« Le jeu est une tâche sérieuse », disait Johan Huizinga dans Homo Ludens. S’il y a un homme de la Renaissance en plein XXème siècle qui aurait pu faire sienne cette devise, c’est bien Pierre Schaeffer, l’ingénieur et l’inventeur, le musicien et l’homme d’institutions, caché derrière les bobines de bandes magnétiques sur lesquelles il imaginait ses collages sonores et ses improvisations les plus surprenantes.
Son nom reste indéfectiblement lié à sa grande invention en 1948, de la musique concrète. Avec Pierre Henry, il révolutionne la pensée et la pratique musicale. Pour Pierre Schaeffer, « La musique c'est l'homme, à l'homme décrit, dans le langage des choses », comme il l’écrira dans son Traité des objets musicaux. Quarante ans avant Steve Reich, un compositeur laissait passer des trains dans nos paysages sonores.
C’est aussi l’homme qui invente des institutions qui relèvent autant de l’impossible que du nécessaire. À l’heure de la révolution des techniques d’enregistrement et à l’aube de l’audiovisuel, il crée ce lieu unique d’expérimentation qui portera plusieurs noms avant de devenir l’INA. L’enjeu n’est rien moins que de prendre la mesure de l’implication des outils de communication dans l’évolution de l’homme et de la société. À la tête du service de recherche de ce qui s’appelle encore l’ORTF, ce sont le charme et la liberté, l’humour corrosif et l’amitié qui gouvernent, au service de la création et de l’expérimentation. Pierre Schaeffer et ses amis y ont développé l’enthousiasme et le désintéressement caractéristiques des pionniers véritables.
Il est bon de se souvenir que dans ces enceintes gaulliennes où régnaient la cigarette et les vestes cintrées, on savait aussi s’amuser. On expérimentait en toute liberté l’innovation sur les médias de masse. C’est sous son égide par exemple que Jean Dejoux inventa l’animographe, et que les Shadoks de Jacques Rouxel ont révolutionné les codes de la logique pour le téléspectateur de 1968. Le compositeur, avec Pierre Henry, de Bidule en ut a toujours su garder quelque chose de la pataphysique quantique que l’on pratique sur la planète Gibi.
Pierre Schaeffer parcourt le vingtième siècle en l’éclairant de son originalité, de sa vision prospective et de ses inventions, auxquelles ces trois journées de projections, de débats et de musique vont rendre hommage. À l’heure des grandes mutations du numérique, c’est de son esprit d’audace qu’il faut plus que jamais nous inspirer dans les nouvelles aventures de la création musicale et audiovisuelle.