Je suis très heureux de vous retrouver à Cannes pour cette nouvelle
édition du MIP TV, qui réunit, cette année encore, plus de 10 000
professionnels de l'audiovisuel, issus de plus de 100 pays.
Ce grand rendez-vous international est non seulement un passage obligé
pour l'achat et la vente de programmes, mais également un vrai forum de
réflexion sur l'avenir du secteur audiovisuel.
J'avais ainsi évoqué ici même lors de l'inauguration de la précédente
édition du MIP TV les enjeux majeurs de l’actualité : la relance de la fiction
française, le financement de la création, ou encore la convergence des
écrans. Je suis heureux que vous ayez répondu aujourd’hui à mon
invitation afin de faire le point sur les chantiers déjà engagés et vous
exposer mes priorités d’action dans les mois à venir.
J’aborderai d’abord la question de la fiction française et de la place des
auteurs, puis les enjeux d’avenir pour le secteur: la place de la création à
l’heure de la tv connectée, la circulation des oeuvres, et l’évolution du
paysage audiovisuel.
1/ Je voudrais d’abord évoquer devant vous l’avenir de la fiction
française
Le constat a été établi : celle-ci traverse une crise tant en matière
d'audience que d'exportation. J’ai confié à Pierre Chevalier, Sylvie Pialat et
Franck Philippon la mission de réfléchir aux moyens de mieux assurer le
financement des phases d'écriture, le développement des fictions
françaises et la formation des auteurs. Après plusieurs mois de travail et
de consultation, ces spécialistes reconnus – que je suis heureux de
retrouver à mes côtés aujourd’hui - m'ont remis vendredi un rapport
particulièrement éclairant.
La mission dresse d'abord un constat sans complaisance sur les faiblesses
de la fiction française. Si l'on peut parler de « modèle français » pour le
cinéma, il n'en est pas de même de la fiction télévisuelle, sujet pour lequel
la France se distingue de ses grands voisins – l’Angleterre, l’Allemagne -
par un déficit du volume de production mais aussi de l’audience.
Le diagnostic de la mission s'efforce de recenser les causes de ces
faiblesses. Il propose trois séries de remèdes en 13 propositions, qui
concernent l'amont de la production, c'est à dire les phases d'écriture et
de développement.
La première série de propositions consiste à repenser les relations
entre auteurs, producteurs et chaînes de télévision. Cela passe par
l'élaboration de chartes, conventions et codes de bonnes pratiques entre
ces partenaires.
La seconde série de propositions vise à moderniser les aides du
CNC à la fiction télévisuelle, afin de mieux les adapter à la production de
séries et mais aussi d’améliorer le financement de l'écriture de scénarios
en amont.
Enfin une dernière série de propositions concerne la formation
initiale et continue des auteurs, notamment l'accès des scénaristes à la
formation continue. Elle leur était refusée jusqu'à présent du fait de leur
statut, elle va pouvoir être mise en oeuvre en 2012, comme je l’ai souhaité.
Le rapport de la mission Chevalier est remarquable et particulièrement
équilibré. Il est riche de la diversité des expériences de ses rédacteurs. Il
permet de ne pas se laisser enfermer dans l’impasse qui consisterait à
opposer fiction unitaire et séries : les deux types de programmes ont leur
public et leur place sur nos antennes. Il propose des pistes de travail pour
“développer plus et mieux”, notamment en ce qui concerne les séries,
point faible de la fiction française aujourd'hui, même s'il y a quelques
belles réussites, hélas trop rares !
Je souhaite donc qu'une consultation s'engage rapidement sur les 13
propositions du rapport, sous l’égide du Centre National du Cinéma
et de l’Image Animée, afin de les mettre en oeuvre le plus rapidement
possible. La situation de déséquilibre actuel en faveur de la fiction
américaine nous oblige ; elle nous invite à l’action.
Le rapport met également l'accent sur le rôle du service public dans
ce combat au service de la diversité culturelle. Ce dernier doit être
moteur sur le sujet, il doit être le fer de lance du renouvellement de la
fiction française dans le cadre d'un véritable partenariat avec les auteurs
et les producteurs. J'y veillerai dans le cadre des négociations du contrat
d'objectifs et de moyens (COM) de France Télévisions.
La diversité des genres en général et au sein même de la fiction est
essentielle. J’encourage France Télévisions à s'inspirer du rapport de
Pierre Chevalier, Sylvie Pialat et Franck Philippon pour définir sa politique
en matière de contribution au développement et en matière d’écriture.En
contrepartie, France Télévisions se doit d'être exemplaire dans ses
relations avec ses partenaires. Je salue donc le volontarisme dont vous
faites preuve et les engagements qui pourraient être les vôtres dans une
Charte sur l'écriture et le développemement, signée avec les
représentants du secteur audiovisuel, auteurs et producteurs.
L'exemplarité de France Télévisions, pour cela comme pour d'autres
sujets, est un élément fort de son contrat d'objectifs et de moyens. J'y
veillerai personnellement.
2/ Au-delà de l’enjeu “fiction”, force est de constater que les évolutions
technologiques et économiques du secteur audiovisuel sont rapides et
déterminantes. Elles rendent indispensable une analyse globale des
grandes tendances du secteur. Gouverner c’est choisir ici et maintenant,
c’est aussi prévoir et anticiper ce que sera le paysage des médias demain.
C'est pourquoi, il y a un an, j'avais annoncé le lancement d'une mission
confiée à Dominique Richard afin d’explorer toutes les voies permettant de
contribuer à une véritable modernisation de l'industrie des programmes
audiovisuels et de leur financement. Au terme d'une large consultation
des acteurs du secteur - tant dans la sphère de la création que dans celle
des nouveaux médias et de l'innovation technologique - Dominique
Richard, aujourd’hui à mes côtés, vient de me remettre un rapport qui
dresse un panorama à la fois précis et complet des évolutions à venir.
Même si son horizon – l’année 2015 - est plus lointain, ce rapport pose
des questions qui engagent l’avenir de l’industrie et de la création. Il part
de deux constats :
1/ La clé de voûte d’une production audiovisuelle moderne repose sur le
renforcement du couple à trois auteurs – producteurs – éditeurs.
2/ L’oeuvre doit rester le coeur de la réflexion et de l’action, quel que soit
le type d’écran où elle est présentée, quel que soit le mode à travers
lequel on y a accès – linéaire ou non.
Je souhaite que les services de mon ministère examinent cette étude afin
d’en tirer des pistes d’actions, notamment celles qui seront discutées au
niveau interministériel et avec les professionnels bien entendu.
Parmi les évolutions majeures mises en avant dans l’étude de Dominique
Richard, émerge la généralisation prochaine des téléviseurs connectés,
qui, selon certains, pourraient représenter 70% des ventes de téléviseurs
à l'horizon 2013. Ces terminaux opérent une liaison nouvelle entre le
monde de la télévision et celui de l'internet, encadrés par des
réglementations différentes. Leur impact sur l'économie du secteur
audiovisuel et sur les modes de consommation de l'image est, je le sais,
une source d'inquiétudes, même s’ils sont aussi synonymes
d'opportunités. La place accordée aux téléviseurs connectés dans le cadre
du MIP TV cette semaine témoigne de l’importance de cette question et
de son actualité.
Plaçons nous un instant à la place du téléspectateur : celui-ci perçoit la
rencontre des deux mondes de l’internet et de l’audiovisuel en termes de
facilité d’accès, gratuite ou payante, et de diversité de l’offre.
En lien avec les professionnels, c’est aux pouvoirs publics de se pencher
sur les différences de régimes juridiques entre les deux univers, sur la
contribution des uns et des autres à la création. En lien avec ces mêmes
professionnels, il revient aux pouvoirs publics de réfléchir et de répondre
aux défis que posent la convergence des écrans de l’audiovisuel et de
l’internet. C’est le sens de ma présence aujourd’hui, c’est aujourd’hui
une priorité d’action de mon ministère dans le domaine des
industries de la communication et des médias.
C'est pourquoi j'ai décidé, en lien avec le Ministère de l'industrie, de
l'énergie et de l'économie numérique, de lancer très prochainement une
mission sur ce sujet, qui se penchera notamment sur deux questions.
D'une part, la fragmentation potentielle de l’offre. Le choix de technologies
différentes par les constructeurs et l’existence d’éventuels accords
d’exclusivité pourraient conduire à une fragmentation verticale de l’offre de
contenus et de services. Celle-ci me paraît préjudiciable pour les
particuliers, pour les producteurs de contenus et pour les développeurs de
services.
D’autre part, la possibilité d’accéder à l’ensemble des services de médias
depuis sa télévision pourrait avoir un impact rapide et important sur la
répartition de la valeur entre des acteurs provenant d’univers très
différents et sur le financement de la création.
L’abondance de l'offre permise par la technologie numérique est une
chance et une formidable opportunité. Mais il importe que ces canaux
traduisent une véritable diversité, qu’ils offrent à nos concitoyens un
véritable choix en terme de contenus et à notre création des perspectives
de développement.
Je constate avec satisfaction que le Conseil supérieur de l’audiovisuel
(CSA) a également entamé une réflexion sur le sujet. Je suis certain que
le colloque qu’il organisera le 28 avril prochain au sujet de la télévision
connectée constituera un moment d’échange particulièrement intéressant
pour la mission que je lance.
3/ La question de la multiplication des terminaux vidéo et des
nouveaux modes de consommation de l'image, dans ce que certains
appellent la « société des écrans », n’est pas sans lien avec la
problématique de la circulation des oeuvres.
Lors du dernier MIP Com organisé ici-même en octobre dernier, j'avais
souligné l'importance de cette question, sur laquelle mon ministère et le
Conseil supérieur de l'audiovisuel sont particulièrement mobilisés. J'avais
également exprimé ma volonté d'explorer la piste de la mise en place d'un
médiateur de la création audiovisuelle.
J'ai proposé au Président du Conseil supérieur de l'audiovisuel de
mandater une personnalité pour jouer ce rôle de médiateur de
l'audiovisuel. Je me félicite donc que le CSA ait désigné Dominique
Richard et que celui-ci ait accepté de remplir cette mission de médiateur
pour la circulation des oeuvres. Fort de ses compétences et de son
expérience reconnue dans le secteur, il aura notamment la tâche de
contribuer à la résolution des conflits relatifs à l'accès aux oeuvres
entre diffuseurs, ou entre producteurs et distributeurs. Cette fonction
de médiation, que personne ne récuse – des producteurs, aux diffuseurs
en passant par les distributeurs, si nécessaires sur le marché des
programmes - est donc particulièrement bienvenue.
Il me semblerait intéressant qu’elle puisse également à terme élargir son
périmètre à la question des relations entre d’une part les fournisseurs
d’accès à internet qui proposent des offres d’accès à la télévision, et
d’autre part les sites de Vidéo à la Demande (VàD). L’accès, encadré, de
ces derniers aux offres des premiers constitue en effet un moyen utile
d’élargir l’offre de contenus légaux proposée aux Français – ce qui, je le
rappelle, est une priorité de mon action placée au service du
développement de la « culture de la légalité » à l’ère numérique. Il
permettrait aussi de développer le marché prometteur de la vidéo à la
demande.
Je souhaiterai pour conclure aborder deux points qui font l’actualité du
secteur audiovisuel.
Le premier concerne le lancement de nouvelles chaînes de la TNT et
les annonces récentes de certains éditeurs.
Ce sujet est complexe et, je le sais, particulièrement sensible. Il engage
l’avenir du paysage audiovisuel, et donc la responsabilité de l’ensemble
des pouvoirs publics.
Responsabilité des autorités françaises dans leur ensemble du fait des
procédures engagée par les autorités communautaires à l’encontre des
fameux canaux compensatoires.
Responsabilité particulière de mon ministère afin de garantir les équilibres
d’ensemble du paysage audiovisuel français. En tant que ministre de la
Culture et de la Communication, ma mission consiste bien à garantir les
équilibres, sur le marché des droits audiovisuels, mais aussi et surtout en
termes de diversité des sources de financement de la création, et plus
précisément la diversité des éditeurs qui investissent dans la production
audiovisuelle française.
Responsabilité qui consiste également à développer une vision à long
terme du paysage: perspective qui concerne le nombre de chaînes qui
pourraient être proposées aux Français, et susceptibles d’être financées
par le marché publicitaire, mais également perspectives quant aux
meilleures options technologiques qui doivent être retenues, afin d’utiliser
au mieux cette ressource rare que constituent les fréquences.
Certains éditeurs ont fait connaître récemment leurs orientations et leur
souhait. J’en prends bonne note. Mais je souhaite rappeler que les choix
qui seront effectués le seront à l’aune des questions qui se posent à
long terme et en fonction des équilibres que je viens de rappeler.
Un dernier mot enfin, qui nous permet de commencer le déjeuner par une
bonne nouvelle. Attendue depuis quelques semaines, la publication au
Journal officiel du décret sur le “webcosip” est désormais une réalité. Il
s’agit là de l’aboutissement d’un chantier considérable en faveur de la modernisation
de notre système de financement de la création: l’ouverture
du soutien automatique audiovisuel à la production pour Internet.
C’est une évolution importante, j’oserais même dire une révolution,
qui permet d’adapter notre système de soutien automatique aux nouveaux
modes d’accès et aux nouveaux formats. L’Internet et les supports mobiles
sont aujourd’hui des modes d’accès alternatifs pour nombre d’oeuvres, notamment
patrimoniales : nos politiques publiques et nos politiques de soutien
doivent en tirer toutes les conséquences. J’en ai fait un enjeu prioritaire
de mon action à la tête du Ministère, en ayant à l’esprit que la notion
d’oeuvre et celle de création restent absolument centrales. Le décret
est donc publié, c’est à vous, professionnels, de saisir les opportunités
qu’il ouvre.
Vous le voyez les défis sont multiples, exaltants tant l’univers numérique
ouvre le champ des possibles. Le philosophe Blaise Pascal ressentait de
l’effroi lorsqu’il méditait sur un univers « dont le centre est partout et la cir-
conférence nulle part » - univers auquel on peut aisément assimiler les territoires
du numérique et d’internet.
Dans cette nouvelle donne, mon ambition est précisément d’offrir un cadre
d’expression et de développement pour tous les créateurs et tous les acteurs
de l’audiovisuel. En d’autres termes de proposer une régulation
souple et adaptée à même de favoriser les industries culturelles émergentes,
tout en garantissant l’ambition qui nous rassemble en Europe, je
veux parler de la diversité culturelle.
Je vous remercie.
Discours
Discours de Frédéric Mitterrand prononcé à l'occasion du MIP TV à Cannes
Monsieur le Préfet,Monsieur le député-maire, cher Bernard BrochandMesdames et messieurs,Chers amis,
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