Je suis particulièrement heureux et ému de prendre part à cette cérémonie de baptême de l'André Malraux, qui succède à son frère d'armes, l'Archéonaute, au bout de cinquante ans de loyaux services.
Chère Florence Marlraux, votre père avait compris très vite les enjeux de l'archéologie et la vulnérabilité particulière des vestiges archéologiques sous-marins. Il a souhaité que la France soit pionnière pour les identifier et les défendre contre la curiosité destructrice des amateurs d'épaves et des chasseurs de trésors. Faire partager au plus grand nombre les richesses restées oubliées sous les mers du fait des tempêtes, des naufrages, des conflits militaires ou commerciaux, ou encore celle des sites habités abandonnés du fait des modifications du tracé des côtes : c’était l’objectif qu’il visait en créant un service spécifiquement dédié à la recherche archéologique sous-marine en 1966, le département des recherches sous marines (DRASSM), qu’il dota l’année suivante de l'Archéonaute, le navire qui a fidèlement accompagné le DRASSM dans ses opérations depuis 1967 jusqu'en 2007.
À bout de souffle, l'Archéonaute a cessé ses opérations. Il est apparu indispensable qu'il ait un héritier afin que le DRASSM ne perde pas le précieux instrument de ses recherches. J’ai donc dès mon arrivée défendu le projet entrepris par Christine Albanel d'entreprendre la construction d'un nouveau navire, sous la maîtrise d’ouvrage du DRASSM.
Les curieux, voire certains prédateurs, n’ont pas fini, loin s’en faut, de s’intéresser aux restes du grand repas de l’histoire. Rêves d’enfants et instincts lucratifs continuent de lorgner le fonds de nos mémoires englouties, et l’Etat doit pouvoir continuer à exercer sa vigilance.
Dans l'exercice de ses missions, le ministère de la Culture et de la Communication est souvent au croisement des techniques et des savoir-faire les plus divers : les métiers de la restauration du Mobilier National, les métiers d’art, l’usage de synchrotrons pour analyser les vernis et les peintures anciennes…
Le temps long de la tradition y croise les technologies de pointe. La construction d'un bateau est sans doute l'une des réalisations les plus inattendues et originales qu'il m'ait été donné de conduire.
Avec la recherche archéologique, la restauration de monuments, la construction d'équipements culturels, mon ministère est créateur d'emplois – des emplois d’autant plus bénéfiques à notre économie qu'ils sont peu délocalisables. Monsieur le Préfet, je suis donc comme vous particulièrement heureux que ce bateau ait également contribué à l'activité des chantiers navals de La Ciotat. Avant même d’avoir navigué, l’André Malraux est déjà une marque de fierté et de confiance en l’avenir, et je tiens à saluer les tous les ouvriers sans qui ont participé à sa construction. Construire un bateau, cela fait partie des plus anciennes réalisations de l’homme ; je suis fier aujourd’hui qu’elle puisse lui servir à se réapproprier son histoire.
J'espère vivement que ce bateau, prototype particulièrement conçu pour l'activité de prospection sous-marine, soit le premier d'une série et que d'autres pays souhaitent à notre exemple se doter d'un pareil équipement.
Dans le domaine de la recherche sous-marine, La France fait partie des pays pionniers. Les travaux de Jacques-Yves Cousteau et son apport décisif pour l’amélioration des matériels de plongée autonome ont eu un écho immédiat en matière d'archéologie sous-marine. Et si la France fait figure de pionnière dans ce domaine, c'est largement à André Malraux qu'elle le doit, ainsi qu'aux directeurs successifs du DRASSM. Je salue ici bien sûr Michel L'Hour, son actuel directeur, pour son engagement continu en faveur de la défense de notre patrimoine sous-marin et sa contribution aux opérations de surveillance de notre domaine public maritime. Comme vous l’avez dit, Monsieur le Préfet, le DRASSM fait partie du réseau de surveillance de l’Etat en mer, et nous sommes fiers de pouvoir y apporter notre soutien. Toutefois, notre tout nouveau bateau, dont je comprends très bien que vous rêviez de l'utiliser, devra néanmoins se consacrer avant tout aux principales missions du DRASSM, que je cite ici car elles sont à mes yeux prioritaires : l’identification des vestiges sous-marins, l’élaboration de la carte archéologique sous-marine, l’identification des épaves déclarées par les plongeurs, le contrôle des opérations de fouilles archéologiques sous-marines autorisées par l’Etat.
Un programme d’utilisation du bateau a été élaboré par le DRASSM, compatible avec son rodage progressif et la nécessité de tester ses capacités dans des contextes et des climats variés ; ce programme commencera dès le mois prochain. Il restera dans l'année des périodes où l’André Malraux ne sera pas utilisé par le DRASSM : il pourra alors apporter sa part à l'effort collectif de surveillance de notre domaine public maritime.
En ajoutant récemment le patrimoine subaquatique, autrement dit l’archéologie fluviale et lacustre, aux compétences du DRASSM, nous avons voulu renforcer une continuité : celle de l’ensemble des missions de mon ministère en matière d’archéologie, sous l’eau comme sur terre. Qu’il s'agisse d’extraction de matériaux au large, dans le lit des rivières, d’aménagements portuaires, de passage de réseaux en mer, sans parler de la création d’éoliennes off-shore, jamais les constructions et les aménagements n’auront autant menacé les vestiges archéologiques qu’à notre époque. Il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour repérer ces vestiges, les connaître, les préserver et éventuellement les fouiller.
La réalisation de ce bateau est une très belle occasion pour redonner au DRASSM un nouveau dynamisme dans sa mission de vigilance.
Le DRASSM, pour mon ministère et pour la France, est également un outil de coopération et une illustration de notre savoir-faire dans le domaine de l'archéologie sous marine. Compte tenu de l'étendue de notre domaine public maritime, qui s'étend sur presque tous les océans de la planète, ses équipes sont amenées à intervenir sous toutes les latitudes. Nous avons grâce à vous une ambassade mobile, à la fois attractive car elle est au service de la culture, et scientifiquement compétente. Les recherches de l'épave de La Pérouse, le succès de l'exposition au Texas des restes de « La Belle », le suspense qui entoure encore l’identification de l’épave du « Griffon » de Cavelier de la Salle, coulé dans le lac Ontario, le succès de l’exposition itinérante « La mer pour mémoire », qui a accueilli plus de 250 000 visiteurs, attestent de l’engouement continu du public de tous les pays pour ce patrimoine et son histoire.
Dans ce domaine, notre législation s’inscrit dans l’héritage du droit romain et de l’ordonnance de la Marine publiée à Fontainebleau en août 1681 par Colbert. Modernisée depuis, elle n’a pas vieilli dans ses principes : le maintien du droit de propriété de l’armateur et des propriétaires des biens sur le navire échoué et sa cargaison, et celle de l’Etat par défaut lorsque l’épave n’est pas réclamée. C’est au nom de ce principe que nous revendiquons aujourd’hui, quel que soit le lieu de leur naufrage au fil des siècles, la propriété des bateaux français redécouverts du fond des mers.
En liaison avec le service du patrimoine, vous avez amplement contribué à faire avancer le processus interministériel de ratification de la convention de l’UNESCO de novembre 2001 sur la protection du patrimoine subaquatique, qui reconnaît aux Etats parties la capacité de protéger le patrimoine sous-marin présent dans leurs eaux territoriales et la zone contiguë. Cette convention fonde un régime spécifique de coopération entre Etats pour protéger ce patrimoine y compris dans leur zone économique exclusive et sur le plateau continental. Elle déclare les biens du patrimoine maritime non susceptibles de commercialisation ; elle soumet leur découverte à une obligation de déclaration, et pose les bases d’une intervention respectueuse des principes de l’archéologie pour les opérations de fouilles sous-marines, en limitant le déplacement des vestiges et leur remontée hors d’eau pour des fins autres que scientifiques.
Entrée en vigueur en 2009 et actuellement ratifiée par 38 pays, cette convention va conforter la lutte contre les trafics et pillages. Celle-ci, néanmoins, repose avant tout sur une prise de conscience collective - Jacques-Yves Cousteau disait : « les gens protègent et respectent ce qu'ils aiment, et pour leur faire aimer la mer, il faut les émerveiller autant que les informer. »
Cet engagement s’appuie également sur la collaboration entre toutes les parties prenantes des activités nautiques : les plongeurs amateurs, les services de l’Etat en mer, les transporteurs et les pêcheurs, les entreprises travaillant en milieu sous-marin, les plaisanciers... tous peuvent un jour ou l’autre découvrir un élément de patrimoine sous-marin. Cela peut aller du simple témoin historique, comme cet avion de chasse australien abattu lors de la dernière guerre et découvert récemment dans la Manche, aux biens les plus inestimables, comme le trésor monétaire romain de Lava, pillé sans vergogne pendant des décennies et que nous avons récemment en partie retrouvé.
Le baptême qui nous réunit est le symbole d’un engagement de l’Etat. L’André Malraux, c’est l’élégance et la force au service du patrimoine. Pour les équipes du DRASSM, il sera, j’en suis sûr, le digne successeur de l’Archéonaute.
Je vous remercie.