Une galerie pour Rodin, un musée pour aujourd’hui
Le musée des beaux-arts de Calais poursuit sa mue. Après la transformation du hall d’accueil en 2020 et la refonte du parcours permanent en 2023, il dévoile en 2025 une galerie entièrement consacrée à Auguste Rodin, comme une figure tutélaire de l’institution. Ce réaménagement marque une nouvelle étape dans la redéfinition du musée comme lieu vivant, lisible et accessible à tous les publics.
Rodin est ici chez lui. En 1885, il répondait à une commande municipale avec ce qui deviendra l’un des chefs-d’œuvre de la sculpture monumentale : Le Monument aux Bourgeois de Calais. L’œuvre marque profondément l’histoire de l’art comme la mémoire de la ville. À travers cette nouvelle galerie, le musée rend hommage à cet héritage, tout en l’inscrivant dans une dynamique contemporaine d’éducation artistique et culturelle, de proximité et de transmission.
La création de cette galerie a été nourrie de la richesse des échanges partenariales avec avec le musée Rodin : grâce à un important dépôt d’œuvres de la part du musée parisien, ce nouvel espace propose un regard sensible et documenté sur la genèse des Bourgeois de Calais et sur les relations entre l’artiste et la ville, tout en inscrivant l’œuvre dans une histoire élargie de la sculpture moderne.
La galerie Rodin : mémoire, modernité et muséographie renouvelée
Située au rez-de-chaussée, dans l’une des salles les plus nobles du musée, la galerie Rodin a été repensée de fond en comble. Baignée de lumière naturelle, elle accueille désormais plusieurs dizaines d’œuvres – bronzes, plâtres et pièces issues de la collection – dans une scénographie immersive et sensible. Le parcours suit un fil chronologique, en six thématiques claires, enrichies de focus narratifs, de dispositifs sensoriels et de dialogues avec d’autres artistes de la fin du XIXe siècle, comme Carrier-Belleuse ou Dalou.
Le propos dépasse l’hommage pour devenir un récit. On y découvre comment Rodin a façonné son art, ses liens avec Calais, mais aussi comment la collection du musée s’est reconstruite autour de lui après la Seconde Guerre mondiale. La figure d’Omer Dewavrin, commanditaire du Monument, et celle d’Alphonse Isaac, donateur éclairé, y trouvent également toute leur place.
Les Bourgeois de Calais : une œuvre fondatrice de la sculpture moderne, enracinée dans l’histoire de la ville
Commandé à Auguste Rodin en 1895, Les Bourgeois de Calais est aujourd’hui l’un des monuments les plus puissants de la sculpture française. Il commémore un épisode historique survenu en 1347, au terme d’un long siège de la ville par les troupes anglaises durant la guerre de Cent Ans. Selon la chronique de Jean Froissart, six notables calaisiens — Eustache de Saint-Pierre, Jean d’Aire, Pierre et Jacques de Wissant, Andrieu d’Andres et Jean de Fiennes — acceptèrent de livrer leur vie pour épargner les habitants, se présentant pieds nus, en chemise, la corde au cou, les clés de la cité entre les mains.
Ce récit d’un sacrifice collectif fut érigé en mythe patriotique par la IIIe République. En 1884, le maire de Calais, Omer Dewavrin, propose à Rodin de concevoir un monument pour en conserver la mémoire, avec le soutien du sculpteur Alphonse Prosper Isaac. La commande officielle est passée en janvier 1885. Rodin rompt alors avec la tradition du monument héroïque : au lieu d’un seul personnage dominant, il conçoit un groupe solidaire, presque sans hiérarchie, qui avance vers son destin tragique. Les figures sont grandeur nature, placées au niveau du sol, sans piédestal, dans une posture de dépouillement absolu.
L’artiste consacre près de dix années à ce projet, réalisant de multiples études préparatoires — nus, drapés, fragments anatomiques — qui témoignent de sa recherche de vérité expressive. Chaque figure possède une individualité psychologique forte : Eustache de Saint-Pierre, le plus âgé, marche en tête, résolu ; Jean d’Aire s’avance raidi, tenant les clés ; Jacques de Wissant hésite ; son frère Pierre semble se replier sur lui-même ; Andrieu d’Andres se couvre le visage de désespoir, tandis que le plus jeune, Jean de Fiennes, semble suspendu entre révolte et abandon. Ce traitement de la douleur intérieure et de la tension dramatique inscrit pleinement l’œuvre dans le langage du réalisme symbolique de Rodin.
L’ensemble est fondu en bronze en 1895 par Alexis Rudier et inauguré à Calais le 3 juin de la même année. À contre-courant du goût académique, cette œuvre suscite des débats vifs, mais marque une étape décisive dans l’histoire de la statuaire publique. Elle ouvre la voie à une sculpture plus libre, plus expressive, plus humaine. Le musée Rodin conserve aujourd’hui les nombreuses maquettes et études préparatoires, notamment dans ses réserves de Meudon.
Les Bourgeois de Calais constitue aujourd’hui l’un des sommets de l’œuvre de Rodin, un jalon majeur dans l’histoire de la sculpture moderne, et une matrice symbolique pour la nouvelle galerie Rodin du musée des beaux-arts de Calais, inaugurée en 2025.
Une politique culturelle au service du territoire
Le projet est soutenu activement par l’État, par la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Hauts-de-France. Il incarne les grandes priorités du ministère de la Culture : démocratisation culturelle, accessibilité universelle, égalité territoriale et valorisation des patrimoines.
Pensée comme un levier d’attractivité, la galerie Rodin permet d’ouvrir un nouveau regard sur la ville. Elle prépare l’ouverture prochaine de salles dédiées à l’histoire calaisienne, en coordination avec le service Ville d’art et d’histoire. Elle offre aussi un cadre adapté à l’accueil des groupes, notamment touristiques, dans une ville à la fréquentation estivale importante.
L’approche inclusive du musée se traduit par une médiation intégrée, sensorielle et intuitive : livrets-jeux, fiches thématiques, installations à manipuler, mais aussi formes de spectacles vivants légers et tout-terrain (chant, théâtre, marionnettes) dans les galeries elles-mêmes, pour renforcer la convivialité et l’appropriation des œuvres par toutes et tous.
La Commission régionale d’acquisition, une instance stratégique pour l’avenir des musées
La transformation de la galerie Rodin illustre également le rôle structurant de la Commission régionale d’acquisition et de conservation, instance clé du ministère de la Culture en région, dans l’accompagnement des mutations muséales. Pour Calais, elle a permis de consolider les choix scientifiques, d’orienter les dispositifs de médiation, et d’assurer la cohérence entre scénographie, collections et attentes du public.
La commission régionale d'acquisition incarne cette ingénierie culturelle que le ministère développe à travers le territoire : une expertise mobilisée pour soutenir les équipements patrimoniaux, garantir leur renouvellement, et faire du musée un lieu habité, au croisement de l’art, de l’histoire et de la citoyenneté.
Un musée généreux, un projet exemplaire
La nouvelle galerie Rodin s’affirme comme un modèle de mutation douce, exigeante et généreuse. Elle conjugue l’excellence patrimoniale à l’accessibilité pour tous, l’ancrage local à une ambition nationale. À travers elle, c’est tout un musée qui se réinvente, au service d’un territoire et de ses habitants.
L’inauguration de la galerie s’est tenue en présence d'Agathe Cury, sous-préfète de Calais, et de Christine Lancestremère, conseillère pour les musées de la DRAC Hauts-de-France, témoignant de l’engagement de l’État aux côtés de la Ville de Calais pour faire vivre et rayonner un patrimoine partagé.
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