60 ans, jour pour jour, après la mise en oeuvre de la commande publique –
c’était un 18 mai 1951, le sculpteur René Iché créait le fameux 1% culturel
permettant le financement d'une oeuvre monumentale ou de décoration
dans le cadre d’un projet de construction - 30 ans après la naissance des
Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC), 1 an après l’ouverture du
Centre Pompidou-Metz, le lancement du Centre Pompidou mobile est une
étape importante dans l’effort de décentralisation culturelle à l’oeuvre dans
notre pays. C’est une grande fierté pour le Ministère de la Culture et de la
Communication de pouvoir offrir à tous les publics, avec le concours des
collectivités territoriales qui accompagneront chaque étape du projet, les
collections exceptionnelles d'un Etablissement public national reconnu
internationalement, un Etablissement qui conserve l'une des plus riches
collections du monde. Le Centre Pompidou mobile manifeste l’attention
constante portés par mon Ministère à la démocratisation des pratiques
culturelles et ma volonté de placer les musées au centre de cette ambition.
Je sais que beaucoup d’établissements, beaucoup de musées disposent
de services et travaillent déjà sur les enjeux de médiation culturelle, sur la
sensibilisation des publics, sur une offre diversifiée adaptée à chacun
d’entre eux. Dans l’univers numérique, à l’heure de la « société des
écrans », cette exigence doit être renouvelée et repensée car l’oeuvre
artistique peut être capturée, dupliquée, copiée à l’infini. L’enjeu consiste
bien à recréer ce « désir » sans lequel il ne saurait y avoir de politiques
culturelles durables. Le très beau projet de Patrick Bouchain, qui s’inscrit,
comme tout son travail, dans l’esprit des chapiteaux forains et du cirque
ambulant, participe de ce rapport à la fois ludique et privilégié à l’oeuvre.
Mais ce projet va bien au-delà. Outil d’aménagement culturel du territoire,
instrument de sensibilisation du public exemplaire, le Centre Pompidou
mobile est un projet innovant qui s’inscrit dans le dialogue renouvelé que
j’entends porter entre l’Etat et les collectivités locales.
Je suis donc particulièrement heureux de partager ce lancement avec vous
aujourd’hui
Je tiens avant tout à remercier tous les acteurs et les partenaires qui ont
rendu ce projet possible.
Je tiens en premier lieu à rendre hommage aux équipes du Centre
national Georges Pompidou qui se sont, depuis des mois, mobilisées à vos
côtés, cher Alain Seban, pour donner vie à ce projet. Face à certains
esprits frileux, conservateurs, Georges Pompidou sut imposer une
modernité parfois vécue comme une hérésie. Cet amoureux des arts
visuels, qui aimait se ressourcer à Cajarc dans le Lot, qui aimait la France
des hautes terres du massif central dont il était originaire, n’aurait pas renié
ce projet au service des territoires et de la démocratisation culturelle.
Je veux aussi remercier tous les élus qui se sont emparés du projet et qui
ont saisi cette présence des plus grands chefs d’oeuvre du XXe siècle
comme un outil favorisant l’attractivité et le développement de leur
territoire : Monsieur le Président de la Commission des Affaires culturelles
du Sénat Jacques Legendre, Monsieur le Président de la région Nord-Pas
de Calais Daniel Percheron, Monsieur le Président de la région Aquitaine
Alain Rousset Monsieur le député-maire de Cambrai François-Xavier
Villain, monsieur le député-maire de Boulogne-sur-Mer Frédéric Cuvillier,
monsieur le maire du Havre, Edouard Philippe, Madame Magali
Giovannangeli, présidente de la Communauté d'Agglomération du Pays
d'Aubagne et de l'Etoile.
Je souhaite enfin tout particulièrement remercier les mécènes ici présents
sans lesquels ce projet n’aurait pas pu voir le jour, et qui ont manifesté leur
intérêt dès le début : Monsieur Philippe Houzé (Galeries Lafayette),
Monsieur Olivier Jaillon (La Parisienne), Monsieur Christophe de Margerie
(Total), Monsieur Gérard Mestrallet (GDF-Suez). Je n’oublie pas que Marin
Karmitz a été le premier à apporter son soutien à ce projet. Je souhaite
également saluer votre engagement, Monsieur le Ministre, cher Luc
Chatel, à la fois comme ministre de l’Education nationale et comme maire
de Chaumont, dans ce département de la Haute-Marne où la tradition
industrielle voisine avec l’esprit des Lumières, de Voltaire trouvant refuge à
Cirey-sur-Blaise, à Diderot élevé sur l’éperon de Langres, dans cette ville
de Chaumont où la tradition graphique et la création visuelle ont une
histoire, à travers le Festival international de l’affiche.
Avec le Centre Pompidou mobile, les collections d’art du XXe siècle d’un
des plus grands musées d’art moderne au monde seront désormais
accessibles à tous partout en France. Avec 800 000 visiteurs en un an,
avec une exposition des chefs d’oeuvre des collections du musée qui a été
plébiscitée, le Centre Pompidou-Metz, ouvert en mai 2010, a rencontré son
public et le succès. Depuis peu, l’expérience de magie visuelle que nous
devons à Daniel Buren, déjà saluée par la critique, traduit cet état d’esprit,
cette « évolution permanente » que Georges Pompidou appelait lui-même
de ses voeux lorsqu’il imaginait et rêvait le projet.
Chacun le sait, la collection du Musée national d’art moderne jouit d’un
grand prestige et d’une réputation internationale. Sa présence doit
beaucoup à l’action résolue et déterminée du Président Pompidou en
faveur de l’art contemporain et de la création. A l’occasion du 100e
anniversaire de sa naissance (1911), je tenais à rappeler l’ambition de
celui qui chérissait autant le patrimoine littéraire que les nouveaux
langages artistiques, de celui qui nourrissait une véritable ambition
modernisatrice pour Paris : édifier, pour le citer, un « musée des Arts
contemporains (…) sur le plateau Beaubourg ».
Cet esprit d’innovation, je l’identifie également dans ce projet unique de
musée nomade, de musée itinérant, qui répond profondément à la culture
de la mobilité présente dans les sociétés contemporaines.
Dans une société de la mobilité en effet, de nouveaux modèles de
développement émergent, de nouvelles frontières apparaissent, de
nouveaux risques de ségrégation – spatiale, générationnelle – se
manifestent. Les modes de vie et l’économie modernes sont à la fois
urbains et mondialisés, globaux et locaux, en lien direct permanent.
L’urbanité historiquement fondée sur le lieu a cessé d’être le monopole de
la ville, la culture a cessé d’être abritée en des lieux : elle s’est peu à peu «
virtualisée », elle est devenue « multi-lieux » pour ainsi dire. Ce sont là les
grands défis d’avenir auxquelles les politiques culturelles et notamment la
politique des musées devront faire face : conserver les collections tout en
développant une accessibilité nouvelle. Je crois pouvoir dire que le projet
du Centre Pompidou mobile répond à cette mutation profonde des
pratiques et des comportements.
De la même façon, votre projet architectural, qui est lui-même une oeuvre
du Centre Pompidou mobile, cher Patrick Bouchain, s’inscrit pleinement
dans la culture et les aspirations du public du XXIe siècle. Je suis
persuadé notamment que ce musée à taille humaine est à même de lever
les préventions et les intimidations de ceux qui n’osent pas franchir les
portes des temples de la culture. Ce travail remarquable s’inscrit dans la
grande histoire architecturale du Centre Pompidou du binôme Renzo
Piano-Richard Rogers pour Beaubourg à Shigeru Ban à Metz.
Ce projet s’inscrit fondamentalement dans ma politique en faveur des
territoires
J’ai effectué de très nombreux déplacements depuis deux ans : j’ai pu
mesurer la qualité des projets lancés en région et le niveau d’expertise des
acteurs culturels. Dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales,
je me suis battu pour conserver la possibilité de financements croisés dans
le secteur culturel. Dans ce contexte, nous devons approfondir les
partenariats entre l’Etat les collectivités territoriales. Le Centre Pompidou
mobile est une illustration de cette nouvelle donne. Seule la mobilisation et
l’attention des collectivités qui accueilleront le Centre peuvent donner vie
au projet.
Je tiens donc à saluer les maires des villes qui ont accepté d’accueillir les
premières étapes du Centre Pompidou mobile : Chaumont en octobre
2011, Cambrai au début de l’année 2012, Boulogne- sur-Mer en mai
2012. Ces villes moyennes, souvent riches d’un patrimoine considérable,
révèlent la nouveauté de ce projet, qui bouscule la géographie de ce que
Malraux appelait le « musée imaginaire ».
J’ai fait des musées en régions l’une des priorités de mon action en faveur
des territoires. Porter les chefs d’oeuvres des musées nationaux,
internationalement reconnus, au plus près de leur public est au coeur des
grands chantiers de mon ministère. Il s’agit de faire de ces musées des
équipements culturels attractifs, d’appuyer le développement des
territoires, de mettre un patrimoine commun à la disposition du plus grand
nombre. La décentralisation et la démocratisation culturelle sont deux
piliers de l’action de ce ministère depuis 50 ans : j’entends les réaffirmer et
les mettre en oeuvre.
Le Louvre Lens participe de cette ambition. Après le Centre Pompidou-
Metz, il s’agit de la deuxième antenne d’un musée national délocalisé.
Engagé en 2004, c’est un projet dans lequel le Louvre est pleinement
mobilisé avec, là encore, le concours actif et précieux des collectivités, et
celui, tout particulièrement, de la région Nord-Pas-de-Calais, cher Daniel
Percheron.
Le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUcem)
sera pour sa part le premier musée national entièrement déconcentré,
dans le cadre de Marseille-Provence capitale européenne de la Culture en
2013. Au point de rencontre entre patrimoine et création, dans le
magnifique bâtiment de Rudy Ricciotti, au coeur d’une ville en pleine
transformation, le MuCEM mêlera l’histoire et l’avenir des deux rives.
En septembre 2010, j’ai lancé le « plan musées » en régions, avec la
même volonté de rééquilibrer l’offre muséographique et de favoriser
l’attractivité des territoires. Riche de plus de 1200 musées de France
labellisés par mon ministère, notre pays présente une mosaïque
exceptionnelle, trop méconnue, qu’il importe de mettre en valeur, comme
ce fut le cas le week-end dernier à l’occasion de la Nuit européenne des
musées qui a rencontré le succès, avec près de 2 millions de visiteurs. En
accompagnant 79 projets de musées partout en France, le Plan pour les
musées en régions met en valeur la qualité des collections, mais aussi les
politiques des publics et les projets culturels de ces établissements
majoritairement portés par des collectivités.
Car c’est avec l’ensemble des institutions présentes en région que le
Centre Pompidou mobile va pouvoir nouer des partenariats inédits,
contribuant à renouveler la relation entre l’ Etat et les collectivités. Les
musées d’art moderne présents dans nos régions seront des partenaires
privilégiés, des relais, des caisses de résonance. Je pense au musée de
Villeneuve d’Ascq que j’ai inauguré l’été dernier ou au musée d’art
moderne de Troyes que j’ai visité encore récemment, dans deux régions
qui accueilleront le Centre Pompidou mobile. A mes yeux, la présence
des uns ne dessert pas l’autre ; bien au contraire elle l’enrichit, elle le
nourrit en suscitant un intérêt. Il faut concevoir la présence du Centre
Pompidou mobile non pas comme un épiphénomène ou une manifestation
éphémère mais bien comme un outil de développement sur le long terme
pour les institutions régionales dédiées à l’art moderne et pour l’éveil des
publics à cette dimension.
A cet égard, les Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) et les
Centres d’art seront associés à ces étapes. Créés dans les années 1980 à
l'initiative du ministère de la Culture, en partenariat avec les Régions, les
FRAC sont un soutien à la création, un outil d’aménagement culturel du
territoire, un instrument de sensibilisation du public exemplaire. Ils sont les
seules institutions à couvrir tout le processus artistique allant du soutien
aux artistes par la participation à la production d'oeuvre, à l'acquisition et la
présentation au public. Depuis 30 ans, avec près de 24 000 oeuvres, les
FRAC ont constitué non pas des collections d'art contemporain
« régionales » mais bien des collections pour les régions.
A leur image, je suis certain que le projet de Centre Pompidou mobile
portera haut l’exigence de diffusion et d’accessibilité, qu’il proposera des
formes de sensibilisation inventives et renouvelées, en impliquant les
associations, les collèges, les lycées, les hôpitaux, en d’autres termes des
lieux qui ne sont pas spécifiquement consacrés aux arts visuels.
Le Centre Pompidou mobile sera donc un outil formidable au service de ce
travail capillaire, de la formation d’une culture artistique mieux enracinée et
plus diffuse. Rien ne substitue le choc esthétique de la rencontre avec l’oeil
de Miro, rien ne remplace l’émotion ressentie à la vue d’un mobile de
Calder, notamment chez les plus jeunes. Aujourd’hui plus encore qu’hier,
la muséographie, la scénographie, expositions et musées peuvent amener
le visiteur vers une expérience sensible, le visiteur pouvant « dériver » au
gré des nouvelles technologies et des oeuvres exposées. C’est cette
exigence nouvelle dont prend acte le Centre Pompidou mobile, dans la
mesure où il se présente comme expérience des sens et mise en
présence de l’oeuvre. Dans l’approche de l’art, il convient de recréer la
surprise, l’extraordinaire, l’événement, la fantaisie.
A cet égard il s’inscrit dans la politique volontariste en matière d’éducation
artistique et culturelle que nous portons ensemble, cher Luc Chatel. La
généralisation d’un enseignement d’histoire des arts depuis 2008 à tous
les niveaux scolaires de même que l’épreuve obligatoire au brevet des
collèges cette année en est la traduction. Mais la « réconciliation du sensé
et du sensible », pour reprendre l’expression de Didier Lockwood, ne va
pas de soi, nous devons poursuivre notre engagement et notre effort.
Pour faire pièce au « dépaysement », au « changement d’horizon »
ressentis par certains publics face aux oeuvres – ces oeuvres dont ils ne
disposent pas toujours des codes, dont ils ne partagent pas toujours le
« capital symbolique » - il faut une initiation, un accompagnement, une
médiation. Pour chaque étape, le Centre Pompidou mobile a envisagé
cette dimension, notamment à destination du jeune public, des
enseignants, des scolaires. Toute politique des publics ambitieuse doit
avant tout sensibiliser les non-initiés, former les publics de demain, former
ces « regards instruits » sans lesquels la visite est un leurre ou un
divertissement sans lendemain. C’est tout l’enjeu du dialogue qui doit
accompagner la venue du Centre Pompidou mobile, avec le milieu
éducatif, avec les associations, avec les acteurs culturels du territoire.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, l’ambition territoriale est au coeur
de mon action à la tête de ce ministère. Elle est plus que jamais
nécessaire pour reconquérir les « territoires perdus » de l’action culturelle.
Hier, mes prédécesseurs travaillaient à réduire les « déserts culturels » par
une active politique d’aménagement du territoire ; cette ambition doit
aujourd’hui être poursuivie et prolongée, jusque dans ces « déserts de
l’intimité » où l’art ne pénètre que par effraction. C’est le sens du
programme du Centre Pompidou mobile, dans un dialogue renforcé avec
les collectivités territoriales.
A l’ère de la numérisation, de l’individualisation de l’accès aux biens
culturels – notamment la culture du divertissement dans ses formes
standardisées, parfois aseptisées – je reste convaincu de la force de notre
« modèle culturel » et de la nécessité de préserver la diversité culturelle. A
l’heure où de grands acteurs de l’internet présentent des oeuvres et des
musées sur la toile, je reste convaincu de la pertinence du musée en tant
que lieu physique. Le musée est et restera un lieu de rencontres, un lieu
d’émotions, un lieu d’apprentissages. Le contact exceptionnel et rare avec
une oeuvre entre un visiteur et une oeuvre, un document historique, forme
l’imagination et la sensibilité autant qu’il ouvre l’esprit. Il ne faut pas bien
entendu céder à l’illusion du « choc esthétique », dire combien la beauté
est exigeante et suppose une mise en contexte, un récit explicatif, une
pédagogie. Le cahier des charges du Centre Pompidou mobile épouse
précisément ces enjeux.
Et je veux dire combien l’idée de porter en tous points du territoire, en tous
lieux les chefs d’oeuvre de l’art moderne présent au Centre Georges
Pompidou marque une véritable charnière dans l’histoire de nos politiques
culturelles. A l’heure où nous commémorons le 150e anniversaire de la
naissance de Georges Méliès, à l’heure où son Voyage dans la lune
(1902) a été présenté dans une version restaurée et colorisée en ouverture
du Festival de Cannes, je me réjouis de voir combien la culture nomade et
l’esprit forain inspirent également la politique d’un grand Établissement
culturel en matière d’art visuel. En matière de politiques culturelles, chaque
période est la somme des précédentes mais cela ne doit pas nous
empêcher de proposer de « nouveaux territoires » pour l’action. Je vois
dans le Centre Pompidou mobile un outil adapté à notre temps pour les
grandes missions prioritaires du Ministère de la Culture : la conquête des
territoires et la démocratisation de la culture et des savoirs.
Je vous remercie.
Discours de Frédéric Mitterrand prononcé à l'occasion de la présentation du Centre Pompidou mobile
Monsieur le Ministre, cher Luc Chatel,Monsieur le Président du Centre national d’art et de culture GeorgesPompidou, cher Alain Seban,Mesdames et Messieurs les Parlementaires,Mesdames et Messieurs les élus,Cher(e)s ami(e)s,
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