Permettez-moi tout d’abord de remercier le Président Cluzel d’avoir ouvert
les portes de ce très bel auditorium du Grand Palais à la 2ème Conférence
Nationale des Métiers du Journalisme (CNMJ). Mes félicitations vont à ses
participants pour leurs travaux qu’ils ont su mener avec persévérance tout
au long de l’année. Vous avez patiemment et méthodiquement poursuivi
les objectifs que nous nous étions fixés lors de la première Conférence
nationale en septembre 2010. Le maintien en alerte de la profession sur
les grandes questions liées aux évolutions capitales de la formation
professionnelle, l’encouragement à définir le cadre de la formation des
journalistes de demain, sont des engagements pris par la profession à
l’issue des Etats généraux de la presse écrite. Ce sont ceux que vous
portez avec beaucoup de mérite au sein de la Conférence nationale des
Métiers du Journalisme.
Le rythme soutenu de réunions organisées depuis un an et le contenu des
travaux, auxquels ont participé des représentants des ministères, ont
démontré la qualité et la hauteur de vue mises en oeuvre par les experts
réunis par la Conférence : éditeurs, journalistes, représentants des écoles,
chercheurs. C’est la première mobilisation de cette ampleur engagée par
les professionnels de l’information sur la question capitale de l’adaptation
de la formation au journalisme. Cette époque charnière est, je le crois, le
moment opportun pour que la profession se mobilise sur les enjeux liés à
la défense et à la valorisation des métiers du journalisme, parmi lesquels la
formation professionnelle joue un rôle déterminant.
1. Soutien du MCC et bilan des Etats Généraux
Au moment où la presse écrite, soutenue par l’Etat, prend résolument la
mesure de la révolution numérique, et que l’audiovisuel est en passe de
connaître des bouleversements similaires, les pouvoirs publics se doivent
d’accompagner la nécessaire adaptation du cadre pédagogique aux
nouvelles exigences du secteur. Je suis venu aujourd’hui vous adresser
mes encouragements, et réaffirmer mon soutien à vos travaux, avec
Laurent WAUQUIEZ et Xavier BERTRAND, dont je me réjouis qu’ils aient
également renouvelé leur engagement pour la deuxième année
d’existence de la Conférence. Il s’agit pour l’Etat d’être cohérent dans son
action d’ensemble en faveur de la presse, dont le seul objectif demeure la
préservation et le développement d’une presse de qualité, pluraliste et
indépendante.
Alors que nous avons déployé, depuis trois ans, un plan de soutien
exceptionnel destiné à accompagner la presse dans une phase de
profonde reconstruction, j’ai présenté hier un budget des aides publiques
au secteur qui confirme, en 2012, la poursuite de nos engagements pris
depuis janvier 2009.
Cet engagement s’est traduit par une augmentation considérable des
crédits consacrés aux aides publiques à la presse qui ont plus que doublé
au cours des trois dernières années. C’est une aide massive en faveur des
entreprises, des infrastructures commerciales et industrielles, en faveur de
toutes ses forces vives, notamment dans les rédactions. Cette enveloppe
budgétaire supplémentaire comprenait, entre autres, une contribution
exceptionnelle de l’Etat à l’Engagement de Développement de l’Emploi et
des Compétences (EDEC) conclu le 30 juin 2009. Ce plan en faveur de la
formation continue a permis d’engager plus de 7.000 actions de formation
entre 2009 et 2010. Au même titre que la création de la Conférence
Nationale des Métiers du Journalisme, comme la sécurisation de la
rémunération des journalistes pluri-media consacrée par la loi de juin 2009,
ou la création du fonds de soutien à la presse en ligne, cet EDEC participe
à un élan favorable en faveur de l’adaptation et du renouvellement des
compétences au sein des rédactions.
Tous les engagements pris par l‘Etat à l’issue des Etats généraux ont été
tenus. Les mesures relevant de la compétence publique, mises en oeuvre
entre 2009 et 2011, ont permis à la presse française de préserver ses
équilibres économiques considérablement fragilisés au moment où elle
traversait la crise la plus grave qu’elle ait connue depuis l’après-guerre.
Elles ont d’autre part permis d’accélérer sa migration vers un nouveau
modèle économique et de nouvelles organisations.
Un premier bilan des mesures prises à l'issue des États généraux a conduit
à conforter ces orientations dans le budget de l'année 2012, avec un
accompagnement plus efficace du secteur dans le cadre d'une
gouvernance rénovée. Le maintien des aides à la presse à un niveau
historiquement élevé est en effet assorti d’une réforme de la gouvernance
des aides à la presse écrite. Elle entrera en vigueur en janvier prochain.
Son objectif est d’améliorer l’efficacité de la contribution publique, de
permettre son adaptation permanente, en phase avec le rythme accéléré
des mutations du secteur, afin de ne jamais perdre de vue les vrais enjeux
de la profession.
Dans la fidélité aux principes qui fondent le dispositif français des aides à la
presse – la défense du pluralisme, l’indépendance des entreprises de
presse et des rédactions, la neutralité, la liberté du commerce et de
l'industrie -, cette réforme se traduit notamment par la création d'un nouvel
espace de dialogue entre la presse et l’État, qui dressera un bilan de la
gestion des aides au cours de l’année écoulée et débattra de ses
perspectives d’évolution stratégique.
Cette réforme se traduira par l'évolution immédiate de plusieurs aides
directes. C'est dans cet esprit, et après une concertation approfondie avec
l’ensemble du secteur, que sera créé un fonds stratégique pour le
développement de la presse. La création de ce fonds répond à la nécessité
d'une meilleure cohérence de certaines aides. Il sera consacré aux seules
dépenses d'investissement et fusionnera les deux principaux fonds
actuellement dédiés aux projets industriels et numériques.
Dans le cadre rénové des aides publiques à la presse, où les principaux
bénéficiaires et l’Etat s’engageront sur des objectifs contractualisés, j’ai
souhaité introduire un nouveau dispositif incitatif en faveur de la formation
permanente. Je veillerai en effet à ce que les conventions signées entre
l’Etat et les principaux bénéficiaires des aides portent également des
messages forts en termes de responsabilité sociale. À partir de 2012, des
bonifications sur la base du fonds stratégique seront accordées aux
entreprises de presse ayant engagées des efforts particuliers en matière
de respect des normes de qualité, par exemple dans les domaines du
développement durable, de la formation permanente, en particulier au sein
des équipes rédactionnelles, et enfin en matière d’engagements en faveur
de la diversité et la reconnaissance des minorités. Il s’agit là d’objectifs que
la presse et l’Etat partagent. La presse joue un rôle majeur dans l’évolution
de la société, et il était logique que les efforts consentis dans ces domaines
par les entreprises soient reconnus et valorisés, afin de créer un effet
d’entraînement positif qui bénéficiera à l’ensemble de la communauté des
éditeurs, et plus généralement à l’ensemble de ses collaborateurs.
Dans le contexte actuel de mutation des entreprises et d’évolutions
radicales des pratiques, la question de la formation professionnelle est
devenue un paramètre capital qu’il convient de placer en haut de l’échelle
de nos priorités. Car adapter les métiers du journalisme aux nouveaux
équilibres médiatiques et réinventer les pratiques éditoriales à l'ère du
numérique, c'est donner un sens à l'ensemble des réformes engagées
depuis trois ans et dont l’État s'est porté garant.
2. les deux chantiers de la CNMJ
Je connais particulièrement bien les défis et les difficultés du premier des
deux chantiers sur lesquels la Conférence a travaillé depuis un an, celui de
l’harmonisation des « référentiels » de la formation initiale. Il s’agit de
clarifier les critères d’excellence dans un dispositif trop morcelé qui dessert
l’orientation des futurs diplômés et finalement l’attractivité de toute une
profession.
L’enjeu de cette nécessaire clarification, nous le partageons dans le champ
des activités culturelles. C’est ainsi, qu’avec le ministère de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche, nous nous attachons à poursuivre les
collaborations entre les écoles supérieures culture et l’université, deux
mondes historiquement séparés en France. Cet enseignement doit pouvoir
se nourrir du contact avec le monde universitaire, comme celui-ci peut
s’enrichir du lien à des pratiques d’excellence. L’enseignement supérieur
culture participe désormais pleinement à la dynamique lancée par les
accords de Bologne, au bénéfice de ses étudiants.
Vous l’avez justement rappelé, monsieur le Président, dans votre
introduction au programme de la deuxième Conférence : « le journalisme,
c’est une profession et des métiers ». Dans un contexte où les pratiques
changent aussi radicalement, il était important de rappeler que les valeurs
sont intangibles, et qu’elles doivent même être réaffirmées. C’est pour la
plupart des journalistes professionnels un sacerdoce, et pour le grand
public, sa marque de fabrique, j’oserais même dire son « fonds de
commerce ».
La question que nous devons nous poser consiste ainsi moins à savoir qui,
des journaux papier, d'Internet, du téléphone mobile, ou des tablettes,
gagnera la bataille des supports dans cinq ans, mais plutôt de savoir de
quoi seront faits les contenus de demain et qui, dans dix ans, portera
encore à la connaissance des citoyens une information digne de ce nom,
des journalistes ou des « communicants » ?
C’est là où résident tout l’objet et l’intérêt de la CNMJ : rappeler d’une part
le rôle que peut jouer la formation initiale et continue dans la défense des
valeurs du journalisme, et d’autre part étudier puis proposer à la profession
les pistes d’adaptation et d’enrichissement de la formation professionnelle
des journalistes dans le respect des valeurs fondamentales d’un
journalisme consubstantiel à la vitalité démocratique.
L’idée du « passeport professionnel » rejoint ces préoccupations. J’ai
récemment lu qu’il fallait toujours se méfier des « idéologies » de
profession : « le bûcheron se présente bien sûr comme le meilleur ami de
la forêt et le journaliste comme le seul et unique gardien de la qualité de
l'information ». Si l’on n’y prend garde la crise et les certitudes où
s'enferment les uns peuvent encourager l’émergence de biens d'autres,
plus proches du métier de « communiquant » que de celui de journaliste.
Le premier moyen de lutter contre toute sorte de malentendus ou
d’ambiguïtés sur le rôle et la place du journalisme professionnel dans la
société française, c’est d’agir contre le risque de ne plus être suffisamment
entendu, et de se distinguer au milieu d’une offre massive d’information ,
presque assourdissante, venant de canaux de plus en plus diversifiés, dont
les réseaux sociaux ne sont pas les moins actifs. C’est pourquoi, je crois
que l’ensemble de la profession, éditeurs et journalistes, qu’ils soient issus
de la presse, de l’audiovisuel, ou des nouveaux acteurs du web, doit
réaffirmer, d’une seule voix, son attachement à un socle commun de règles
déontologiques partagées et connues du public le plus large. Le second
moyen, c’est de démontrer par la pratique que ces engagements se
traduisent bien par des actes concrets. A ce titre, il faut considérer l’idée du
« passeport professionnel » proposé par la Conférence Nationale des
Métiers du Journalisme comme un des outils opérationnels qu’il faut
absolument faire émerger en complément du code de déontologie.
Les débats qui ont prévalu tout au long des travaux du « comité des
sages » animé par Bruno FRAPPAT montre la voie, mais aussi la
complexité d’un sujet et la difficulté d’aboutir à une solution idéale.
J’ai reçu de la part des organisations professionnelles et des organisations
syndicales, et je les en remercie, la mise à jour de leurs codes et chartes
éthiques. La passion qui a animé ces derniers mois les discussions autour
d’un code déontologique unique et univoque, et la voie finalement retenue
par les différents acteurs, confirme combien la profession a conscience de
l’enjeu. Elle a aussi malheureusement révélé combien le débat est encore
enfermé dans une logique de défense alors qu’il faut en faire un objet de
conquête et de reconquête.
3. La diversité : une piste pour la 3ème conférence ?
Les chantiers actuels de la Conférence doivent être poursuivis, les
représentants de la profession s’en empareront je l’espère dans leurs
instances paritaires. Pour conclure, et puisque la Conférence s’est donnée
pour mission d’explorer des projets d’avenir pour la profession, et de
renouveler en permanence son programme, permettez-moi d’y contribuer
pour l’année qui vient. Je vous propose qu’elle s’interroge sur la place de
la diversité dans les medias français, et en particulier sur la manière dont la
formation au journalisme, dans les écoles ou tout au long de la vie permet
une meilleure prise en compte de la diversité de la société française.
C’est une question fondamentale qui touche à la cohésion sociale de notre
pays dont la Culture peut être considéré comme à la fois comme le ferment
et le ciment.
Si l'avenir de la presse peut sembler indécis à certains, il n’est pourtant
n'est pas aussi sombre qu'il y paraît. Le problème infiniment compliqué des
supports et des révolutions technologiques en cours est beaucoup moins
important que celui de l'existence et de la défense d’une profession et de
métiers. Et le fait de voir tous les professionnels se réunir et travailler
ensemble au sein de la CNMJ est un signe extrêmement encourageant
pour l’avenir du journalisme dont l’excellence et l’honneur dépendent de la
compétence, de l'indépendance, et aussi du courage. Permettez-moi à
cette occasion de saluer quelques-uns de vos confrères reporters qui, par
leur courage et leur engagement sur le terrain ont fait honneur à votre
profession. Je pense en particulier à Olivier SARBIL, blessé à Syrte,
Mohamad BALLOUT, Chris HUBY, et Patricia ALLEMONIERE, blessés,
eux aussi ces dernières semaines, en Lybie, en Palestine et en
Afghanistan.
« Le plus grand danger pour la plupart d'entre nous n'est pas de se fixer
des objectifs trop ambitieux et de ne pas les atteindre, c'est de se fixer des
objectifs trop modestes et de les atteindre »… Cette règle de vie que l’on
attribue à Michel Ange, figure magistrale de la Renaissance, pourrait être la
devise de la Conférence Nationale des Métiers du Journalisme que
j’encourage poursuivre ses travaux dans l’esprit d’ouverture et de partage
qui a prévalu à sa création.
Je vous remercie