"Correspondances. Lire Angela Davis, Audre Lorde, Toni Morrison", rassemblent trois figures emblématiques de la pensée critique et de la littérature engagée. Les écrits mêlant politique, philosophie et poésie sont des sources d’inspiration majeures pour Elvan Zabunyan, historienne de l'art et professeure à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Ces trois femmes, par leurs parcours et leurs œuvres, incarnent un engagement profond en faveur de la jeunesse et de la transmission des savoirs. Angela Davis, dès son adolescence dans l’Alabama ségrégué, lutte contre le racisme. Philosophe à 25 ans, elle érige l’éducation publique en pilier de sa pédagogie. Audre Lorde, poétesse dès l'âge de 11 ans, trouve dans l'écriture un moyen de sublimer la douleur après la perte de sa meilleure amie et, à 16 ans, elle publie ses premiers textes. Plus tard, elle révolutionne les cadres éducatifs en créant des ateliers d’écriture inclusifs dans les écoles et universités. Quant à Toni Morrison, ses premiers romans, comme "L’Œil le plus bleu" (1970) et "Sula" (1974), sont dédiés à l'enfance et à l’adolescence, entre violences subies et quête de liberté.
"Ouvrir des chemins de réflexions, de prise de conscience, mais aussi d’espoir"
Claire Le Restif, directrice du Crédac, présente un projet artistique et intellectuel pensé par l’historienne de l’art contemporain Elvan Zabunyan, qui explore la "correspondance" entre l’art, l’histoire et la mémoire de l’esclavage, ainsi qu'entre des figures afro-américaines influentes comme Angela Davis, Audre Lorde et Toni Morrison. Ce projet, réalisé en collaboration avec des artistes contemporains, reflète des préoccupations politiques et sociales actuelles. La Directrice souligne que ce projet correspond à la vocation d’un centre d’art, qui se doit d’être "inclusif, expérimental tout en étant construit dans une perspective historique". Cette approche place l’art au cœur des réflexions sur des enjeux historiques comme le colonialisme et l’esclavage, tout en offrant aux artistes un espace d’expérimentation.
L’importance du travail d'ElvanZabunyan est mise en avant, notamment sa réflexion sur "l’histoire de l’art contemporain, le contexte colonial et l’héritage de l’esclavage", amorcée lors d’un cycle de conférences en 2014. Le projet cherche également à transmettre ces enjeux aux jeunes, car, comme le souligne Claire Le Restif, "la nouvelle génération doit pouvoir accéder à des modèles qui ont utilisé le savoir et l’histoire pour construire un monde plus juste".
L’évocation du rôle d’Angela Davis, invitée lors d’une conversation en novembre 2023, illustre la convergence entre art et activisme. Claire Le Restif espère que cette exposition ouvrira "des chemins de réflexions, de prise de conscience, mais aussi d’espoir", à travers l’art, la poésie et la musique, afin de "lutter contre les déterminismes" et contribuer à un monde plus équitable. Ainsi, le projet se veut à la fois artistique, pédagogique et politique, visant à mettre en dialogue les mémoires de l’esclavage et les luttes contemporaines, en utilisant l’art comme vecteur de transmission et de changement social.
L'exposition "Correspondances" s’articule autour de trois moments distincts
Le premier temps s'amorce à l’hiver 2024. Elvan Zabunyan plonge dans les archives des trois autrices, conservées aux États-Unis, à la Schlesinger Library de Harvard, au Women’s Research and Resource Center à Atlanta et à la Princeton University Library. Ces archives, riches de correspondances privées, de cartes postales, de poèmes inédits et de documents politiques, offrent une exploration intime et engagée de leurs pensées et combats.
Le mois de mars 2024, marque le deuxième temps. Une sélection de ces documents est partagée avec des élèves des collèges d’Ivry-sur-Seine et de Vitry-sur-Seine. À travers des ateliers d’écriture et de création, les collégiens, accompagnés de leurs professeurs et d’Elvan Zabunyan, sont invités à s’approprier ces textes et à les faire résonner avec leurs propres réalités. Les œuvres issues de ces ateliers sont exposées, non comme des œuvres artistiques traditionnelles, mais comme des fragments vivants d’un processus d’apprentissage et de transmission.
L’exposition se veut aussi un manifeste pour une éducation libératrice, capable de déconstruire les systèmes oppressifs tels que le racisme, le sexisme ou l'homophobie. Les créations des élèves révèlent la puissance de ce dialogue intergénérationnel, appuyé par la bienveillance et l’accompagnement de leurs enseignants.
Enfin, le troisième temps représente le travail de curatelle mené par Elvan Zabunyan et Claire Le Restif, directrice du Crédac, qui a permis de réunir des artistes contemporains dont les œuvres s’inscrivent en résonance avec les thématiques soulevées par Angela Davis, Audre Lorde, Toni Morrison. Parmi ces artistes, Paula Valero Comin, Mathieu Kleyebe Abonnenc et Annouchka de Andrade rendent hommage aux trois autrices, ainsi qu’à la cinéaste Sarah Maldoror.
D'autres artistes ouvrent de nouvelles perspectives, en laissant leurs œuvres dialoguer subtilement avec les archives et écrits des trois figures majeures. Les documents et archives visuelles provenant des deux côtés de l’Atlantique se croisent et tissent un maillage inédit de correspondances transcontinentales.
L’exposition s’enrichit de projections poétiques et le Crédakino se mue en salon littéraire, accueillant musiques et lectures, offrant une immersion totale dans cet univers intellectuel et artistique. Plus qu’une simple exposition, "Correspondances. Lire Angela Davis, Audre Lorde, Toni Morrison" est une véritable expérience de partage et de réflexion où l’art, l’engagement et la pensée se répondent dans un dialogue vivant et ouvert.
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