-vous télévisuel vous rapproche encore plus de votre public.
Lorsqu’on évoque avec vous la période de Funès, vous relevez souvent le hasard de votre rencontre. Et surtout la belle idée, de l’épouse de Louis de Funès, de vous réunir tous les deux à l’écran, après vous avoir vu jouer avec tant de brio dans une comédie de Feydeau.
Vous tournez en 1967 votre premier succès avec de Funès dans Les Grandes vacances de Jean Girault. La complicité avec lui est immédiate - la fluidité de vos rapports, les improvisations libres dans lesquelles de Funès vous entraîne, les fous-rires d’une prise à l’autre.
S’en suit Oscar d’Edouard Molinaro avec le triomphe que nous lui connaissons tous. La critique, unanime, vous érige « femme officielle des films à de Funès » et souligne la perfection de votre jeu, « comme à son habitude ».
« Je veux que tu joues dans tous mes films, tu me portes bonheur », vous demande de Funès. C’est la saga des Gendarmes qui débute. En Josepha, femme du maréchal des logis-chef Ludovic Cruchot, votre brushing impeccable tour à tour blond ou roux, vos robes Courrège trois-trous, et votre regard ourlé de khôl : vous devenez une formidable icône à la fois populaire et intergénérationnelle.
C’est l’époque des succès de comédie qui vous doivent tant, avec entre autres Jo, L’aile ou la cuisse, Hibernatus, Le chasseur de chez Maxim’s, La soupe aux choux. Et L’Avare, où votre duo réinvente Molière dans une adaptation cinématographique inoubliable.
La disparition de Louis de Funès en 1983 frappe tout le cinéma français. Pour vous, c’est un peu comme si Ginger Rogers perdait son Fred Astaire, Laurel son Hardy ou Sherlock Holmes son docteur Watson.
Vous retrouvez alors le théâtre, notamment sous la direction de Pierre Dux ou de Raymond Aquaviva. En 2008, vous illuminez la pièce Le Squat de Jean-Marie Chevret, et vous donnez la réplique à Jean-Pierre Castaldi dans La perruche et le poulet. Vos collaborations avec la télévision et le cinéma continuent à fleurir, comme la dernière en date, l’excellent De l’huile sur le feu de Nicolas Benamou, sorti au cinéma en 2011.
Avec plus de cent films pour le cinéma et une centaine de pièces de théâtre à votre palmarès, vous êtes, par votre exigence et votre remarquable talent, l’une des actrices françaises les plus aimées de tous. Le patrimoine cinématographique de la France est marqué de votre empreinte.
Chère Claude Gensac, au nom de la République française, nous vous faisons officier de l'ordre des Arts et des Lettres.
Cher Jean-Pierre Jeunet,
« C’est un peu Marcel Carné qui aurait vu Spielberg qui aurait vu Terry Gilliam qui aurait vu Sergio Leone ».
C’est ainsi que votre complice Marc Caro résume votre cinéma.
Les plus grandes « gueules » du 7ème art y évoluent dans des ambiances fantastiques et des ports de l’angoisse, où le glauque rencontre le merveilleux, où le bricolage devient industriel, où les monstres aux muqueuses acides et les chrysalides carnivores hantent les couloirs obscurs - histoires d’enfance entre l’enchantement et la peur, avec embouteillages de rêves, ressorts qui grincent, le goût pour le vernis et les nains de jardins en voyage.
Entre le jeu de mécano et le théâtre de marionnettes, vous avez jeté un pont imaginaire, pour y faire passer les histoires les plus extravagantes, entre le farce-et-attrape technique et une sensibilité romanesque rouge-baiser. Après Ridley Scott, James Cameron et David Fincher, c’est vous qu’on vient chercher pour le quatrième volet de la saga Alien. Finalement ce vert nucléaire vous va bien : c’est un peu votre signature lumineuse et puissante, reconnaissable entre toutes, au sein du cinéma français.
À 8 ans, vous êtes déjà affairé à construire un petit théâtre de marionnettes dont vous écrivez des histoires et faites les décors, en démontant les lampes de poche de la maison pour en faire l’éclairage, sans oublier de faire payer vos parents pour assister au spectacle. À 12 ans, c’est en projetant des diapositives sur votre « View Master », que s’exprime votre passion pour l’image. Puis viennent deux chocs esthétiques déterminants : Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, qui vous rend muet pendant trois jours, et Orange mécanique de Stanley Kubrick, que vous voyez quatorze fois au cinéma. De ces deux maîtres vous apprenez le sens de la narration, des mouvements de caméra insolites, l’art de la photographie, l’importance essentielle de la musique. Vous aimez aussi bien les contes, ceux de Perrault, par exemple, Prévert, les grands classiques comme Citizen Kane, M le Maudit, La Nuit du chasseur, qu’on retrouve en filigrane dans La Cité des enfants perdus, que les films d’animations de Jiri Trnka, Piotr Kamler, ou Bruno Bozzetto. D’ailleurs c’est en passant cinq ans comme homme à tout faire auprès de Manuel Otero, réalisateur de films d’animation, pour lequel vous portez les bobines, vous apprenez à utiliser le banc-titre, à gérer les factures, et à faire du montage, que vous découvrez la pratique du cinéma.
Les prouesses technologiques ne vous font pas peur. 17 minutes de trucages numériques dans La Cité des enfants perdus, contre 8 minutes Jurassic Park, reléguant le T-Rex de Spielberg au rang de « petit joueur ».
Avant de vous lancez dans la réalisation, vous écrivez sur le dessin animé dans des magazines comme Charlie Mensuel, Fluide Glacial ou encore Métal Hurlant. C’est au milieu des années 1970 que vous rencontrez Marc Caro, auteur de vidéos, de génériques, de ce qu’on appelle à l’époque les « nouvelles images », créateur de la revue Fantasmagorie, pour laquelle vous commencez à collaborer. Puis vous décidez de fédérer vos univers et vos énergies et travaillez ensemble sur un film d’animation.
Faux siamois, vous réalisez tous deux l’Evasion et le Manège, deux courts métrages avec des marionnettes animées. Durant plus de quinze ans, vous allez produire des œuvres bicéphales : à noter, dans votre filmographie, Le Bunker de la dernière rafale, en 1981, pour lequel vous passez un an à confectionner vous-mêmes les armes et les vêtements de vos personnages dans les moindres détails. Ingénieux, appliqués comme des enfants à coller leurs maquettes ou peindre leurs soldats de plomb, vous prenez un grand plaisir à raconter des histoires avec les moyens du bord. Pour contourner les problèmes financiers de Foutaises, vous inventez un nouveau langage cinématographique, où le spectateur se fait complice du narrateur.
En 1991, vous réalisez avec Caro votre premier long métrage : Delicatessen, une comédie grinçante, encensée par la presse, un chef-d’œuvre d’humour décalé et de poésie, dont l’imaginaire a été déclenché par votre fiancée qui, un jour alors que vous habitiez au dessus d’une charcuterie, et entendiez tous les matins des coups de hachoirs, a prononcé cette phrase : « Ce sont les locataires qui y passent ; bientôt ce sera notre tour ! ». Pour ce film, vous remportez quatre César et 17 récompenses, et son succès commercial vous permet de réaliser la sombre et déroutante Cité des enfants perdus, avec entre autres Dominique Pinon, Jean-Claude Dreyfus, Ron Perlman, Daniel Emilfork et Ticky Holgado, dans un melting pot ébouriffant des univers de Pinocchio, de Freaks et de La Nuit du chasseur.
En 1997, c’est Alien, la résurrection, et la grande aventure du monstrueux, de l’anatomique, de l’angoisse du grand autre, entre le fantastique et l’humour : « Mauvais genre », pour reprendre le beau titre d’une émission de Radio France.
Et puis Hollywood laisse la place à la butte Montmartre, et la méchante bête cède son premier rôle à une fille ordinaire qui arrondit les angles et illumine la vie d’un quartier : Amélie Poulain. Un casting génial : Audrey Tautou, Mathieu Kassovitz, Dominique Pinon dont vous ne pouvez plus vous passer, Isabelle Nanty en buraliste hypocondriaque, Jamel Debbouze en commis d’épicerie tendre et doux. Dans ce film, on retrouve toute votre affection pour Jacques Tardi, l’architecture de la ville et ses quartiers, ses couleurs, le métro aérien, les pavillons de banlieue et la poésie de Prévert, ou encore celle du « Petit bal perdu » de Bourvil. Il emporte un succès colossal : trente millions d’entrées dans le monde, dont neuf en France et quatre Césars. Et tant pis si les habitants de la rue Lepic vous en veulent.
Après l’inspiration, la maturité avec Un long dimanche de fiançailles, adapté d’un roman de Sébastien Japrisot : la mémoire de la Grande Guerre, et l’obstination de Mathilde à retrouver son amour perdu.
Dans votre dernier film, Micmacs à tire-larigot, fable humaniste, on retrouve votre humour et votre sens des effets complexes, qui donnent à votre imaginaire une texture qui nous est devenue si familière.
Douceurs candy et organes sanglants, machineries et peurs d’enfance, petite histoire et grande histoire : une recette unique dans l’histoire du cinéma.
Cher Jean-Pierre Jeunet, au nom de la République française, nous vous faisons Officier de l’ordre des Arts et des Lettres.
Chère Laetitia Casta,
« Sur ma Remington portative, J'ai écrit ton nom » - avec son e dans l’a. « Initials L.C.», pour celle qui fait la une des magazines Elle et Vogue.
Depuis le jour où le photographe Frédéric Cresseaux, de l’agence Madison, vous repère sur une plage de San Ambrogio alors que vous n’avez que 15 ans, c’est la mode qui va d’abord vous révéler.
Vous ne rentrez ni en hauteur ni en maigreur dans le moule certainement trop angulaire des mannequins : qu’à cela ne tienne, votre naturel, votre sourire malicieux et votre caractère font le reste et défient ces conventions. À cela, il faut rajouter les rencontres qui, dans le milieu carnassier de la mode, ont le pouvoir d’adouber ou d’ignorer.
Le premier à vous remarquer, c’est Jean-Paul Gaultier. Quant à Yves Saint Laurent, il fera de vous sa dernière égérie.
Vous passez tour à tour sous l’objectif des plus grands, comme Paolo Roversi, Peter Lindberg ou encore Dominique Issermann qui vous célèbre à travers une trentaine de photographies prises aux Thermes de Vals, et actuellement exposées à la Maison Européenne de la Photographie.
Défilant pour les plus prestigieuses maisons de couture à travers le monde, depuis Chanel jusqu’aux dessous signés Victoria’s Secret, vous rentrez dans le club convoité des tops aux côtés des plus grandes, avec Claudia Schiffer, Naomi Campbell, Linda Evangelista ou encore Christy Turlington.
Un autre Jean-Paul a choisi Laetitia. Pour ses campagnes des Galeries Lafayette, Jean-Paul Goude vous enveloppe d’un truc en plumes, vous métamorphose en jeune premier, ou en mariée de l’an 2000. À chaque saison, les Parisiens cherchent votre dernière incarnation au détour du métro ou d’un magazine.
Elue « femme la plus sexy » par le magazine Rolling Stone en 1998, vous gardez pourtant les pieds sur terre : « je ne suis belle que dans le regard des autres », et vous saluez au passage tous ceux qui préparent avec tant de professionnalisme ces clichés exceptionnels où vous posez, tour à tour naturelle, joueuse ou glamour. Il en ressort une photogénie unique, des clichés qui font la fierté de leur auteur, autant que de toute la famille de la mode. Au point d’incarner un nouveau classicisme, puisque vous avez prêté vos traits en l’an 2000 à notre Marianne, après notamment Catherine Deneuve ou Brigitte Bardot.
Après une première apparition à l’âge de 20 ans au cinéma en Falbala dans Astérix et Obélix contre César, vous vous lancez corps et âme dans les films d’auteur où vous vous confrontez à une exigence toute nouvelle. Une autre Laetitia Casta est en train de naître, incarnant des « êtres humains complexes, avec leur part d’ombre, de fragilité, de fermeture ».
Cela donne une filmographie qui explore tous les genres. Il y bien sûr la Bicyclette bleue de Thierry Binisti, où vous incarnez Léa, donnant des coups de pieds de rage avec vos chaussettes blanches dans les graviers, en devenant, avec le succès de cette série télévisée réalisée en 2000, une référence à l’image.
Cela donne aussi, entre autres, Rue des Plaisirs de Patrice Leconte où vous jouez une prostituée au grand cœur, Des âmes fortes de Raoul Ruiz, adapté du livre de Jean Giono et présenté hors compétition à Cannes, Errance avec Benoît Magimel ou encore Le grand appartement de Pascal Thomas, réalisateur qui dévoile le premier tout votre potentiel pour les comédies.
Vous prêtez également votre voix au doublage, comme avec Lorànt Deutch pour la version française du film d’animation Rio.
Plus récemment, on vous retrouve en romancière sombrant dans la folie dans le premier long métrage de fiction française en 3D filmé par Pascal Syd et Julien Lacombe, Derrière les murs, ou en mercière dans le dernier succès la Nouvelle Guerre des boutons de Christophe Barratier. Enfin, il y a cette apparition embaumant le Shalimar et le soufre, sur les accords légendaires d’Initials B.B. que vous jouez dans le premier film de Joann Sfar, Gainsbourg (vie héroïque), en troublante incarnation de Bardot. Le réalisateur réussit un pari doublement audacieux : évoquer le plus vraisemblablement possible la madone à la Harley Davidson, et révéler la réelle étendue de votre talent dans un rôle à la hauteur de votre beauté. Il en ressort une nomination aux César 2011 dans la catégorie meilleure actrice dans un second rôle.
Cette année, ce ne sont pas moins de quatre films où vous jouez qui sont annoncés, dont le film bulgare The Island, le nouveau film d’Yvan Attal, Humpday, ou encore Arbitrage, thriller américain où vous jouez aux côtés de Richard Gere et Susan Sarandon.
Depuis 2004, vous vous êtes également lancée sur les planches, en commenant par une reprise de cette pièce qui fit le succès de monstres sacrés du cinéma comme Audrey Hepburn et Isabelle Adjani. Avec Ondine de Giraudoux, vous subjuguez la critique. Jacques Weber, convaincu dès les essais par votre jeu, relève « qu’il y a quelque chose de brutalement vrai chez [vous] ».
C’est avec Florian Zeller que vous retournez au théâtre dans Elle t’attend. « Exigeante, ambitieuse, insoumise », dit de vous l’auteur : « c’est un cheval fou, viscéral, fragile », qui aime le risque et se confronter aux rôles les plus difficiles.
La naïade des eaux corses a déjà parcouru bien du chemin depuis les tapis rouges du monde entier. « Sous le soleil exactement », dans le cœur de tous les Français.
Chère Laëtitia Casta, au nom de la République française, nous vous faisons chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres.