Depuis plus de vingt ans, on prête à Jean Monnet ces propos que l’on cite à l’envi : « si c’était à refaire, je commencerais par la culture ». L’a-t-il dit ? Non, il ne l’a jamais dit. C’est une incantation apocryphe, qui traduit chez ceux qui s’y réfèrent à la fois un désir et un regret, comme une arrière-pensée pour cette composante pourtant fondamentale de la citoyenneté européenne, trop souvent traitée comme un « supplément d'âme » sur lequel au fond il n’y aurait pas grand-chose à faire, puisque l'Europe de la culture a existé bien avant que les nations ne s’en mêlent.
À l’inverse, je voudrais partager une conviction, qui est la mienne, qui est celle aussi de mes principaux interlocuteurs à Bruxelles, les commissaires Neelie Kroes, Michel Barnier et Androulla Vassiliou, celle aussi de bon nombre de mes collègues du Conseil européen, comme le ministre de la Culture allemand, mon ami Bernd Neumann : la culture est une composante essentielle de l’attractivité de nos territoires, de nos économies aussi avec le dynamisme de nos industries culturelles, et d’une identité européenne dont on peut mesurer la force à l’extérieur de l’Union.
Et puis il y a toutes ces initiatives qui se concrétisent au niveau européen : les coproductions cinématographiques, les capitales européennes de la culture, Erasmus, la bibliothèque numérique Europeana, le label du patrimoine européen, la dynamique de nos festivals qui gagneraient à fonctionner plus en réseau, bientôt le programme « Europe créative » qui devrait rassembler les actuels programmes « culture » et « media » pour soutenir la mobilité des artistes et des professionnels de la culture, les projets culturels communs, la traduction des œuvres... C’est à la fois beaucoup et très peu.
Car les chantiers sont nombreux, qui engagent l'attractivité de nos territoires, le dynamisme économique, aussi, de nos industries culturelles : le cinéma, le livre, la musique, confrontés aux nouveaux modèles, encore instables, du numérique.
Permettre à de nouveaux acteurs européens d’émerger, comme c’est le cas par exemple pour la musique en ligne, garantir la diversité éditoriale et des détaillants pour le livre et notamment le livre numérique, soutenir la création, les artistes et les acteurs du monde culturel : tout cela implique une régulation au service de l’économie, de l’emploi, de l’irrigation de nos territoires par une offre culturelle plurilingue et la plus diversifiée possible - et non pas celui d’un marché intérieur où règneraient la course au rabais et une offre culturelle uniformisée.
Tant reste à faire dans tous ces domaines, où l’action des pouvoirs publics est souvent menacée, ces temps-ci, par les réductions drastiques des budgets nationaux. Sur ce point, la France a su se protéger des coupes sombres, et notre gouvernement a sanctuarisé le budget de la Culture et de la Communication. Mais il est à craindre que les coupes chez certains de nos partenaires aient un impact important sur le paysage européen de la culture. Dans ce contexte, la mobilisation de la société civile à un rôle majeur à jouer. Dans chacun de vos domaines, vous faites partie des relais indispensables pour une prise de conscience qui nous engage tous, afin de déjouer le risque d’une « Europe frigide », pour reprendre le mot d’Elie Barnavi.
Je vous remercie.