Je suis très honoré d’être reçu ici, à la Résidence de l’Ambassadeur de Pologne, pour ce concert en hommage à Wanda Landowska. Dans l’histoire extrêmement riche des relations culturelles entre la France et la Pologne, nombreuses sont les personnalités d’exception, et notamment dans le domaine musical.
Je me suis rendu il y a quelques jours avec vous, M. l’Ambassadeur, à Saint-Leu-la-Forêt, où j’ai pris la mesure de la très forte implication de l’Association pour la sauvegarde de l’Auditorium Wanda Landowska, ainsi que de l’Institut Polonais, pour mettre en valeur ce patrimoine unique que représente le bâtiment qu’y fit construire l’artiste.
Pendant 17 ans, de 1927 à 1940, l’artiste polonaise y anima son école de Musique ancienne, elle y multiplia les enregistrements et les concerts. Un lieu où l’on redécouvrit, exhumée sous ses mains, l’intégrale des Variations Goldberg. Un lieu qui vit la naissance du clavecin moderne, où Francis Poulenc composa et créa le Concert champêtre.
Aujourd’hui, les ensembles de musiques de baroque sont florissants ; le répertoire de clavecin a été pleinement restauré, le métier de facteur de clavecin est revenu sur scène. C’est ce soir l’occasion de se rappeler tout ce que doit à Wanda Landowska la redécouverte du répertoire des XVIème et XVIIème siècles et la révolution de l’interprétation de la musique ancienne, qui aura connu une accélération peu de temps après sa mort il y a 52 ans.
Car il fallait une force de conviction hors du commun pour ressusciter un instrument enfoui dans les limbes de l’histoire de la musique, auquel elle consacre un premier récital en 1903 ; pour parvenir à convaincre Tolstoï, qui l’avait reçue, des richesses de l’instrument face à la domination du piano ; pour aller prêcher cette nouvelle parole jusqu’à Eisenach, la ville de naissance du Cantor de Leipzig, où les spécialistes de l’œuvre de Bach n’étaient pas nécessairement convaincus de la pertinence d’un retour aux instruments anciens ; pour enregistrer jusqu’au bout, à Saint-Leu, alors que tonnent les batteries les de D.C.A. tentant d’entraver l’approche des forces de l’Allemagne nazie, les sonates de Scarlatti – dont son élève Ralph Kirkpatrick établira plus tard le catalogue raisonné.
Au départ, il y a l’histoire d’une conviction : la musique pour clavier de Johann Sebastian Bach a été écrite pour le clavecin. Une révélation pour une pianiste de formation : non pas un engouement pour la « ferraille » ou pour les pianos à punaise, ni un fétichisme emperruqué pour l’ancien, mais une prise de conscience des potentialités de jeux, des articulations, des ornementations radicalement différentes que recèlent les claviers non dynamiques. Les compositeurs proches de Wanda Landowska, comme de Falla ou Poulenc, ne s’y sont pas trompés, en faisant renaître l’instrument à la création contemporaine – jusqu’à Maurice Ohana ou encore György Ligeti, dont Elisabeth Chojnacka connaît particulièrement bien les œuvres pour y avoir consacré des enregistrements remarquables.
Tradition et modernité, Bauhaus et clavecin : à Saint-Leu, Wanda Landowska, pendant l’entre-deux-guerres, avant de prendre la route de Banyuls et des Etats-Unis, aura montré qu’une autre Europe était possible. Je suis heureux d’être à vos côtés, Monsieur l’Ambassadeur, pour cet hommage que vous lui rendez ce soir.
Je vous remercie.