J’ai appris avec émotion le décès de Daniel Abadie, commissaire d’exposition remarquable, autodidacte passionné et collectionneur original.
Né le 8 juillet 1945 à Courbevoie, l’enfance et la formation de Daniel Abadie témoignent déjà de son caractère irrévérencieux, de son audace et de son goût pour l’art. Lycéen, enthousiasmé par la philosophie que lui enseignait le professeur Pierre Morhange, il se passionne pour la poésie et édite en 1963 une revue dédiée, Strophes, avec notamment des textes de Max Jacob ou René Char. Après son baccalauréat, il délaisse les rangs de l’université pour poursuivre son activité intense de réflexion, de rencontre et de découverte dans tout ce qui touche à la poésie et à l’art de son temps.
En 1967, c’est le ministère de la Jeunesse et des Sports qui lui commande ses premières expositions, consacrées aux peintres Léopold Survage et Charles Lapicque. L’année suivante, il fonde la revue Art et Création. En 1969, il est nommé inspecteur au Centre national d’art contemporain et continue de mener de nombreuses expositions, participant notamment à la (re)découverte et à la reconnaissance de femmes artistes comme Dorothea Tanning et Marcelle Cahn.
Dès l’inauguration du Centre Pompidou en 1977, le directeur du musée Pontus Hultèn l’appelle à ses côtés et lui confie la première rétrospective française de Gerhard Richter puis une série d’expositions marquantes. Son exposition événement sur Salvador Dali en 1979 restera ainsi dans les annales du musée pour son record de 840 000 visiteurs. A partir de 1983, toujours au sein du musée national d’Art moderne, il devient directeur de la documentation et développe les collections de ce qui est aujourd’hui la bibliothèque Kandinsky.
En 1994, il prend la tête de la galerie du Jeu de paume récemment restaurée et remodelée et en fait un lieu d’exposition essentiel pour l’art contemporain, donnant une visibilité à la peinture et aux grandes figures de l'abstraction française, à contre-courant de l'esprit du temps.
Membre de son conseil d’administration à compter de 2007, Daniel Abadie aura aussi été un pilier de la fondation Dubuffet, faisant vivre l’œuvre et la mémoire d’un artiste unique.
Le grand public gardera en mémoire la longue liste de ses expositions marquantes. Son regard critique a permis de mieux comprendre des artistes majeurs comme Dali ou Pollock mais aussi de découvrir les travaux essentiels de jeunes peintres comme Olivier Debré ou Sam Francis. Toujours attentif aux héritages et filiations, sa transmission des dynamiques profondes de l’art contemporain a créé des liens entre plusieurs générations d’artistes et de publics.
Sa collection personnelle, exposée à son initiative au Lieu d’Art et d’Action Contemporaine (LAAC) de Dunkerque en 2019, reflétait bien son histoire intime avec l’art moderne et contemporain et son souhait de toujours mettre en lumière la vision singulière des artistes. Ses écrits et analyses de l’œuvre de Jean Dubuffet font toujours référence, signe de la qualité de ses textes critiques qui cherchaient à explorer en profondeur les œuvres et réflexions du fondateur de l’« art brut ».
Ses collègues et amis du monde de la culture se souviendront longtemps de sa personnalité affirmée et audacieuse, de son sens de l’effort et de l’humour, de sa capacité à toujours trouver des solutions inventives tout en se jouant des contraintes techniques ou administratives. L’acuité et la force de son regard comme son engagement total auprès des artistes vont nous manquer.
J’adresse mes sincères condoléances à sa famille, à ses proches ainsi qu’aux équipes de la fondation Dubuffet.
Rima Abdul Malak