Parce qu’ils sont des lieux habités, au sens fort qu’habiter prend désormais sous la plume de quelques géographes, les lieux patrimoniaux sont abordés sous l’angle de leur fréquentation. La présence de touristes arrivés du bout du Monde ou de résidents de proximité venus à pied donne vie au lieu. Mais habités, ces lieux le sont aussi hors présence, si l’on peut dire. De fait, ils sont aussi représentés, imaginés, aimés ou détestés parfois avant même d’y être venus, et ces impressions participent à la décision, beaucoup plus pratique, d’y être, ou non. Se posera alors la question du nombre, de la densité et de tous les traits, souvent plus implicites qu’explicites, dont est censée rendre compte l’expression de « sur–tourisme ». Rassurons-nous tout de même, dans la grande majorité des cas, les responsables des lieux patrimoniaux n’ont qu’une idée en tête : faire venir plus de visiteurs…
Parce qu’ils sont des lieux habités, ils doivent être considérés comme aménagés, structurés, « normés » par ou pour le patrimoine. Ils sont ainsi, et comme tous les autres, des lieux de rencontres. Rencontres entre les uns, les autres et les objets. Et, dans ce croisement, les objets ne sont sans doute pas anodins, pas disposés au hasard de propositions aléatoires. Leurs agencements résultent d’une pensée, d’un ordre, d’un projet. Qu’en pensent, qu’en disent les visiteurs, et comment ? Comment agissent-ils, et réagissent-ils, vis-à-vis de l’ordre patrimonial ? Vont-ils finalement le suivre et le valider, ou le contester, pourquoi pas jusqu’à sa ruine ?
Parce qu’ils sont des lieux habités, les lieux patrimoniaux sont ceux d’une autre rencontre, entre les visiteurs eux-mêmes. Pour une cohabitation heureuse, ces visiteurs devront se plier à d’autres règles, d’autres normes : celles en vigueur et connues de tous, plus ou moins, car acquises ailleurs, dans d’autres lieux, différents dans leurs modalités mais identiques dans leurs structures. Le respect qu’impose le passé, à l’occasion sacralisé par une dimension esthétique, structure cette société faite de visiteurs qui partagent les mêmes goûts, font les mêmes choix de destination et, ainsi, se renforcent eux-mêmes dans leurs convictions. Ou pas.
Bref, de ces multiples points de vue inspirés par la reconceptualisation de l’habiter, une question, parmi d’autres, traverse l’ensemble des travaux de ce numéro : que font les visiteurs aux lieux patrimoniaux qu’ils habitent ?
Créée en 2019, In Situ. Au regard des sciences sociales est une revue annuelle en libre accès éditée par la Direction générale des Patrimoines et de l’Architecture du ministère de la Culture. Fondée sur un socle ethnologique, la revue est centrée sur l’étude des questions patrimoniales comme phénomène social, culturel, économique et politique. Elle rassemble un comité scientifique pluridisciplinaire (historiens, juristes, économistes, anthropologues, géographes et conservateurs).
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